Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

La réforme d'Obama et le blocage de la reprise

L’ordre du jour réformiste du président Obama et des Démocrates, tel qu’il était, est épuisé. Deux guerres ratées, une reprise économique fragile et presque sans création d’emplois chancelant sur le bord d’une nouvelle récession, et une droite raciste dont l’offensive économique et politique a défini le terrain pour les élections de mi-parcours en novembre et la période qui suivra.

Les éditeurs de ATC (Against the current).
Traduction Françoise Breault

Avons-nous mentionné le déversement de pétrole ? Vous comprendrez une grande partie de la politique des États-Unis aujourd’hui, si vous pouvez résoudre cette énigme : Comment se fait-il que le parti républicain du « Drill, baby, drill," le parti qui est le plus étroitement lié aux pressions de l’industrie du pétrole et à la politique de dérégulation massive, soit le parti qui gagne du terrain malgré cet écocide corporatif ? Et ce malgré le fait que 75% de la population aux États-Unis croit que les compagnies de pétrole devraient être plus réglementées selon un sondage Harris réalisé pour le Financial Times ( le 9 août 2010) suite au déversement de pétrole de BP dans le golfe du Mexique.

A notre avis, la débâcle électorale appréhendée des Démocrates ne découlera pas d’un "virage à droite » fondamental de la population. Ni nous ne considérons d’ailleurs, l’élection historique du président Obama comme un virage majeur à gauche. En 2008, les élites des entreprises, des dizaines de millions de personnes, et pas seulement les électeurs afro-américains, étaient dégoûtés par l’incompétence du régime de George W. Bush et par ses ignobles abus et mensonges. Aujourd’hui, beaucoup de gens, surtout les électeurs blancs dont la vie est dominée par la peur et l’insécurité ne voient pas de résultats tangibles pour eux suite aux plans de sauvetage des entreprises et des banques, ni suite à la réforme extrêmement complexe du système de santé, dont les mérites, quels qu’ils soient, ne les toucheront pas avant des années.

Cette insécurité a alimenté l’attaque des immigrants, et certains militants d’extrême droite testent les ultimes limites à cette folie raciste en proposant d’abroger ou de "réinterpréter" le 14e amendement qui garantit la citoyenneté américaine à tous ceux nés au pays. Il n’y a évidemment pas de possibilité immédiate que cela se concrétise, mais nous avons de nombreux exemples, de Geert Wilders aux Pays-Bas à Avigdor Lieberman en Israël, pour voir comment un point de vue extrémiste d’aujourd’hui peut devenir avec le temps une point de vue politique largement partagé.

Il y a, heureusement, un autre facteur : un « regain d’énergie » perceptible dans l’activité de quelques importants mouvements de base, en particulier par rapport à la loi de nettoyage ethnique contre les immigrés de l’Arizona et autres lois obscènes semblables en instance d’adoption dans d’autres États.

Qu’est-t-il arrivé à Obama ?

Après que le président Obama ait sauvé « le grand capital américain » de la perspective d’un effondrement financier mondial, ce dernier a répondu – c’était prévisible- par un coup de pied dans les dents aux efforts du président de réguler le type de comportement qui a contribué en tout premier lieu à rendre la crise si extrême.

La réforme du système de santé d’Obama est conçu pour transférer des milliards de dollars de subventions publiques à l’industrie de l’assurance ; son plan de sauvetage du secteur automobile leur assure des profits tout en exigeant de fortes concessions des travailleurs syndiqués ; les prises de contrôle temporaires des banques ont assuré profits et bonus aux parasites qui dirigent le secteur financier. Mais pour la classe dirigeante, la question n’est pas « qu’as-tu fait pour moi dernièrement ?" mais "que ferez-vous demain pour moi ?" Le capital corporatif dans son ensemble est maintenant prêt à remplacer "relance" par "réduction du déficit" et, n’en déplaise à Dieu, sans imposer ni les profits ni les riches - même si ce genre de "discipline budgétaire" pourrait être la corde qui étrangle la reprise.

Naturellement, la droite a bondi sur l’occasion, dans ses nombreuses et trompeuses manifestations - le Tea Party avec ses protestations « quoi ? moi raciste ?" tout en diffamant la NAACP, (National Association for the Advancement of Colored People) ; la droite religieuse chrétienne, avec son insinuation à propos du président comme étant en secret un musulman ; les laïcs "libertariens" dont l’idée de liberté se résume à l’abolition de l’impôt progressif sur le revenu, de la sécurité sociale et l’assurance-santé ; pratiquement tous les Républicains du Congrès travaillent pour détruire tout le programme législatif du président, sauf son augmentation désastreuse des dépenses de guerre ; et les fonctionnaires qui veulent sauver "les écoles en difficulté" par des licenciements massifs d’enseignants, la dissolution de leur syndicat pour transférer l’éducation à des écoles privées.

