Édition du 12 mars 2024

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Planète

Les écologistes peuvent-ils s’entendre avec les libéraux ?

Yannick Jadot entend dépasser le clivage gauche-droite au nom de l’urgence écologique. Mais nombre de ses idées sont incompatibles avec la droite et le centre.

tiré de : http://npa29.unblog.fr/2019/06/08/eelv-liberaux-le-monde/

En campagne pour les élections européennes, Yannick Jadot avait clairement annoncé la couleur : « Mon seul adversaire, c’est le dérèglement climatique. » Ses bons résultats du 26 mai n’ont fait que renforcer la conviction du chef de file d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) que le clivage gauche-droite devait s’effacer devant la priorité écologique.

Pour arriver un jour au pouvoir, il entend créer une nouvelle coalition « autour des valeurs de l’écologie », rassemblant élus et électeurs de tout bord, mettant sur le même plan « la personne écolo depuis une heure » et « celle qui est écolo depuis quarante ans ».

M. Jadot semble pour cela déterminé à atténuer l’ancrage historique à gauche de l’écologie politique. Se refusant à condamner l’économie de marché, il préfère désigner comme adversaire le « productivisme » prôné par les partis du « vieux monde » (de la droite modérée à la gauche socialiste, en passant par le centre macroniste), coincés, selon lui, dans une course à la croissance économique. Une position d’équilibriste, tant certaines options politiques défendues aujourd’hui par EELV se heurtent frontalement aux valeurs de ces partis « productivistes »… et de leur électorat.

En se fondant sur la conversion « verte » plus ou moins récente de la quasi-totalité des partis français, dont celui du président Macron, l’écologie pourrait sembler désormais suffisamment consensuelle pour transcender les anciens clivages partisans. Il n’en est rien. Car le diable se niche, comme souvent, derrière la rhétorique.

Nous avons listé les pierres d’achoppement les plus probables entre ces deux mondes, celui des écologistes de longue date et celui des récents convertis, à l’aune de l’évidente urgence climatique.

Nucléaire : des divergences majeures

EELV veut depuis toujours couper la dépendance de la France à l’atome, invoquant à la fois le risque d’accident et la pollution des déchets nucléaires. Le parti écologiste juge possible une fermeture de l’ensemble des centrales en une bonne quinzaine d’années – une idée qui semble faire son chemin dans l’opinion publique.

Emmanuel Macron, comme une grande partie de la droite et des socialistes, reste au contraire attaché à cette énergie « décarbonée ». Ils la considèrent comme le meilleur outil de lutte contre le réchauffement climatique à moyen terme. Le président de la République a repoussé de dix ans la trajectoire (déjà très incertaine) de réduction de la dépendance à l’atome tracée par François Hollande.

Infrastructures : tensions sur les grands projets

En hissant l’intérêt de l’environnement au-dessus des considérations économiques, les écologistes défendent une vision du progrès difficilement compatible avec le libéralisme. Ils s’opposent ainsi à tous les grands projets d’infrastructures, comme la ligne Lyon-Turin ou le grand contournement ouest de Strasbourg, jugés trop coûteux, à la fois pour l’environnement et pour les deniers publics, au regard de ce qu’ils apportent à la société.

Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron est au contraire plutôt favorable à ces grands chantiers – si l’on met de côté l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui tenait davantage du symbole politique que du véritable choix de société.

Agriculture : EELV veut aller plus loin

Si nombre de partis politiques promeuvent l’agriculture biologique, les écologistes affichent des ambitions radicales : ils veulent ainsi affecter la moitié des fonds de la politique d’agriculture commune (PAC) européenne à la conversion vers le bio et le local. La droite et le centre ne sont guère volontaristes sur ces sujets, mettant plus volontiers en avant les intérêts des agriculteurs, de l’industrie agroalimentaire et des chasseurs.

L’écologie politique défend en outre une vision très protectrice du vivant sous toutes ses formes : EELV souhaite par exemple octroyer à la nature des droits opposables devant les tribunaux et encadrer strictement les nanotechnologies susceptibles d’altérer la nature humaine ; le parti de Yannick Jadot préconise une réduction de la consommation de viande, une amélioration des conditions de vie des animaux dans les élevages et la fin des élevages industriels.

Fiscalité verte : recourir à l’incitation pour financer la transition

L’écologie politique et le productivisme macronien convergent en revanche sur le financement de la transition écologique : tous deux sont favorables à l’utilisation du levier des investissements publics pour financer les projets « verts ». Mais il existe un hiatus sur la question sensible de la discipline budgétaire. Alors que la droite se veut intransigeante sur la réduction des déficits, EELV plaide pour une « exception écologique », afin que les contraintes budgétaires ne fassent pas obstacle aux investissements dans la transition écologique.

