Édition du 26 mars 2024

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Politique canadienne

Le NPD et la question québécoise

Le premier candidat à la chefferie du NPD, Brian Topp, se présente comme un Québécois et un politicien « responsable » disposant d’une ample expérience au sein de diverses administrations publiques. Parmi ses expériences marquantes, il a été le chef de cabinet du premier ministre de la Saskatchewan, Roy Romanow, entre 1993 et 2000.

Il faut cependant se souvenir que Romanow a été l’un des architectes de la fameuse « nuit des longs couteaux » en 1981, durant laquelle le Québec s’est retrouvé isolé et ostracisé par Ottawa et les gouvernements provinciaux. Cette douteuse opération, on s’en souvient, fut en fait conçue par Jean Chrétien et Pierre Trudeau, avec l’appui du chef du NPD fédéral de l’époque, Ed Broadbent.

Les leaders fédéralistes, en effet, étaient soucieux d’humilier René Lévesque, alors désespéré de trouver un compromis acceptable évitant le rapatriement unilatéral de la Constitution, selon les termes et principes établis par le gouvernement fédéral. Depuis, Romanow et la plupart des élus provinciaux du NPD sont restés hostiles au Québec. [...]

Créé en 1932, le Co-operative Commonwealth Federation, le CCF (l’ancêtre du NPD) est d’emblée partisan d’un gouvernement central « fort ». C’est la Grande Dépression et l’idée est d’établir un gouvernement fédéral centralisateur pour redistribuer la richesse. Dans ce paradigme (plutôt noble), il n’y a pas de réalité nationale québécoise. De facto, le CCF puis le NPD (né en 1961) ne réussissent pas à s’enraciner au Québec.

Plus tard cependant, des réformistes au sein du NPD proposent que cela change. Ils prônent le bilinguisme et le biculturalisme, reconnaissent même l’existence de « deux nations ». En 1967, à l’impulsion de Charles Taylor, le parti demande un « statut particulier » pour le Québec dans le cadre d’un fédéralisme asymétrique. À l’époque cependant, la radicalisation des mouvements sociaux au Québec s’exprime sous la forme d’un projet conjuguant socialisme et indépendance. La majorité des membres québécois du NPD quittent le parti pour fonder le Parti socialiste du Québec.

À la fin des années 1960, la crise politique est en gestation. À la suite de la victoire de Pierre Trudeau, le NPD remise ces positions sur le Québec de peur de perdre des voix dans le reste du Canada. Ce virage est contesté par l’aile gauche du NPD (les « Waffles »), qui demande ni plus ni moins la reconnaissance du droit à l’autodétermination pour le Québec. Mais cette opposition est marginalisée et le NPD se retrouve sous la même bannière fédéraliste. À son honneur toutefois, le NPD est le seul parti à la Chambre des communes à rejeter l’infâme Loi sur les mesures de guerre en 1970 à l’instigation de Trudeau.

Lors de l’élection du PQ en 1976, le NPD comme les autres partis fédéraux est déstabilisé. Le chef fédéral Broadbent s’investit beaucoup avec le gouvernement fédéral pour vaincre le référendum de 1980, à l’encontre de la majorité des mouvements sociaux et de la gauche au Québec. Pire encore, Broadbent devient un fervent partisan du projet de rapatriement de la Constitution. De pseudo négociations constitutionnelles aboutissent à l’isolement du Québec tel qu’évoqué plus haut.

En 1990, sous l’égide du premier ministre Brian Mulroney, de nouveaux pourparlers ont lieu pour « réintégrer » le Québec. Ottawa veut aller assez loin pour satisfaire les demandes du Québec et accepter de facto un fédéralisme asymétrique. Mais les fédéralistes « purs et durs » s’agitent, parmi lesquels un grand nombre de députés fédéraux et de gouvernements provinciaux du NPD. C’est un député autochtone du NPD au Manitoba, Elijah Harper, qui empêche l’Assemblée législative de cette province d’approuver le projet dit du lac Meech, ce qui fait dérailler tout le processus.

Lors du deuxième référendum, en 1995, le NPD s’allie aux fédéralistes pour rallier le camp du NON, tout en affirmant que le peuple québécois a le « droit de décider ». Sous la direction d’Alexa McDonough, le NPD s’aligne sur les positions du gouvernement fédéral, y compris lors du débat sur la loi dite sur la clarté, qui vise en fait à nier au Québec le droit de décider de son avenir.

Cette évolution du NPD lui cause des torts immenses au Québec et pendant plus d’une décennie, le parti est relayé à un rôle très mineur. En 2003 cependant, avec l’appui de la gauche du parti, Jack Layton est élu chef. Son discours passe beaucoup mieux, d’autant plus qu’il évite les embûches, du mieux qu’il peut. En gros, son discours dit deux choses en même temps : oui, les Québécois forment une nation et ont des « droits » ; la question constitutionnelle est dépassée et n’intéresse plus personne à côté des graves défis économiques et environnementaux.

La situation change à nouveau en 2007 lorsque Thomas Mulcair, un ex-ministre libéral ayant servi sous Jean Charest, est élu lors d’une élection complémentaire dans Outremont. Mulcair est un politicien expérimenté, fédéraliste de coeur qui a combattu comme avocat la loi 101, mais capable de sentir le pouls du Québec. En 2004, au moment d’une rencontre de la section Québec du conseil général du NPD, Mulcair manoeuvre pour que le NPD reconnaisse « le caractère national du Québec dans le contexte fédéral canadien ». Cette « déclaration de Sherbrooke » est présentée plus tard comme la plateforme politique du NPD, ce qu’elle n’est pas. Néanmoins, l’image du NPD change, d’où la vague orange de mai 2011.

L’impressionnante percée du NPD au Québec qui a permis de doubler sa représentation parlementaire ouvre une nouvelle période. Certes, la disparition imprévue de Jack Layton fait en sorte que le défi devient encore plus grand. Une partie indéterminée de la nouvelle députation du Québec semble plutôt souverainiste-progressiste, proche en tout cas de cette large mouvance qui se reconnaît peu ou prou dans les positions de Québec solidaire et de la fraction progressiste du PQ et du Bloc.

Même s’ils sont majoritaires cependant, les députés québécois ne se situent pas au « centre de gravité » du parti, à part Mulcair, qui reste un fédéraliste de conviction. En Ontario et dans l’Ouest, la majorité des adhérents et des députés du NPD ne sont pas plus sympathiques aux revendications québécoises que ne l’étaient Ed Broadbent et Roy Romanow.

Ils continuent à penser, sinon à dire que la question québécoise est une fiction créée par des « nationalistes bornés ». Il y a certes des exceptions, mais les gens qui se trouvent autour d’un noyau consistant de la députation fédérale et dans les partis provinciaux de l’Ouest, restent convaincus qu’il ne faut pas aborder, au-delà de quelques formules vides, l’épineuse question des droits du peuple québécois. [...]

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