Édition du 16 avril 2024

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Le Monde

Les banques au cœur de la crise

La crise financière qui a éclaté en 2007-2008 a failli balayer l’ensemble du système bancaire. Les banques centrales et les États sont intervenus massivement pour apporter leur soutien et sauver les grandes banques privées. On aurait pu penser que ces événements serviraient de leçon et que, pour éviter qu’une telle situation se reproduise, des mesures seraient prises au moins concernant les banques qui ont joué un rôle déterminant dans les mécanismes qui ont conduit à cette crise.

(tiré du site d’ATTAC-France - janvier 2012)

Quatre ans plus tard, force est de constater que les banques poursuivent en toute impunité leurs activités à hauts risques pour atteindre leur objectif de rentabilité et de création de valeur actionnariale, pendant que les rémunérations de leurs dirigeants continuent à grimper. Selon une étude de la société d’analyse financière AlphaValue1, la rémunération moyenne des dirigeants de banques françaises a augmenté de 44,8% en 2010. Aucune régulation sérieuse n’a été imposée aux grandes banques et l’instabilité continue à s’aggraver. Le prix de la crise repose entièrement sur les peuples qui subissent de plein fouet les plans d’austérité que leur imposent leurs gouvernements respectifs, le FMI et le G20.

· Les comportements à risque des banques

Les banques sont essentielles au fonctionnement de l’économie. Leurs activités consistent à recevoir des dépôts, octroyer des crédits, mettre à disposition et gérer des moyens de paiement. Les banques ont de particulier qu’elles créent de la monnaie quand elles octroient des crédits. Mais dans un environnement concurrentiel qui érode les marges d’intérêt, les banques ont, avant comme après 2007-2008, multiplié les comportements à hauts risques. Pour maximiser leur profit à court terme et satisfaire les exigences de leurs actionnaires, elles ont largement développé leurs activités de marché au détriment de leur activité plus traditionnelle de crédit. Les prêts aux ménages et aux entreprises ne représentent plus qu’une part marginale dans leur chiffre d’affaires. Et surtout les banques ont su bien profiter de l’accélération de la mondialisation des marchés financiers, de la dérégulation et de la libéralisation des flux de capitaux, pour développer de nouvelles activités offrant de meilleures perspectives de rentabilité pour leurs actionnaires. Ainsi le mécanisme de la titrisation leur a permis d’accroître leurs revenus en transformant leurs créances en titres vendus sur les marchés. En parallèle les banques ont créé des véhicules hors bilan, comme les conduits et autres SIV2, destinés à accroître le rendement d’un investissement à long terme en le faisant financer à court terme sur les marchés financiers.

C’est ainsi qu’au modèle bancaire traditionnel « originate and hold », où la banque détient un actif jusqu’à échéance avec son rendement et ses risques, s’est substitué un nouveau modèle « originate and distribute » où la banque crée un actif moyennant commission, le cède à d’autres agents et transfère le risque, tout en gardant un droit sur son rendement. Pour ce faire, les banques, régulées et limitées dans l’octroi des crédits en raison de leurs obligations de fonds propres, ont cherché des partenaires eux aussi animés par le désir de profiter de rémunérations plus élevées sur des crédits plus risqués. C’est ainsi que la titrisation a contribué au développement d’un « système bancaire parallèle » ou le shadow banking3, fait de « hedge funds », de fonds divers et variés, de conduits et autres véhicules spécialisés non soumis à des règles prudentielles et qui ont, grâce au recours à un fort « effet de levier », engagé jusqu’à quarante voire cinquante fois leur capital. Cette volonté des banques d’optimiser la gestion de leurs fonds propres et celle des investisseurs d’obtenir des rentabilités plus élevés, ont conduit dans les années 2000 à une croissance vertigineuse du marché des instruments de transfert de risque de crédit qu’il ne faudrait pas croire confinée aux seuls États- Unis. En 2007, les émissions de véhicules de titrisation se sont élevées en Europe à 500 milliards d’euros contre 327 milliards en 2005.