La fiscalité « verte » fait en revanche partie des terrains où écologistes et « productivistes » peuvent se rejoindre. Il s’agit en effet d’utiliser un outil incitatif – l’impôt – pour corriger les dérives naturelles du marché. Les écologistes sont favorables au principe du pollueur-payeur dans la plupart des secteurs de l’économie, du carburant au plastique non recyclable. Les « productivistes » comme Emmanuel Macron ou son prédécesseur François Hollande souscrivent sur le principe à ces idées, même si les contestations sociales récentes, des « bonnets rouges » (opposés aux portiques écotaxe) aux « gilets jaunes », les ont rendus plus frileux.

Les écologistes recourraient ainsi volontiers à la contrainte pour empêcher les banques françaises de prêter de l’argent pour financer des projets d’énergies « sales » – une mesure difficilement imaginable à droite. Quand Emmanuel Macron s’engage sur une élimination progressive du glyphosate, les écologistes prônent une interdiction complète et rapide de l’ensemble des pesticides et des perturbateurs endocriniens. Quand il programme la fin du diesel et des exploitations d’hydrocarbures pour la décennie 2040, EELV réclame un calendrier beaucoup plus rapide.

Libre-échange : des lignes rouges pour les libéraux

Les accords de libre-échange font figure de lignes rouges infranchissables pour les dogmes du centre et de la droite. Selon les écologistes, ils favorisent la surexploitation des ressources et nourrissent des échanges commerciaux inutiles et générateurs de pollution.

Ces derniers vantent un modèle qui donnerait la priorité aux échanges locaux et aux circuits courts, difficilement compatible avec le libéralisme de la droite et du centre. Ainsi, on voit mal comment leur proposition de favoriser les locaux dans les marchés publics européens et de mettre fin aux subventions de la PAC, qui financent les agriculteurs à l’export, pourrait rencontrer l’assentiment des libéraux. Cet « altermondialisme » trouve à coup sûr un écho plus favorable à gauche, où le libre-échange a moins bonne presse.

Questions de société : un hiatus sur le travail


Les écologistes se heurtent aussi frontalement aux libéraux sur la question du travail. A rebours de l’idée d’émancipation par le travail, chère à la droite, EELV défend dans la plus pure tradition de gauche une réduction du temps de travail, un encadrement des écarts de salaires au sein des entreprises, une augmentation du smic et l’instauration d’un revenu universel. Ainsi qu’une taxation bien plus élevée des hauts patrimoines, en opposition directe avec Emmanuel Macron.

Les écologistes prônent en matière d’immigration une ouverture bien supérieure à celle de la droite et du centre. Favorables à une politique d’accueil généreuse et au très symbolique droit de vote des étrangers aux élections locales, ils appellent de leurs vœux l’extension du droit d’asile aux victimes des aléas climatiques.

Les écologistes rêvent, enfin, d’une politique étrangère « guidée par les droits humains » plutôt que « par l’accès aux ressources ». Renoncer à la dissuasion nucléaire, interdire les ventes d’armes aux dictatures et partager le siège français au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) avec l’Union européenne constituerait des ruptures radicales par rapport à la tradition diplomatique partagée par la droite et la gauche au cours des dernières décennies.

Des convergences sur des questions européennes, de société…

Il existe tout de même plusieurs points de convergence entre les écologistes et les macronistes. Sur la question européenne, favorables à un saut fédéraliste, les écologistes soutiennent comme Emmanuel Macron la politique de défense commune, l’harmonisation fiscale et la convergence sociale (avec un smic et un minimum social harmonisé à l’échelle du continent). Ils combattent également sous la même bannière dans l’affrontement idéologique entre démocraties libérale et illibérale – tout en prônant une protection bien plus étendue des libertés individuelles et de la transparence, et en dénonçant les dérives du discours sécuritaire et de la surveillance numérique.

Sur les questions de société, écologistes et macronistes se retrouvent dans la défense de la procréation médicalement assistée (PMA), de l’avortement et de la contraception, mais les Verts vont un cran plus loin : ils n’écartent pas la gestation pour autrui (GPA), plaident pour une meilleure reconnaissance du changement de sexe et réclament la légalisation de l’euthanasie.

Des questions sociales au logement, nombreux sont les sujets où les écologistes et les partis de gouvernement pourraient s’accorder sur les principes, mais se diviser sur les modalités précises, sans pour autant que cela constitue un obstacle insurpassable. Des convergences sont ainsi perceptibles sur la rénovation énergétique des bâtiments, le soutien aux énergies renouvelables, le développement des transports décarbonés ou la lutte contre l’obsolescence programmée. Mais des désaccords substantiels émergent au moment de prendre des décisions concrètes : EELV défend ainsi quasi systématiquement des options beaucoup plus radicales que celles des gouvernements au pouvoir, jugés trop timides.

Toutes ces orientations dessinent, au-delà de la question écologique, les contours du « nouveau pôle » politique que Yannick Jadot entend imposer dans le paysage politique français. Reste à savoir si, en refusant les « compromis avec le productivisme de droite » et en « s’affranchi[ssant] du productivisme et du nationalisme de gauche », les écologistes pourront un jour convaincre une majorité de l’électorat.

Maxime Vaudano et Jérémie Baruch 05 juin 2019

https://www.lemonde.fr/

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