Le gouvernement Trudeau a livré son budget hier, (le 24 mars) journée internationale de l’eau. Il arrive après une décennie de législations environnementales déprimantes, de coupes paralysantes dans les budgets sur la protection des eaux douces, de musèlement des scientifiques, des organisations environnementales, des militants-es sur les questions des eaux, des dirigeants-es autochtones et de beaucoup d’autres. Les citoyens-nes veulent voir à quels changements ce gouvernement va procéder pour donner un signal clair qu’il va rompre avec l’héritage des législations Harper qui ont tant mis à mal la qualité de nos eaux.
Dans ce budget, il y a une augmentation significative des fonds en faveur des eaux fraiches sur les territoires des Premières nations et pour la construction d’égouts si on les compare aux neuf budgets antérieurs du gouvernement Harper. Le gouvernement Trudeau consacre plus de fonds à la recherche et aux recherches sur les océans et les eaux douces et soutient le Centre de recherche des lacs expérimentaux. Des fonds iront aussi à la lutte contre le phosphore et les algues dans les Grands lacs , pour la protection de toutes les eaux et pour le traitement des eaux usées.
Comment cela se compare-t-il au Budget alternatif du Centre canadien pour des politiques alternatives quant aux enjeux sur l’eau ? Est-ce le « vrai » changement que nous a promis M. Trudeau ? Est-ce que le Canada pourra respecter ses engagements quant aux droits humains à l’eau et à des installations sanitaires correctes avec les fonds prévus dans ce budget ?
Voici mes observations.
Les problèmes des eaux et le traitement des eaux usées des Premières Nations :
Les photos crève-cœur des enfants de Kashechewan avec leurs lésions de la peau ont fait fureur ces jours derniers sur les réseaux sociaux. Beaucoup de gens se sont demandé si les fonds prévus dans le budget seraient suffisants pour que le gouvernement remplisse sa promesse électorale de faire cesser les avis de faire bouillir l’eau. Le budget alloue 2,24 milliards de dollars pour améliorer la qualité des eaux sur les réserves, le traitement des eaux usées et la collecte des déchets aux cours des cinq prochaines années. 141,7 millions de dollars iront pour améliorer, suivre et vérifier la qualité de l’eau potable dans les réserves au cours des prochaines cinq années. En moyenne cela signifie 448 millions de dollars ce qui est proche des 470 millions de dollars que recommande le Budget fédéral alternatif et que l’assemblée des Premières nations recommandaient. Mais comme d’autres allocations dans ce budget, l’essentiel des dépenses est concentré dans les dernières années de la période. Au cours de la première année, le gouvernement prévoit dépenser 296 millions de dollars et 322, au cours de la deuxième. Si on compare cela aux 165 millions annuels du gouvernement Harper c’est une sérieuse amélioration. Mais ça n’a rien à voir avec ce que demande le Budget fédéral alternatif. Le gouvernement Harper avait un groupe d’« Évaluation nationale des systèmes d’aqueduc et des eaux usées des Premières nations » (2009-2011). Le commissionnaire de ce groupe établissait à 1,2 milliards de dollars les sommes dont le Ministère des affaires indiennes et du développement du nord du Canada a besoin pour qu’il puisse faire face à ses propres règlementations et protocoles.
Les rapports de Santé Canada établissaient, le 31 janvier 2016, que 135 avis de mauvaise qualité de l’eau potable étaient en cours dans 86 réserves à travers le Canada.
Parmi ces avis, 27 concernaient 24 réserves en Colombie britannique à la fin de décembre (2015). Au total, il y avait 159 avis de faire bouillir l’eau dans 110 réserves. Un quart de ces avis étaient en vigueur depuis moins d’un an. Moins de 10% l’étaient depuis d’un à cinq ans, un tiers de cinq à dix ans et un autre tiers de dix à quinze ans. Moins de 10% l’étaient depuis plus de quinze ans. Cela signifie que les deux-tiers des avis de faire bouillir l’eau sont en place depuis plus de cinq ans allant même jusqu’à 21 ans. Ces communautés ne peuvent plus attendre. Il faut allouer les fonds nécessaires pour régler ce problème majeur dès maintenant. On ne peut se permettre d’attendre deux ou trois ans de plus. Ces avis de faire bouillir l’eau sont une des plus importantes violations des droits humains à l’eau des membres des Premières nations.
David McDonald, l’économiste sénior auprès du Centre canadien de politiques alternatives, souligne que : « ces sommes sont tirées des fonds alloués pour les infrastructures qui doivent aussi aller aux villes. Il faut qu’elles aillent aux deux ».