Malgré ces mécanismes de transfert des risques, la crise a frappé de plein fouet les banques pour plusieurs raisons. Elles qui croyaient s’être défaites des crédits risqués par le hors bilan ont été obligées d’en assumer une partie, soit en raison des mécanismes juridiques de garantie des véhicules, soit par la détention de tranches de ces véhicules, en tous les cas en raison de l’interconnexion des marchés et l’interdépendance des acteurs financiers. La dépendance des banques au financement de marché a considérablement augmenté le risque d’illiquidité et la contraction de l’offre de crédit. La liquidité des marchés, y compris celle du marché interbancaire, a été lourdement affectée laissant planer la menace très grave d’une illiquidité généralisée du système bancaire et donc d’un risque systémique important.

· Plans de sauvetage du secteur bancaire et crise de la dette souveraine

Face à ce risque, des interventions et des plans de sauvetage sans précédent ont été adoptés en faveur des banques et du secteur financier. Les mesures prises pour renforcer les fonds propres des banques, pour maintenir leur accès au financement et limiter les pertes lourdes qu’elles encourraient, ont fortement dégradé les déficits publics et alourdi la dette publique. A l’heure d’aujourd’hui, il est encore impossible d’obtenir des chiffres précis, en raison de l’opacité qui règne et de la volonté de la Commission européenne, des États en général et du gouvernement français en particulier, de relativiser l’aide apportée.

En France, le gouvernement a adopté l’attitude « circulez, y a rien à voir », il prétend que le sauvetage des banques n’a rien coûté, qu’il aurait même rapporté. Cette dernière affirmation témoigne d’une volonté de minimiser l’aide apportée, doublée d’une vision réductrice et à très court terme. Car elle occulte les coûts permanents induits par les aides publiques, elle ne tient nullement compte du manque à gagner pour l’État, des risques de défaut à venir et dont le coût final n’est pas connu à l’avance comme l’illustre le cas de Dexia. Bien que l’exercice soit difficile, nous allons en donner quelques exemples, un petit aperçu d’éléments qui permettent de mesurer l’ampleur des aides apportées au secteur financier ainsi que des « omissions » qui visent à en relativiser l’importance.

Commençons par la recapitalisation de Dexia et de la BPCE, à hauteur de 3 et 5 milliards d’euros, somme que l’État ne récupérera pas dans le cas de Dexia. Vient ensuite la création de la Société de financement de l’économie française (SFEF) et les 17 M€ que l’État a investis pour la doter d’un capital, qui sont immobilisés sans rémunération jusqu’à sa liquidation. La SFEF a procédé à vingt émissions de dette garanties par l’État pour un montant total de 76,9 milliards d’€ qui lui ont permis de consentir des prêts bancaires à treize établissements de crédit. Ces encours de prêts courent jusqu’en 2014 avec un risque de défaut de remboursement jusqu’à cette date. En rémunération de sa garantie, l’État a certes perçu 1,4 Md€ pour l’ensemble de la période de soutien, mais les prêts de la SFEF ont permis aux banques de bénéficier d’un refinancement nettement moins coûteux que les conditions de marché de l’époque. L’écart entre les prêts consentis par la SFEF aux banques et les conditions de marché a atteint 100 points de base à la fin de l’année 2008, puis 40 points de base à la fin du 1er semestre 2009 par rapport au taux des émissions non sécurisées qu’elles pouvaient effectuer sur le marché. Les banques ont ainsi bénéficié d’un avantage de financement de plusieurs centaines de millions d’euros. De toute évidence le gouvernement omet ce « détail » quand il rend compte de l’aide qu’il a apportée aux banques. Un autre « oubli » concerne le plafonnement de la plus-value de rachat des actions à 3%. Lorsque l’on voit l’évolution des cours de bourse des grandes banques françaises entre le moment où l’État est entré au capital et où il en est sorti, il apparaît clairement que l’État français s’est privé de plusieurs milliards. Pour s’en faire une idée, on peut calculer la différence entre le prix payé par les banques lors du rachat des actions de préférence et la moyenne des cours de bourse pondérée par les volumes quotidiens d’échange de l’action BNP Paribas et de l’action Société Générale sur la période de 30 jours précédant la date de rachat (soit respectivement, 56 € contre un prix de souscription de 27,24 € et 48,66 € contre un prix de souscription de 37,74 €). Le manque à gagner s’élève à 5,3 milliards d’€ dans le cas de BNP Paribas et à 492 millions d’€ dans le cas de la Société Générale. Il est tout à fait dommage que l’État ait jugé bon de ne pas profiter de l’augmentation des cours de bourse de ces banques, alors même que leur rétablissement est largement dû aux aides qu’il leur a apportés.

