(Ce texte a d’abord été publié dans l’édition de septembre du journal Ski-se-Dit.)
J’ai été très flatté lorsque le président et la rédactrice en chef de Ski-se-Dit (M. Pierre-Michel Sarazin et Mme Maryse Froment-Lebeau) m’ont offert d’écrire cette chronique mensuelle. Mes liens avec le journal se limitaient alors à l’envoi de lettres à l’éditeur sur divers sujets portant sur la lutte à la pauvreté, sur la justice sociale et sur l’environnement. Comme je leur ai mentionné en acceptant de rédiger cette chronique, je ne suis pas un expert en environnement, n’ayant même jamais travaillé dans un domaine qui y soit lié de près ou de loin.
Mon approche est plutôt celle d’un militant. Je ne crois plus, d’expérience, que l’on puisse par exemple créer la volonté politique de procéder aux changements nécessaires sans d’abord conscientiser une très grande partie de la population aux enjeux en cours. Ce serait certainement bien que les pouvoirs politiques soient nos alliés et les alliés des mouvements progressistes dans ce domaine, mais ils ne le sont pas, il faut le reconnaître, pas plus qu’ils ne le sont en matière de justice sociale et de lutte à la pauvreté. Nos avancés dans ces domaines l’ont en effet été de haute lutte, par la conscientisation et par la pression populaire d’un très grand nombre de citoyens. Et souvent en exerçant une très vive et très longue pression sur ces détenteurs du pouvoir.
Dénominateur commun
Nos défis en matière d’environnement ont un dénominateur commun et c’est la croissance sans fin de l’économie, croissance érigée en nécessité et en vertu par les décideurs et ceux qui en tirent parti. Il suffit d’interroger les données sur la croissance des économies, sur l’augmentation de la production de biens, sur l’utilisation croissante des ressources, sur l’augmentation des besoins énergétiques et de la population mondiale au cours des derniers siècles ou même des dernières décennies pour s’en rendre compte. C’est là le nœud du problème, de tous nos problèmes liés à la destruction de notre environnement.
Et c’est en ayant comme objectif fondamental la décroissance des économies et de tous ces facteurs que nous parviendrons à moyen ou long termes à nous attaquer sérieusement à nos problèmes environnementaux. Passer d’un type de production énergétique à un autre supposément moins polluant en augmentant constamment notre consommation énergétique ne sert qu’à déplacer le problème ou à le remplacer par un autre. S’il nous faut cesser d’exploiter les énergies fossiles, ce que nous devons absolument faire, il convient également de ne pas polluer l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons par l’exploitation sauvage de nos ressources, la fabrication d’instruments de substitution (je pense au batteries des autos électriques) et la création de nouveaux besoins.
Nous ne pouvons pas, en gardant cette priorité à l’esprit, nous en remettre aux hommes et femmes politiques et encore moins aux entreprises multinationales. L’approche du gouvernement du Canada dans ce domaine, depuis des années, est probante, qu’il soit libéral ou conservateur. Elle en est une de perpétuelle croissance de la consommation de biens et d’énergie.
De toutes les décisions prises en haut lieu, que ce soit au Canada ou ailleurs, au sein d’organismes internationaux ou autres, aucune ne remet en question ou ne crée même de liens entre nos défis environnementaux et cette croissance sans fins des économies mondiales. Même que les engagements qui parfois en découlent ne sont presque jamais suivis des mesures nécessaires à leur réalisation. Qu’on pense aux engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique adoptés lors de la Conférence des Parties (COP) tenue à Paris en 2015. Les intérêts financiers et économiques y demeurent toujours ceux auxquels on accorde la priorité absolue.
Population mondiale
L’augmentation de la population mondiale au cours du dernier siècle ne saurait mieux illustrer cette augmentation croissante de la consommation de biens et d’énergie dans le monde. Elle doit cependant être considérée en tenant aussi compte de la consommation moyenne de biens et d’énergie par personne.
En raison des progrès aux niveaux de l’hygiène, de l’alimentation et de la médecine, la population mondiale s’est accrue au cours du dernier siècle plus rapidement qu’elle ne l’avait fait jusque alors. Elle était d’environ 200 millions en l’an 0, 300 millions en l’an 1000, 1 milliard en 1800 et 1,6 milliard en 1900. Elle est ensuite passée à 1,86 milliard en 1920, à 2,30 milliards en 1940, à 3,03 milliards en 1960, à 4,46 milliards en 1980 et à 6,14 milliards en 2000, pour se situer à plus de 8,17 milliards aujourd’hui. Selon un rapport publié en mai dernier par le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, la population mondiale devrait encore croître de deux milliards au cours des prochains 60 ans, pour culminer à environ 10,3 milliards au milieu des années 2080. On prévoit alors que la population devrait commencer à diminuer tranquillement – si rien bien sûr ne vient perturber ce ralentissement.
