Édition du 23 avril 2024

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Économie

La question de la dette mondiale

Le samedi 27 janvier 2018, environ 200 personnes ont participé à la conférence internationale “La question de la dette mondiale” organisée par le CADTM Italie en collaboration avec le diocèse de Pescara.

tiré de : Objet : [CADTM-INFO] BULLETIN ÉLECTRONIQUE - Mardi 6 février 2018

Pourquoi la dette est une question mondiale ? Parce qu’il s’agit d’un phénomène présent partout dans le monde et à n’importe quelle période historique avec des différences plus ou moins importantes. Parce que la dette publique, et dans certains cas la dette privée, affectent tout le monde. Certaines dettes deviennent parfois armes de destruction massive pour les peuples provocant crise économique, augmentation de la pauvreté et des inégalités, migrations. Comme pour d’autres pays européens, la récente crise de la dette italienne, produit de la crise financière de 2007-2008, a signifié coupes dans les secteurs publics (surtout au niveau local), privatisations et augmentation des taxes |1|.

La matinée a été consacrée à l’analyse comparative des conséquences de la dette dans différents pays du monde et aux solutions possibles.
Pour Fathi Chamkhi de RAID-ATTAC-CADTM Tunisie, la Tunisie traverse depuis 2008 la crise économique la plus longue de son histoire. Dans cette crise, la dette joue un rôle important puisque elle fonctionne comme une arme contre-révolutionnaire. Par peur que la révolution de 2010-2011 mette fin au modèle néolibéral, en mai 2011, les puissances mondiales du G8, le FMI, la Banque mondiale et les pays du Golfe ont offert d’énormes prêts à la Tunisie, au Maroc, à la Jordanie et à l’Égypte. Ces prêts imposaient en échange de conditionnalités : ouverture aux marchés, privatisations et libéralisations. Suite à cela, la situation économique ne s’est pas améliorée. Au contraire, la Tunisie peine à repayer ces prêts et en trouver des nouveaux.

Aujourd’hui 34% des recettes fiscales de l’État vont au remboursement de la dette, ce qui dépasse de loin les postes pour l’éducation et la santé. Voilà pourquoi selon Fathi la « souveraineté de l’État tunisien est passée dans les mains de la Commission européenne et des institutions internationales ».

Selon l’archevêque de Pescara, Tommaso Valentinetti, la dette publique n’est pas une question à résoudre à travers la charité ou l’assistanat mais en cherchant les racines profondes du problème pour les éradiquer. La dette n’est plus uniquement un problème « réservé » aux pays du Sud : elle a traversé les frontières pour arriver dans les pays dits développés en enfonçant la classe moyenne dans la pauvreté. Aujourd’hui 1% de la population mondiale détient 80% de la richesse du monde, alors que la majorité se partage avec les miettes restantes.

Pour en finir avec ce système, nous explique Leonardo Becchetti, économiste à l’Université de Rome Tor Vergata, il faut rétablir l’équité du commerce. Pour cela, il est nécessaire d’augmenter la rétribution du travail et de donner droits et dignité aux travailleurs et travailleuses, contre le dumping social et environnemental pratiqué par les grandes entreprises privées.
Le système dans lequel nous vivons crée des inégalités puisque les institutions financières sont orientées vers la maximisation du profit. Il est donc nécessaire de diversifier les activités bancaires (en privilégiant des banques éthiques, coopératives...) pour éviter que les grandes banques privées dominent et gèrent le marché de prêts. En Italie comme ailleurs, le crédit aux petites et moyennes entreprises n’arrête pas de diminuer depuis 12 ans. Il est donc nécessaire de remettre en discussion les salaires et les bénéfices de grands managers, le TSCG et de promulguer une profonde réforme fiscale (à partir de la réforme de la TVA) en faveur des citoyen-ne-s.

Massimo Pallottino de l’association catholique Caritas, revient sur la thématique des inégalités qui est selon lui expression d’une accumulation du pouvoir économique parallèle à l’accumulation du pouvoir politique et social. Les plus pauvres qui auraient besoin d’un vrai changement de société sont aussi ceux et celles qui sont le plus vulnérables et qui n’ont pas les moyens de promouvoir le changement dont on aurait besoin.

Pallottino a participé en tant que représentant de la délégation italienne au Jubilé 2000 qui a mené à l’annulation de créances italiennes envers la Guinée et la Zambie et qui a mobilisé des millions d’Italiens. La campagne contre la dette est une campagne politique fondamentale puisque la dette est un signe des inégalités et de l’injustice globale. Voilà pourquoi selon Pallottino une campagne sur la dette est une campagne de justice sociale : “Dans les années qui viennent, on aura besoin d’une mobilisation similaire à celle des années 2000. Probablement cela sera la seule possibilité de réaliser un développement véritablement humain”, ajoute-t-il.

Après nous avoir rappelé les différents types de dettes qui peuvent être contestées selon les principes du droit international, Eric Toussaint nous explique à quoi une dette devrait servir.

Selon le porte-parole du CADTM International, aujourd’hui une dette est légitime si elle sert à résoudre la crise humanitaire, économique, sociale, climatique et si elle répond à tous les autres enjeux de la modernité. De plus, pour reconnaître la légitimité d’une dette, il ne suffit pas de considérer les finalités de celle-ci ; il faut également analyser les modalités de l’emprunt. Quand on emprunte auprès des banques privées qui émettent des titres sur les marchés financiers, cela pose, selon l’intervenant, des questions éthiques et morales.

