Près de 44 millions d’Américains vivent sous le seuil de pauvreté, selon un rapport rendu public, jeudi 16 septembre, par le Census Bureau (équivalent de l’Insee aux Etats-Unis). Presque 4 millions de personnes ont sombré dans cette catégorie en 2009, première année du mandat de Barack Obama. Au total, ils sont 6,3 millions à avoir rejoint les rangs des « nouveaux pauvres » au cours des deux dernières années.
Ces données ont pourtant « rassuré » les prévisionnistes : la plupart craignaient une augmentation plus forte de l’extrême précarité. Aux Etats-Unis, le seuil de pauvreté se situe, pour un individu, à 10 830 dollars bruts annuels avant impôts (près de 8 400 euros, soit 700 euros par mois), et au double (21 954 dollars) pour un couple avec deux enfants.
Plus du quart des Noirs et des Hispaniques vivent sous le seuil de pauvreté, plus de deux fois et demi le taux constaté parmi les « Blancs non hispaniques ». Plus de 30 % des pauvres sont des femmes seules avec enfants et la proportion de mineurs parmi les pauvres est une fois et demie supérieure à la moyenne nationale.
Ces données sont les plus spectaculaires de ce rapport, qui étudie également l’évolution des revenus et de la couverture maladie. Et les éléments qu’il fournit sont tout aussi symptomatiques des mouvements socio-économiques profonds qui ont récemment affecté les Etats-Unis.
Ainsi, le nombre des personnes dénuées d’assurance-maladie a fortement augmenté sur la période étudiée, qui a précédé la réforme de la couverture santé de M. Obama, dont les principales mesures n’entreront en vigueur qu’en 2013. Si un Américain sur sept est un pauvre, une proportion plus grande encore - un sur six - ne dispose pas d’assurance-maladie.
Ces nouveaux exclus de la santé sont souvent des chômeurs récents, le système privé américain faisant dépendre la détention d’une assurance-maladie de l’emploi. Or le nombre des salariés américains est passé, en 2009, de 145 millions à 140 millions, et celui des chômeurs de 9 millions à 14 millions. Quant au « revenu médian réel » d’un foyer, il a reculé de 0,7 % en moyenne (mais de 4,4 % parmi les Africains-Américains).
Ce rapport met en exergue plusieurs éléments constitutifs de la crise américaine. Ainsi, ce sont les « classes moyennes basses » - autrement dit les salariés à faibles revenus et précarisés - qui en ont été à l’origine. Ce sont eux qui ont fourni le gros des bataillons d’emprunteurs immobiliers soudainement devenus insolvables ; eux qui ont aussi été les premières victimes des expropriations ; eux qui, une fois expulsés de leur appartement, ont perdu leur emploi et dans la foulée leur assurance-maladie.
Le paradoxe est que l’explosion de la pauvreté est plus forte que lors de l’importante récession de 1981-1982 - Ronald Reagan avait alors pris les rênes du pays -, alors que l’impact de la crise actuelle sur le revenu des ménages est... moins fort qu’à l’époque (le revenu médian avait chuté de 6 %, contre seulement 4,2 % sur 2008-2009).
L’explication réside dans un double phénomène. D’abord, le chiffre pour 2009 pris séparément est trompeur : c’est fin 2005 que le pouvoir d’achat des familles américaines a commencé de décliner, deux ans avant que n’éclate la bulle des subprimes. L’année 2009 s’est ajoutée à trois ans de rétraction préalables du revenu.
Plus globalement, la décennie 2000 a été marquée par un recul du revenu médian du foyer type (deux parents, deux enfants) : de 51 295 dollars en 1998, il est tombé, en 2009, à 49 777 dollars.
En second lieu, la faible protection sociale dont bénéficient les salariés aux Etats-Unis a joué un rôle prépondérant. M. Reagan avait hérité d’un système de protection largement hérité de celui instauré par le président Roosevelt dans les années 1930, et dont il a entrepris le démantèlement. M. Obama a, lui, hérité d’un système de protection sociale amaigrie en trois décennies. Le rapport montre que, la crise venue, cette absence de protection a eu des effets sociaux lourds. Enfin, le retour aux bénéfices des entreprises qui a accompagné la reprise économique fin 2009 n’a eu aucune incidence sur le pouvoir d’achat des salariés, au contraire.
A six semaines d’élections générales, à qui la publication de ce rapport bénéficie-t-elle politiquement ? Pour les républicains, démonstration est faite que le gigantesque plan de relance adopté début 2009 a été un gaspillage d’argent public. Michael Tanner, du groupe de réflexion « ultralibéral » Cato Institute, se gausse d’un gouvernement qui « gère 122 programmes différents de lutte contre la pauvreté » pour en arriver à... d’aussi pauvres résultats.
M. Obama, dans un communiqué, a indiqué que 2009 avait atteint « les profondeurs de la récession » ; manière de dire que, grâce à sa politique, le pire est passé. Point de vue résumé ainsi par l’analyste David Leonhardt sur son blog « Economix » du New York Times : « Aussi laid que puisse paraître ce rapport, il aurait pu être bien pire. »
CYPEL Sylvain
* Article paru dans le Monde, édition du 18.09.2010