Il est bien sûr souhaitable que cette réduction de la population mondiale s’effectue le plus rapidement possible. Il faut cependant tenir compte de ce qui constitue probablement le facteur le plus important de ce ralentissement, soit l’amélioration des conditions de vie dans le monde et donc l’augmentation de la consommation de biens et d’énergie par personne. Si l’on prévoit une telle stabilisation puis diminution progressive de la population mondiale dans 60 ans, c’est en considérant que les populations les plus pauvres auront éventuellement accès au niveau de consommation que l’on retrouve chez les populations des pays riches. Le taux de fertilité (naissances par femme) dans les pays riches est inférieur à 2,1 enfants, soit au seuil de remplacement. Il était par exemple entre 1960 et 2021 de 1,43 enfants au Canada, de 1,66 aux États-Unis, de 1,83 en France, de 1,58 en Allemagne et de 1,25 en Italie. Il était par contre de 6,16 au Congo, de 5,98 en République centrafricaine, de 5,30 en Angola, de 5,09 au Burundi, de 4,97 au Bénin et de 4,16 en Éthiopie.
Le seuil de remplacement, qui est de 2,1 enfants, correspond au nombre moyen d’enfants par femme nécessaire pour que chaque génération en engendre une suivante de même effectif.
La croissance moins rapide de la population jusqu’à ce qu’elle se mette à diminuer éventuellement dans 60 ans s’avère donc intrinsèquement liée à une très forte croissance de la consommation d’énergie et de biens par habitant dans le monde. En somme à une fragilisation de plus en plus grande de notre environnement…
Consommation d’énergie par habitant
Pour nous en tenir seulement à la consommation d’énergie par habitant, mentionnons qu’elle est fort élevée mais plutôt stable dans les pays les plus riches. En nous en tenant aux mêmes pays que pour le taux de fertilité, elle est de 70 550 kilowattheures (kWh) par année au Canada, de 76 117 kWh aux États-Unis, de 27 968 kWh en France, de 39 050 kWh en Allemagne et de 18 045 kWh en Italie. Elle a cependant augmenté de façon phénoménale dans de nombreux pays de 1965 à 2023 : de 1 468 % en Chine (de 2 122 kWh à 33 267 kWh), de 1 111 % en Indonésie, de 1 648 % au Vietnam, de 1 852 % en Thaïlande, de 2 501 % en Corée du Sud, de 56 370 % à Oman, de 969 % en Malaisie, de 943 % au Qatar, de 904 % en Iran, de 694 % en Équateur, de 678 % en Turquie et de 671 % en Algérie. Les données sur la consommation de biens suivent la même tendance...
L’augmentation de la population au cours des 60 prochaines années combinée à l’augmentation de la consommation d’énergie et de biens par habitant de la planète, on le voit bien, constitue notre principal défi en matière de protection de l’environnement. Les politiques comme celles sur la taxe carbone ou encore en vue du remplacement d’un type de production d’énergie par un autre, si importantes soient-elles à court terme, demeurent insignifiantes par rapport à ce constat. Les trois quarts de l’environnement terrestre ont été significativement transformés par l’action humaine jusqu’ici sans que nous en connaissions toutes les conséquences à long terme. Nous ne pouvons poursuivre dans ce sens. À la lumière de telles données, lutter contre la destruction de notre environnement c’est avant tout et globalement travailler dans une optique de décroissance.
En l’absence de démocratie directe, ce que je considère comme la seule véritable forme de démocratie, nos moyens d’action restent les mêmes : en parler d’abord entre nous, dans les médias sociaux, dans les journaux, convaincre ces derniers d’en parler aussi, de prendre position en ce sens à la lumière des faits et amener des députés et des partis progressistes à le faire aussi. La multiplication de ces gestes au départ isolés, il faut l’espérer, aboutiront à des courants puissants...
Sources
Jean-Pierre Favennec et Yves Mathieu (2014), Atlas mondial des énergies, Éditions Armand Colin.
Gilles Pison (2019), Tous les pays du monde, Population et Sociétés, no 569.
Béatrice Salviat, Brigitte Proust et Katia Allégraud (2015), Une énergie, des énergies , Éditions Berlin. 2015
Sites Web du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, de l’Institut national d’études géographiques (France), de Wikipedia, de Worldometer, d’Alloprof, de Perspective Monde, de Connaissance des énergies et d’Hydro-Québec.
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