Un autre exemple qui permet de mesurer la générosité de l’État quand il s’agit des établissements de crédit, c’est celui des fonds d’épargne collectés au moyen des différents livrets (livret A, livret de développement durable, livret d’épargne populaire…). Ces fonds étaient historiquement centralisés par la Caisse des dépôts et consignations. Désormais l’épargne collectée est décentralisée pour partie au sein des établissements collecteurs. Ce dispositif représente une source de revenu tout à fait appréciable pour les banques par les temps qui courent. En effet, la rémunération des épargnants avait été abaissée à un taux de 1,25% en août 20094 alors que les prêts s’effectuent en moyenne à un taux de l’ordre de 5%. En tenant compte d’un coût de collecte de 0,6%, ces mesures génèrent une marge pour les banques de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros.

Dès octobre 2008, la BCE a abaissé ses taux directeurs : ainsi, le taux applicable aux opérations principales de refinancement est passé de 3,75% à 1,00% en mai 2009. Toutes les demandes de prêts ont été servies à taux fixe. La BCE a élargi la liste des actifs admis comme collatéraux, jusqu’à accepter des actifs de qualité moyenne inférieure (notés BBB). Elle a surtout proposé trois opérations de refinancement au taux fixe de 1% sur une durée d’un an, portant sur des montants illimités, alors qu’habituellement ce sont des montants limités alloués au plus offrant. De même, les rapports annuels des comptes de la Banque de France5 font apparaître que le refinancement net banque centrale est passé de 13 636 millions d’€ fin 2007 à 38 022 millions d’€ fin 2010, le tout autour de 1%, soit des conditions nettement avantageuses de refinancement.

Par ailleurs, les banques françaises ont bénéficié d’autres aides publiques. Les contribuables américains ont ainsi financé 19,1 milliards de dollars d’aide au groupe d’assurance AIG qui ont été reversés à des banques françaises au titre des contrats en cours. Sans cette aide, AIG aurait fait défaut, les banques françaises n’auraient pas reçu ces sommes et auraient été en grandes difficultés.

La Société Générale a ainsi reçu 11,9 milliards de dollars, la BNP la somme de 4,9 milliards, et enfin Calyon a reçu 2,3 milliards de dollars6.
Au total, les aides apportées au secteur financier ont représenté des sommes colossales assumées en dernière analyse par les contribuables. La dette publique a augmenté en moyenne de 20 points de PIB depuis 20087 dans la majorité des pays développés, en grande partie en raison de la crise et du sauvetage des banques. Pour autant ces dernières n’ont pas changé leurs comportements à hauts risques, elles ont maintenu leurs activités spéculatives, notamment sur les titres des dettes publiques souveraines. Les banques, protégées par la garantie d’État, empruntent auprès de la banque centrale à bas prix et, avec ces liquidités, achètent des titres la dette publique émis à des taux prohibitifs, spéculant ainsi contre les monnaies des États qui sont leurs garants. Elles ont montré toute leur ingratitude en mordant la main qui les a secourues. En 2010, elles ont accumulé des milliards de gains et sont responsables de la crise de la dette souveraine en Europe. Plus de 80% de la dette totale des pays européens en difficulté, comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, l’Italie et les pays de l’Est européen, sont détenus par les banques européennes.

Elles sont pourtant loin d’être tirées d’affaire, car la situation se caractérise, comme à chaque déchaînement de la spéculation, par une intense instabilité. La crainte qu’un pays comme la Grèce ne rembourse pas ses dettes, le risque de contagion à l’Italie ou à l’Espagne, les soubresauts quasi quotidiens sur les marchés, et les menaces pèsent à nouveau sur le système bancaire européen. Les banques françaises et allemandes sont en première ligne, elles détiennent une masse substantielle des titres de la dette souveraine des pays européens considérés fragiles par les marchés financiers.

Elles voient la valeur de leurs cours en bourse chuter à chaque incertitude suscitée par la crise sur les marchés et, à l’opposé, s’envoler à chaque annonce de plan d’austérité ou autre « réforme » desretraites. Même après avoir été nettement réduites pendant l’été 2011, les expositions des banquesfrançaises aux dettes des pays européens en difficulté s’élèvent au total à 41,6 milliards d’euros, dont30 milliards pour la seule Italie. Et les résultats des « stress tests » subis en juillet 2011 ne changentrien à l’affaire, leur situation demeure inquiétante8 quand on connaît l’effet de levier trop élevéauquel elles ont recours : le total de bilan de BNP Paribas représente 27 fois ses fonds propres et ceratio s’élève à plus de 50 pour la Société générale. La faillite de la banque franco-belge Dexia dudébut du mois d’octobre 2011, après les résultats des stress tests qui la présentaient comme unebanque solide, a parfaitement illustré la gravité de la situation.