Une dette illégitime peut par exemple être parfaitement légale comme celle contractée pour sauver la banque française- belge-luxembourgeoise Dexia qui a avait également prêté aux communes italiennes. Cette dette -comme d’autres dettes illégitimes- a été contractée pour favoriser une minorité déjà avantagée.

Pour faire face donc aux dettes illégitimes, l’outil privilégié par le CADTM est l’audit citoyen de la dette. L’audit sous le gouvernement équatorien a en particulier eu des répercussions très positives sur la situation sociale et économique du pays |2|. Malheureusement la même chose ne peut pas être affirmée dans le cas de la Grèce puisque le gouvernement Syriza n’a pas pris en considération les recommandations de la Commission parlementaire d’audit de la dette créée en 2015, mais a au contraire accepté les conditions imposées par l’Eurozone et renforcer les mesures d’austérité, première cause de la crise humanitaire en Grèce |3|.

La leçon à apprendre est donc qu’il faut savoir désobéir aux créanciers et aux impositions des institutions financières internationales et européennes.
Voilà pourquoi, selon Eric Toussaint, malgré les différences entre projets politiques portés par les différentes composante de l’Assemblée du 27 janvier, il est important de poursuivre le débat sur la dette publique italienne et de continuer à se mobiliser autour de la question dans le but de renforcer la lutte contre la dette illégitime.

Cristina Quintavalla, militante pour la Commission d’audit citoyen de la dette de Parme et pour le CADTM Italie rappelle que 270 communes en Italie sont en procédure de pré-crise |4| et beaucoup d’autres en difficulté de paiement.
Les effets de politiques d’austérité se répercutent en effet surtout au niveau local : la camisole de force imposée aux municipalités est due à l’effet conjoint des coupes dans les transferts publics et aux impositions du TSCG opérées au niveau des municipalités.

Depuis le début de la crise, les coupes dans les transferts aux communes s’élèvent à 30 milliards d’euros, tandis que les fonds pour les politiques sociales ont diminué d’environ 58%. De plus, dans les caisses communales se trouvent actuellement un total de 5 millions d’euros réservés au paiement de la dette. Cet argent ne peut donc être utilisé pour des dépenses sociales : les municipalités sont au contraire obligées d’augmenter la fiscalité pour faire face aux besoins de la collectivité.

Dans l’après-midi, les travaux ont porté sur la possibilité d’enquêter sur la dette italienne et de mettre en place une Commission nationale d’audit de la dette.

Danilo Corradi de Communia et du CADTM Italie nous a démontré que l’augmentation de la dette qui s’est vérifiée surtout à partir des années 1970 n’est pas le résultat d’une augmentation des dépenses publiques de la part de l’État italien mais d’une réduction des recettes qui se relèvent bien inférieures à celles d’autres États européens (jusqu’à 10% par rapport à la France et à l’Allemagne). Il est intéressant aussi de rappeler que l’Italie a vécu à plusieurs reprises de décotes de sa dette publique. En 1925, les États Unis ont restructuré leurs créances vis-à-vis de la Péninsule et en 1926 la dette envers l’Angleterre a été diminuée de 50%. De plus, les deux paiements ont été totalement suspendus dans les années 1930. Selon Francesco Gesualdi, du Centre Nouveau modèle de développement et du CADTM Italie, l’Italie est dans une situation d’esclavage monétaire à cause des taux d’intérêt
sur sa dette. En 2017, la dette accumulée était de 2.250 milliards d’euros (soit 132% du PIB). De ce montant, le paiement des intérêts représente entre 70 et 90 milliards d’euros par an.

Il est évident qu’un audit de la dette afin d’alléger le poids de ces remboursements et d’annuler les dettes illégitimes est plus que jamais urgent. Selon Francesco, cet audit devrait être accompagné par d’autres mesures progressistes (comme une taxation progressive, l’interdiction de dérivés , la lutte contre l’évasion fiscale, etc.).

Marco Bersani, président d’Attac Italie et membre du CADTM Italie, a conclu l’après-midi en rappelant la nécessité de construire une campagne de sensibilisation sur la dette publique pour d’une part faire en sorte que les citoyens soient vigilants sur cet enjeu d’importance fondamentale et de l’autre pour faire le pont entre cette bataille et les luttes contre les privatisations, l’augmentation des frais des services publics et les grands projets inutiles. Dans toutes ces luttes, la dette joue un rôle fondamental puisque elle est la cause ou la conséquence directe de ces politiques. Voilà pourquoi une convergence des luttes dévient nécessaire pour que nos revendications soient efficaces et aient un impact.

Merci à Christine Pagnoulle pour sa relecture

Notes

|1| Les présentations complètes et les différentes interviews réalisées sont disponibles sur sur http://italia.cadtm.org/la-question...

|2| Pour approfondir la question voir la vidéo Équateur : Historique de l’audit de la dette réalisée en 2007-2008 : http://www.cadtm.org/Equateur-Histo... et l’article En 2007-2008, l’Equateur a osé dire « non » aux créanciers et a remporté une victoire http://www.cadtm.org/En-2007-2008-l...

|3| Voir Pourquoi Alexis Tsipras a enterré la suspension du paiement et l’audit de la dette bien avant les élections de 2015 http://www.cadtm.org/Pourquoi-Alexi...

|4| Voir à ce propos Les communes italiennes écrasées par la dette et l’austérité : un audit citoyen de la dette, maintenant ! Disponible sur http://www.cadtm.org/Les-communes-i...

Chiara Filoni

Permanente au CADTM Belgique.

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