Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le couvre-feu : succédané autoritaire de la lutte au coronavirus !

Jusqu’à présent je faisais contre fortune bon coeur et je suivais, bon gré, mal gré, mais consciencieusement les consignes de la santé publique et du gouvernement. Après tout quand il est question de confinement et de lutte à une pandémie, son efficacité, comme on l’a répété tant et tant de fois, tient au fait que chacun s’y tienne. C’est tout au moins ce qui m’avait jusqu’à présent convaincu de faire, comme on dit, "ma part". En prenant avec philosophie tous les désagréments majeurs qui en découlaient : la séparation d’avec autrui, la perte de contacts humains sensibles, la disparition des activités culturelles de socialisation, le télétravail généralisé ou les échanges médiatisés appauvrissants, l’enfermement ou le possible entassement domiciliaire, la difficulté de voyager, etc. Je faisais donc le dos rond, attendant que ça se passe, comprenant que tant de personnes puissent être guettées par une sourde dépression ou même le mal de vivre ? Au fil des mois qui passent, n’est-ce pas aussi, une crise de la sociabilité que nous vivons ?

Mais là cette fois-ci, avec le couvre-feu imposé au Québec, et donc avec cette idée « d’administrer un électrochoc à la population pour enrayer la transmission de la pandémie", c’est comme si le gouvernement avait dépassé les bornes et nous faisait voir en toute lumière les a priori inhérents qui président à ses politiques en matière de santé et de lutte à la pandémie. Et en contrepoint, c’est comme si on ressentait comme jamais l’absence d’une opposition résolue et unie, qui ne soit pas simplement de circonstances et ait le courage de nous proposer de véritables alternatives.

Ne rien bouleverser de l’ordre néolibéral !

Bien sûr en termes d’images, avec ses manières de « vieil oncle tout à la fois bonhomme et père fouettard », le premier ministre paraît faire merveille. Mais je ne parle pas ici de forme, plutôt de fond, et donc des deux seules choses qui importent : l’efficacité de la lutte que nous menons à la pandémie, et l’état de nos libertés, ou si vous voulez la santé démocratique de la collectivité à laquelle nous appartenons. Or non seulement le couvre-feu ne sert ni l’une, ni l’autre, mais plus encore il met brutalement en lumière les soubassements des politiques de la CAQ : ne rien bouleverser de l’ordre néolibéral actuel, et substituer aux riches savoirs de la santé publique ceux, étriqués et technicistes, d’un pouvoir biomédical préoccupé avant tout de contrôle social, et si nécessaire de contention culpabilisante et autoritaire de la population. Le tout, en installant de facto une distinction majeure entre les activités économiques jugées essentielles et les activités de socialisation humaine considérées comme secondaires.

C’est ce qui explique que devant l’avancée de la pandémie, ou plus exactement devant notre manque patent de lits et de personnels pour y faire face (résultat des politiques néolibérales des 30 dernières années !), le seul grand tournant que nous propose le gouvernement est le tournant autoritaire d’un couvre-feu. Un couvre-feu dont on sait pourtant que, s’il n’est pas accompagné d’une pause dans les activités reliés au travail et à l’école, il ne représente aucune garantie sérieuse de réussite. Et dont on sait à l’inverse, qu’en en appelant à la logique policière de la loi et l’ordre, il risque d’aggraver –au-delà même de son caractère liberticide et anti-démocratique— tous les problèmes de sociabilité que nous vivons les uns les autres. Il ne s’agit donc que d’une mesure symbolique visant à nous faire attendre le vaccin et à offrir l’image d’un gouvernement qui agit avec détermination !

À quel type de règles se référer ?

Pourtant la question n’est pas de savoir s’il faut ou non accepter les règles induites par un confinement sanitaire nécessaire, comme se le demandent faussement les complotistes, mais bien de savoir quelles sont les types de règles qui sont le plus à même de nous protéger de la pandémie, sans alimenter par ailleurs d’autres problèmes sociaux ou de santé majeurs. Or, avec ce couvre-feu, ce que le gouvernement oublie –et qu’il a minimisé depuis le début— , c’est qu’il n’y a pas meilleure façon de protéger la santé publique qu’en réactivant –non pas « l’État policier »--- mais « l’État social », et en faisant positivement appel à la population, non pas sur le mode punitif ou culpabilisant, mais –démocratie oblige— sur le mode participatif et pro-actif, tout en s’engageant dans le même temps à financer sans compter, depuis un État revalorisé, tout ce qui peut enrayer la pandémie : tests généralisés et repérages systématiques des cas, large financement d’extracteurs d’air pour les écoles, soutien majeur au personnel de premières lignes, ré-investissement massif dans la santé et l’éducation, soutien véritable à la santé mentale, etc.

Or c’est ce tournant que n’a pas pris et ne veut toujours pas prendre le gouvernement. Après tout, n’y a-t-il pas au Québec, depuis le début de cette pandémie, bien des épidémiologistes, des médecins, des infirmières, du personnel de santé et d’éducation, en somme bien des experts de terrain qui –à l’instar de larges secteurs de la population— ont souffert de cette vision restrictive, étroitement biomédicale et comptable, toujours potentiellement autoritaire, de la santé que véhicule la CAQ ? N’est-il pas temps qu’ils unissent leurs voix pour nous rappeler qu’il existe en la matière d’autres avenues prometteuses qu’on pourrait et devrait d’ores et déjà emprunter ?

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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