En rachetant des titres de la dette souveraine sur le marché secondaire plutôt qu’en aidantdirectement les pays en difficulté, la BCE aide doublement les banques privées : une première foisen leur permettant de se financer auprès d’elle à des taux d’intérêt bas (1 à 1,5%) alors que dans lemême temps ces banques prêtent à un pays comme la Grèce sur une durée de trois mois à des tauxd’environ 4 ou 5%. Une deuxième fois en rachetant aux banques privées qui voulaient s’en défairedes titres de la dette souveraine à un prix bien supérieur à leur prix sur le marché secondaire ou surle marché de gré à gré. En agissant ainsi, les banques ont pu réaliser d’importants profits grâce àl’aide de la BCE et des pouvoirs publics.

Que dans le passé les banques en général, et les françaises en particulier, aient constammentbénéficié de soutiens des États, n’est pas nouveau9. Mais face à des plans massifs généralisés d’aideaux banques et à une intransigeance de la BCE dans sa politique vis-à-vis des États en difficultés,on comprend mal qu’elles puissent poursuivre leurs activités spéculatives sans avoir à en subir lesconséquences. Le fossé ne fait que se creuser entre les pratiques des banques et le discours desdirigeants politiques européens sur la nécessité de moraliser la finance, de rendre les banquescomptables de leurs actes. La relative impunité des comportements bancaires en termes de risques

et l’aléa moral qui en découle en l’absence de toute sanction, même au niveau de leur réputation, nelaisse présager aucun changement sur ce plan à l’avenir. Où sont donc passés les idéologues desmécanismes de marché censés rétablir l’équilibre ? Où est donc passée la discipline de marché quileur est si chère ? Ainsi parmi les banques européennes qui ont connu des difficultés, certaines ontemprunté à la BCE sans que leurs noms soient révélés pour éviter « le stigmate » (500 millions dedollars ont été prêtés le 17 août à une banque et 575 millions à deux banques en septembre). Lesattentions et précautions prises pour secourir les grandes banques privées et ménager leur réputationne bénéficient ni aux États, ni aux collectivités territoriales10, ou aux ménages qu’elles ont contribuéà mettre en grande difficulté par leurs comportements.

· Quelles conséquences sur l’économie réelle

Alors qu’habituellement sur le marché interbancaire national s’échangent en moins de quatre joursdes sommes supérieures au montant du PIB annuel de la France, les banques se retrouvent dans unesituation où elles ne se font plus confiance et ont de plus en plus de mal à emprunter entre elles.
Cela les incite à amasser des liquidités qui pourraient leur permettre d’assurer leur fonctionnementet éloigner la menace d’une faillite quand elles ne peuvent pas emprunter. Plutôt que de les prêteraux autres banques, les montants de cette trésorerie (en milliards d’euros) ont été déposés auprès dela Caisse des dépôts et Consignations, à la BDF et à la BCE et, à partir de fin 2010, en dollarsauprès de la Fed et des banques américaines. Parallèlement, les banques ont resserré leur politiqued’octroi de crédit. Les conséquences d’une telle politique sont nombreuses sur l’économie : baissedes crédits accordés aux ménages pour l’achat d’un logement, baisse des crédits à la consommation,baisse des crédits de plus d’un an accordés aux entreprises pour financer les investissements, alorsque les prêts à court terme vont au contraire augmenter, signe des difficultés de trésorerie desentreprises. Cette réduction significative du volume des crédits accordés, qu’on qualifie de creditcrunch, risque alors d’entraîner une nouvelle récession et une situation que les économistesappellent double dip, caractérisée par une succession à court terme de deux récessions interrompuesseulement par une reprise avortée. C’est quelque chose qui ne s’était plus produit depuis la crise de1929 et qu’on craint aujourd’hui.