Oups, désolé : Privatiser l’éducation publique n’est pas uniquement le programme de l’aile droite – c’est aussi le programme du propre département d’éducation d’Obama, comme l’indique l’article de Kit Adam Wainer dans le dossier de ce numéro d’Against the Current

Il y a actuellement un momentum politique en quelque sorte : Obama a sauvé le système pour les banquiers et les corporations, qui répondent en l’étiquetant « un ennemi de la libre entreprise » ; les enseignants et autres travailleurs du secteur public ont appuyé massivement Obama, qui les a laissés se faire écraser par le bulldozer de la course vers le sommet. Cette double duperie explique en bonne partie pourquoi l’aile droite bénéficie d’un élan alors que le mouvement libéral est désorienté et démoralisé.

La destruction du pouvoir syndical

Une plus large vision internationale clarifie quelque peu le tableau. A première vue, alors que la fragile reprise a du mal à se maintenir, il est étonnant qu’une manie d’austérité budgétaire balaie la plupart des économies capitalistes "avancées". Dans l’arène des États-Unis il est peut-être compréhensible que les républicains de droite, plus soucieux de détruire la présidence Obama que d’instaurer des politiques rationnelles, bloquent des prolongations de prestations de chômage ou autre nouveau programme de relance, sauf l’accroissement du budget militaire.

Le blocage de tout nouveau stimulus est d’autant plus désastreux que les États procèdent à des fortes réductions en matière d’emploi et de services publics. Voici quelques extraits : "New Jersey a réduit son budget de l’éducation. Idaho a coupé l’aide aux personnes âgées à faible revenu et aux handicapés. Mississippi a éliminé plus de 100 emplois dans son seul établissement public pour les jeunes délinquants. L’Arizona a vendu des immeubles [son Assemblée d’État en fait - ed] et paient une location par la suite." Selon une estimation, l’état de la caisse de retraite de l’Illinois a un trou de 145 millions de dollars. (« États en détresse », Financial Times, 9 août 2010)

En tant que stratégie électorale, cette politique de pure obstruction pourrait même jouer en faveur des Républicains. C’est un peu difficile de comprendre pourquoi les partis au pouvoir, si ostensiblement de centre-gauche comme en Espagne ou de centre-droit comme en Grande-Bretagne, France et Allemagne s’engagent dans des budgets d’austérité tous en même temps, menaçant ainsi de se jeter eux-mêmes et l’ensemble de l’Europe dans des années de brutale récession. La raison invoquée est le déficit budgétaire qui pèse sur l’ensemble de ces économies, et qui s’est manifesté spectaculairement par la quasi-faillite de la Grèce. Mais la crise financière de ce pays est fondamentalement le résultat de cette économie malsaine d’intégration forcée dans la zone euro (ne peut pas déprécier sa monnaie pour alléger le fardeau de la dette), aggravée par le fait que la plupart des pays ne prennent pas la peine de payer des impôts - et la débâcle financière suite à la tenue des Jeux olympiques de 2004 n’a pas aidé non plus.

L’invocation du déficit explique encore moins pourquoi plus grandes économies de l’Europe – celles qui ont besoin d’absorber les exportations et les surplus de travail des plus pauvres si l’Union européenne doit rester viable, sinon prospérer – devrait prendre des mesures qui menacent de les pousser en récession profonde pour les années à venir. Une explication possible est la suivante : la crise offre l’ouverture à la classe capitaliste en Europe de démanteler les gains faits par les travailleurs dans les domaines de sécurité d’emploi, des droits en milieu de travail et des prestations de retraite.

Ces gains de la classe ouvrière ont été érodés ces dernières décennies, mais restent importants (« somptueux », comme ont dit des experts bien rémunérés d’entreprise,) selon les normes états-uniennes. Pour les économistes de l’élite, les commentateurs et les classes dirigeantes qu’ils servent, c’est un scandale et c’est « insoutenable » que les travailleurs du secteur public en Europe, par exemple, puissent prendre leur retraite aussi tôt que dans leur cinquantaine. Ou que l’âge général de la retraite puisse être d’environ 60, à un moment où « la réforme budgétaire" des États-Unis est susceptible de retarder la retraite à 70 et que les pensions à prestations définies aient cédé la place à des plans de "cotisations définies" sujet aux « montagnes russes » du marché boursier.

Sur la scène étatunienne, où le mouvement syndical est déjà si profondément affaibli, les démocrates du Congrès auraient opté pour une sorte de second stimulus pour conjurer le spectre de la récession en W. Les républicains, bien sûr, ont bloqué cela presque complètement - sauf pour une extension, à la dernière minute, des prestations de chômage de longue durée allant jusqu’à 99 semaines (même si de nombreux travailleurs ont maintenant passé ce délai et doivent envisager la misère absolue). Pendant ce temps l’attaque sur le monde du travail, les pauvres et les gens de couleur aux États-Unis a atteint de nouveaux niveaux avec les menaces à l’éducation publique et la reprise du débat pour la privatisation de la sécurité sociale - non pas parce que le capital corporatif a réellement besoin de ces mesures pour restaurer leurs profits, mais simplement parce que c’est en leur pouvoir de le faire.

