Édition du 26 mars 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Revenir à (l’a)normal ou construire la convergence populaire ?

Ça y est, la rentrée est amorcée avec le retour dans les écoles. Comme prévu, on est dans l’à peu près, avec des conditions dont on ne peut pas prévoir l’impact à court terme, tant pour les enfants, les enseignants et les parents que pour la société en général. En fait depuis le début de la pandémie, on est dans le vague. Les scientifiques sont les premiers à admettre qu’il leur manque beaucoup d’éléments pour comprendre la pandémie actuelle. Ce qui n’empêche pas les politiciens de se présenter comme les sauveurs qui savent tout, quitte à se dédire plusieurs fois par jour. Et nous, on est dans le coin à attendre. Le confinement partiel, la deuxième vague, le chômage qui s’installe pour la durée, les mesures autoritaires, c’est devenu notre pain quotidien.

Il faut le dire, la crise sera prolongée. Le dispositif capitaliste est sous le choc et de toute évidence, on est devant une grave récession pour quelques années. Cependant, contrairement à celle des années 1930, les acteurs politiques ne pensent pas qu’il faut changer de cap. La priorité, clament-ils partout, c’est de « revenir à la normale ». Et aussi, s’il n’en tient qu’à ceux qui nous (mal)gouvernent, les politiques dites de « relance » se feront sous la drapeau de l’austérité, sans toucher à un cheveu des fondements de la dérive néolibérale dans laquelle nous naviguons depuis 30 ans. Il n’est nullement question, entre autres, de toucher à la fiscalité injuste qui prévaut et qui contribue chaque jour à l’enrichissement du 1 %. La privatisation qui mine la capacité du secteur public de gérer les services de base, on ne touche pas à cela. La « mondialisation » construite autour d’une délocalisation de la chaîne productive pour profiter des bas salaires du sud, ça doit continuer. Sur la prédominance de l’oligarchie financière, via le puissant système des banques, des bourses et des détenteurs de capitaux, pas un mot. Le terrible système de murs et d’armées qui maintient les populations du Sud dans l’étau, c’est là pour rester. Au sein des dominants, les divergences sont sur les manières de préserver le système, pas sur le fonds. Trump, Bolsanero et Modi veulent le faire à coups de bâton. Trudeau, Macron et Merkel sont prêts à adoucir l’impact par des mesures compensatoires, pas plus.

Tout cela s’impose par l’appareil médiatique bien rodé qui distille la peur et un sentiment d’impuissance généralisé qui contamine les esprits, collectivement et individuellement. Devant cela se lèvent des vagues de colère, parfois canalisées par la démagogie de l’extrême-droite et les complotistes de tout bord qui réussissent à relancer la haine au nom d’une « libarté » nourrie les thèmes racistes et anti-immigrants.

Est-ce qu’on va se laisser faire ? Bien sûr que non. Est-ce qu’on peut s’organiser ? Bien sûr que oui.

Cet été, le mouvement anti-raciste a pris un bel envol. Au-delà des meurtres commis par la police, il y a, plus insidieusement, le racisme systémique qui provient d’une longue histoire de discriminations au cœur de la construction du capitalisme qui, on l’oublie quelques fois, s’est développé via l’esclavage de l’Afrique et le génocide des populations des Amériques. Chez nous, c’est à l’honneur des camarades de Hoodstock à Montréal-Nord d’avoir remis cela sur la table. Québec Solidaire, à l’assemblée nationale, confronte l’attitude de déni de la CAQ et du PQ. La thématique de la lutte anti-raciste interpelle également les mouvements populaires, le monde de la culture et de l’éducation et un peu tous-et chacun-es. En réalité, le racisme n’est plus seulement un « excès » de langage, un abus spécifique de pouvoir, mais un des fondements d’un système qui exclut, divise, surexploite, domine et qui s’appelle le capitalisme, l’impérialisme, le colonialisme, le patriarcat. C’est bien expliqué dans l’essai de Benoît Renaud, « Un peuple libre ».

Aussi, on sent dans notre société encore un peu sous le choc comme un frémissement, un dégel partiel, dans une mouvance qui veut reprendre le combat pour la transformation. On cherche les moyens de confronter l’impasse. On évalue les risques et les périls. On ne veut pas se casser la gueule. On essaie d’évacuer le défaitisme, la peur et cette tradition bien implantée au Québec à l’effet que notre petite nation survit seulement parce qu’on accepte d’être est tous « dans le même bateau ». Cette illusion aboutit à une sorte de religion qui consiste à penser que la seule chose qui compte est la « concertation », qui est, dans la pratique, plus souvent qu’autrement, une capitulation.

En réalité, « nous » ne sommes pas tous dans le même bateau. Même dans le village d’Astérix québécois, il y a des clivages de classes. Il y a une oligarchie bien confortable et bien installée dans le dispositif du pouvoir, en phase avec les oligarchies canadiennes et états-uniennes. Si on veut passer à travers la crise, on ne se « concerte » pas avec cette oligarchie, on la confronte. Ce n’est tout simplement pas vrai qu’on peut « convaincre » les représentants du 1%, à Ottawa comme à Québec, comme si on était gentiment assis autour d’une commission parlementaire et qu’on pouvait réellement arrêter la « stratégie du choc » (selon l’expression de Naomi Klein) actuellement mise en œuvre. Ce n’est pas vrai que la loi est « au-dessus de tout » : la constitution, les règlementations, les normes, le système judiciaire, reflètent les rapports de forces et dans notre réalité, sont pensées et construites pour préserver le pouvoir et le statu quo.

Certes, on ne peut pas confronter juste pour confronter. On ne peut pas non plus se mobiliser n’importe quand n’importe comment. En fait, la confrontation exige une autre sorte de « concertation », entre un vaste « nous ». Construire un mouvement, c’est une œuvre, un labeur, un processus. Cela exige des efforts, de la modestie, une capacité de travailler les uns avec les autres. Cela veut dire de limiter le péché originel de la gauche qu’on peut appeler le je-sais-tout-isme. Construire un mouvement, cela ne se fait pas sans une vision à long terme qui se traduit en stratégies, en élaborations projetées vers l’avant qui tiennent compte d’une analyse réelle des rapports de forces.

Dans notre société, ce mouvement ne peut pas être construit uniquement et, j’oserais dire, principalement, dans les institutions qui sont à la base du système. Intervenir dans ces institutions est pourtant nécessaire et c’est pourquoi un projet comme Québec Solidaire est important. Néanmoins, il faut utiliser cet espace sans s"illusionner. Les changements importants proviennent toujours des mobilisations populaires, des luttes, surtout celles qui savent utiliser toute la panoplie des moyens qui existent pour faire trébucher ce pouvoir. En gros, c’est cela qu’on appelle la grève. Aujourd’hui devant la triple crise (sanitaire, économique, environnementale) qui s’aggrave sous la forme de l’austéritarisme, il nous faut une nouvelle convergence, quelque chose comme une vision stratégique qui émerge des contingents déterminés de nos mouvements populaires. Contrairement à une certaine mythologie de gauche, il n’y a pas de voie tracée d’avance. Il n’y a pas de victoire « inéluctable », mais comme le disait si justement Bertolt Brecht, « celui qui combat peut perdre. Mais celui qui ne combat pas a déjà perdu ».

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