Pour contenir les déficits occasionnés par des aides aux banques, aux assurances, à l’industrieautomobile, des politiques d’austérité drastiques ont été partout appliquées : suppression d’emploisdans la fonction publique, coupe dans les prestations sociales et les services publics, réduction desconcours de l’État aux collectivités alors qu’elles rencontrent de plus en plus difficultés à trouverdes financements bancaires. Mais les banques centrales vont continuer à injecter massivement desliquidités, comme l’a indiqué lors de sa dernière conférence de presse à la tête de la BCE Jean-Claude Trichet : la BCE va maintenir »« aussi longtemps que possible » ou en tout cas au moinsjusqu’au 10 juillet 2012, ses actuels prêts hebdomadaires, sans limite de montant et à taux fixe.
Alors qu’avant la crise ces opérations étaient d’un montant limité et à taux variable. Les banquescentrales vont continuer à décharger les banques de leurs actifs les plus risqués, à leur accorder desprêts illimités à taux fixes sans leur demander des comptes et sans s’assurer dans quelle mesure celaprofite à l’économie.

Enfin, l’autre menace qui pèse sur l’économie réelle est liée à l’alourdissement de la charge de ladette publique qui vient justifier dans les discours l’évincement de l’investissement public à l’heuremême où il serait encore plus nécessaire que d’habitude, aggravant ainsi le ralentissementéconomique.

Au total la question fondamentale posée est de savoir dans quelle mesure le système bancaire acontribué à remplir sa mission première qui est celle du financement de l’économie. Tout sembleindiquer que pour augmenter la rentabilité de leurs actionnaires, les banques ont, par leurcomportement, spéculé contre la croissance, l’économie réelle et les États qu’elles étaient censéesservir.

La nouvelle régulation bancaire microprudentielle adoptée

Depuis novembre 2008, le G20 a tenu six réunions et, à chacune d’entre elles, la question de larégulation des banques a été évoquée sans que pour autant des règles strictes aient été prises etimposées. On sait que les banques jouent un rôle particulier dans le financement de l’économie etque ce rôle dépend dans une large mesure de la régulation à laquelle elles sont soumises. La crise aaussi largement illustré les défaillances des accords de Bâle I et Bâle II. La réforme de Bâle III, quiconstitue la réponse du comité de Bâle à la crise, est supposée durcir les exigences, apporter unemeilleure appréhension des risques et éviter qu’ils ne se propagent à tous les secteurs de l’économie. Pour autant, les nouvelles mesures prises ne semblent pas être à la hauteur de ce qui est nécessairepour y parvenir.

La crise a montré comment la complexité et la diversité des instruments de fonds propres rendaientdifficiles l’appréciation réelle de la solvabilité des banques. C’est pour cette raison que le dispositifde Bâle III veut une définition plus stricte du capital réglementaire (non éligibilité de certains titreshybrides, etc.). Les fonds propres de base devront être composés de manière prédominante d’actionsordinaires et des réserves. Deux nouveaux ratios font leur apparition pour permettre d’apprécier lacapacité des banques à résister aux crises de liquidité. Il s’agit en premier du Liquidity coverageratio, qui est un ratio à 1 mois visant à permettre aux banques de résister à des crises de liquiditésoudaines. Le second, le Net Stable Funding Ratio, est un ratio à 1 an qui a pour principe que lemontant des besoins en ressources stables doit être inférieur au montant des ressources stables.
Enfin un ratio d’effet de levier est adopté pour obliger les banques à respecter un rapport entre lemontant de leurs fonds propres et celui de leur total de bilan. Le nouveau dispositif comprendra lamise en place de coussins de rétention et contracyclique, qui ont pour objectif de prendre encompte, dans un cadre macroprudentiel, les risques macroéconomiques liés à une dynamique tropforte du crédit ou une dégradation de l’environnement économique.

Au delà de ce toilettage de la réglementation et du renforcement de la qualité des fonds propres, ilfaut s’interroger si les dispositions de Bâle III apportent les réponses capables de remédier auxgraves défaillances mises en évidence par la crise. D’ores et déjà des voix parmi les banquierss’élèvent pour considérer que ces nouvelles dispositions renchériront le coût du crédit, freineront lefinancement notamment des PME et donc la croissance, alors même que l’application de la réformeest étalée jusqu’en 2019. Des études empiriques (Pollin, 2011) démontrent que tel n’est pas le cas etque le coût de la nouvelle réglementation est faible au regard de l’objectif qu’elle s’est assigné.