La sagesse conventionnelle veut que les démocrates vont sérieusement perdre à la mi-session, et c’est probablement correct, non seulement sur le plan national mais aussi dans plusieurs États. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans l’État du Michigan, où Againt the Current est publié, il est possible que nous puissions voir un élan post-électoral pour en faire le premier État industriel du « droit du travail » du Nord . Encore une fois, ce n’est pas parce que le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile ou tout autre grand syndicat constitue aujourd’hui un réel obstacle à l’accumulation du capital - mais simplement parce que le mouvement syndical est affaibli au point où ses ennemis ont la chance d’enfoncer complètement le couteau.

Une vague dans les mouvements de base ?

Encore une fois, nous n’avons aucune illusion qu’ « un virage à gauche » est en train de se produire ou est sur le point de balayer le pays. Cependant, la gravité de la crise et son caractère global - dans l’économie, dans l’environnement : du golfe du Mexique aux glaciers de l’Arctique, de la disparition du plancton dans les océans aux feux de tourbière de Russie et aux inondations au Pakistan, en Palestine et dans notre villes propres – est en train de produire ce que nous voyons comme un regain d’énergie dans les mouvements.

A Detroit, entre 22 et 26 Juin, environ 15 000 personnes ont assisté au Forum Social des États-Unis (USSF). Plus tard, à Toronto, la police fut très répressive en réponse à des mobilisations très importantes de protestation au Sommet G-20. Un mouvement d’appui à BDS (Boycott / Désinvestissement / Sanctions visant l’État israélien et la complicité des entreprises internationales dans l’occupation) et de solidarité avec le peuple palestinien est grandissant. La Palestine fut l’un des thèmes les plus importants, en fait, à l’USSF (US Social Forum).

Encore à Detroit, et aussi à Milwaukee, une forte opposition des mouvements de la base a battu les tentatives fortement soutenues par les élites des grandes entreprises pour mettre les écoles publiques sous « contrôle de la mairie, » ce qui est une façon de réglementer l’éducation en vue du profit privé aux frais du public (nous avons l’intention de couvrir cette lutte plus largement dans les prochains numéros de ce magazine). Le 7 octobre, s’appuyant sur les luttes qui se sont déroulées en Californie et ailleurs, des actions à l’échelle nationale auront lieu pour la défense de l’enseignement supérieur public.

Le 2 octobre une « Marche pour l’emploi, la justice et la paix" à Washington, DC, initié par la NAACP, (National Association for the Advancement of Colored People) et le local 1199, a été approuvée par l’AFL-CIO (American Federation of Labor-Congress of Industrial Organizations)- un événement inhabituel quand une administration démocrate est au pouvoir, même si une grande partie de l’événement sera inévitablement perçue comme un rassemblement électoral plutôt désespéré pour les Démocrates.

Comme l’Afghanistan devient un lieu d’enlisement du président Obama et que l’impasse politique de l’Irak se poursuit, le mouvement anti-guerre s’active à nouveau. Le succès du 23-25 juillet de la Conférence nationale de la Paix à Albany, NY réunissant plus de 600 participants des divers centres d’organisation anti-guerre - tout en comprenant pleinement les limites de tout cela présentement - est le début d’un renouveau de cette lutte.

Les militants les plus héroïques aujourd’hui dans ce pays doivent être ces jeunes sans-papiers qui s’organisent ouvertement pour la réforme de l’immigration « DREAM Act » (The Development, Relief and Education for Alien Minors Act), http://en.wikipedia.org/wiki/DREAM_Act au péril de leur propre vie et de leur avenir pour exiger la fin des atrocités se déroulant aux frontières, dans les centres de détention et dans les lieux de travail où les contrôles informatiques du statut des travailleurs entraînent licenciements de masse, en plus grand nombre aujourd’hui, sous l’administration Obama, que durant le régime méprisé de Bush.

Il y a de bonnes raisons de comprendre pourquoi nombre de ceux qui ont osé espérer que l’élection du président Obama tournerait la page sur la guerre, l’oppression et les inégalités massives ont été amèrement déçus par les piètres résultats. Pourtant, comme le décevant programme de réforme démocrate est au point mort et que la cupidité des grandes entreprises réaffirme son « droit naturel » de dominer, des dizaines voire des centaines de milliers de militants ont entrepris de nouvelles phases dans la lutte pour la justice sociale. C’est là que réside l’espoir dans cette action de masse qui peut changer l’équilibre politique. La lutte des mouvements sociaux, comme cela a toujours été, reste la clé du progrès, indépendamment des résultats électoraux.

ATC 148, Septembre-Octobre 2010

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