Mais le reproche qui peut être fait au dispositif de Bâle III est qu’il repose, comme sesprédécesseurs, sur l’utilisation par les grandes banques de leurs propres modèles d’évaluation durisque pour déterminer les besoins en capital. Pour cela, deux arguments sont avancés : le premierest que les banques auraient plus les moyens et la capacité de développer de telles méthodes que lessuperviseurs et le deuxième est que les banques auraient plus d’incitations à le faire correctement.

Pourtant la crise a bien montré, qu’en réalité, les choses ne se passent pas ainsi. La nouvelleréglementation peut même conduire les banques à développer et renouveler les techniques de horsbilan. Rien n’interdit aux banques le recours aux fonds communs de créances, les special purposevehicules, leur permettant de sortir du bilan des actifs dont le risque est difficile à évaluer. D’où lanécessité d’étendre les exigences prudentielles à d’autres acteurs du marché. Si les nouvellesnormes s’appliquent aux seules banques, le risque est grand de voir migrer une part de l’activité decrédit vers le shadow banking, peu ou pas régulé, ce qui serait encore plus dangereux. Les mesuresà prendre doivent donc avoir pour objectif d’empêcher les institutions financières, banques,assurances, fonds de pension et autres hedge funds, de prendre des risques dont les conséquencesseront portées par d’autres.

· Les premières mesures indispensables à prendre

Parce que les banques jouent un rôle important, parce qu’elles collectent des dépôts et octroient descrédits, parce qu’elles créent de la monnaie nécessaire à l’activité économique, elles sontindispensables. Elles sont réglementées pour assurer leur bon fonctionnement et protéger lesconsommateurs mais elles bénéficient aussi d’un filet de sécurité pour éviter l’effondrement de toutle système bancaire en cas de panique ou de crise majeure. Les filets de sécurité sont publics, lafonction de prêteur en dernier ressort étant exercée par la banque centrale. Aussi au regard ducomportement des banques et du bilan de leurs actions, il est tout à fait légitime de se demander cequ’il fallait faire : fallait-il les sauver ou fallait-il les laisser s’effondrer ? Cette question a étébeaucoup discutée et la réponse est difficile à trouver, car elle ne peut être résumée par oui ou parnon. D’un côté il fallait éviter un effondrement généralisé, mais de l’autre il fallait surtout ne pasattribuer ces aides sans contreparties, sans assurance que cela n’allait pas recommencer. Puisque lesbanques ont renoncé à leur mission première d’intérêt général qu’est le financement de l’économie,qu’elles ont préféré spéculer sur les marchés et utiliser l’aide apportée par les États contre les payseuropéens considérés comme les plus fragiles, la meilleure solution consistait à dénouercorrectement l’entrelacs de dettes plus ou moins pourries dans lequel elles étaient toutes empêtrées,d’exiger d’elles des contreparties aux aides publiques (fin des bonus extravagants, des paradisfiscaux,..). Les États ont apporté des financements publics massifs aux banques pour les sauver dela faillite. Cela donne désormais à la collectivité publique un droit de regard sur le fonctionnementde ces banques, de leurs missions. Les banques renflouées par les fonds publics devront rapidementêtre socialisées, c’est-à-dire nationalisées et placées sous le contrôle démocratique des salariés, descitoyens et des pouvoirs publics. Pour être efficace, cette socialisation devra se faire à l’échelleeuropéenne avec la mise en place d’un pôle financier public, à l’échelon européen. Les banquestrop endettées devront être mises en faillite, sans indemnisation des créanciers et actionnaires quiont accumulé les profits en jouant avec le feu. Quant aux banques de dépôts, une prise deconscience importante se fait dans l’opinion publique pour exiger qu’elles soient mises au servicedes citoyens, pour leur interdire de prendre des positions spéculatives et d’avoir des filiales dans lesparadis fiscaux. Il faut profiter de cette prise de conscience pour séparer nettement les banques dedépôts et les banques d’affaires.

La monnaie étant un bien public, la création monétaire doit être contrôlée par la collectivité et nepeut être décidée par des acteurs privés en fonction de critères de rentabilité. Les banques nedoivent donc pas être régulées par le marché et la concurrence, par la rentabilité et la valeuractionnariale, elles doivent être mises au service de la société dans son ensemble.


Esther Jeffers, membre du Conseil scientifique, est une économiste particulièrement expérimentée, notamment en économie financière qu’elle étudie des deux côtés de l’Atlantique.

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