Infrastructures municipales d’aqueducs et de traitement des eaux usées :
le budget de 2016, prévoit investir 2 milliards de dollars pendant cinq ans au nouveau fond pour la propreté de l’eau potable et pour le traitement des eaux usées. Cela signifie 400 millions par année. Mais le gouvernement prévoit investir 500 millions la première année et 959 la seconde.
Rien, dans le budget ne fait référence au programme de partenariat public-privé du gouvernement Harper. Il obligeait les municipalités à s’engager dans des ententes risquées avec des entreprises privées pour qu’elles aient accès aux fonds fédéraux pour leurs projets de plus de 100 millions de dollars.
Dans le Budget fédéral alternatif, au chapitre de l’eau, ce sont 6 milliards annuels qui sont réclamés pour créer un fond national sur les eaux publiques potables et le traitement des eaux usées. Il comprend l’aide aux petites municipalités pour leurs infrastructures, pour la formation (de leurs employés-es), la certification et les programmes de conservation. Ces calculs sont basés sur un rapport canadien sur l’état des infrastructures (Canadian Infrastructure Report Card) qui estimait les coûts de remplacement des systèmes dégradés et très dégradés, à 61 milliards $. Il y a une différence majeure entre les 500 millions prévus au budget Trudeau et les 6 milliards dont parle le Budget fédéral alternatif. Pour investir réellement dans des infrastructures vertes et pour renforcer nos communautés, il faut que ce fossé soit comblé.
Science et recherche sur les océans et les eaux douces
Le gouvernement Trudeau s’est engagé à investir 197,1 millions de dollars au cours des prochaines années, soit environ 39,4 millions par année dans Pêches et océans Canada pour que le ministère s’engage dans le développement des connaissances scientifiques sur les océans et les eaux douces. Il devra aussi suivre de près, poursuivre des recherches et donner de l’appui à la zone des lacs expérimentaux du nord de l’Ontario. Le ministère recevra 30 millions de dollars la première année et 38 au cours de la seconde. Ce sont des investissements salués.
Selon des rapports ministériels traitant des plans, priorités et performances, ce sont 73,4 millions de dollars qui ont été retirés des fonds pour les ressources environnementales des eaux du Canada et du programme pour l’étude des systèmes aquatiques durables du ministère Pêches et océans Canada en 2011-12 et 2015-16.
Beaucoup de programmes ont été affectés par ces coupes budgétaires : les études sur les contaminants du milieu marin et la toxicologie, la Fondation canadienne sur le climat et les sciences atmosphériques, la recherche sur l’atmosphère et l’environnement au pôle nord, le Centre canadien pour les eaux sur le territoire, le système des Nations Unies de suivi environnemental et du programme sur les eaux (une banque mondiale sur la qualité des eaux), la Table nationale de la commission de révision et d’information sur l’environnement et l’économie, et sur les matériaux dangereux. Mais les investissements sont faibles si on les compare aux 90 millions de dollars dont parle le budget fédéral alternatif. Les investissements du gouvernement libéral iront à Pêches et océans Canada, pas à Environnement Canada, malgré les coupes qu’a subies le programme environnemental canadien sur les ressources en eaux. Cet investissement est un début, mais à quel programme profiteront-ils et jusqu’à quel niveau ? Cela reste à voir.
Rétablir la protection des eaux douces
Pendant quatre ans, à compter de 2016-17, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, selon le budget 2016, recevra 14,2 millions de dollars sur quatre ans. Elle devra, avec ces fonds remplir les responsabilités que lui assigne la loi canadienne de 2012 sur l’évaluation environnementale. C’est un pas en avant. Mais c’est l’application de cette loi qui a annulé 3000 autres évaluations et réduit l’ampleur des évaluations environnementales. Le gouvernement Trudeau s’est engagé à revoir les changements introduits par la loi de 2012 et à rétablir les protections annulées.
Le 27 janvier dernier le gouvernement a annoncé des principes intérimaires pour guider les évaluations environnementales des projets majeurs. Est-ce qu’il y aura du financement pour de nouvelles évaluations environnementales plus solides au-delà de ce qui est prévu dans la loi de 2012 ? Ce n’est pas clair en ce moment.
La loi sur la protection de la navigation a amputé de 99% les protections sur les lacs et les rivières qui existaient dans l’ancienne loi dite de protection des eaux navigables. Rien n’est dit à ce sujet dans le budget.
La protection des Grands lacs
3,1 millions de dollars sont alloués au Fond pour l’environnement et les changements climatiques des Grands lacs dans ce budget de 2016. Il devra continuer à améliorer la qualité des eaux près des rivages et la santé de leurs écosystèmes en réduisant le phosphore qui alimente les invasions d’algues dans le lac Érié. La plateforme électorale du Parti libéral du Canada comportait un engagement à protéger les Grands lacs et le bassin du fleuve St-Laurent.
Pourtant, le financement prévu n’est guère mieux que ce que le gouvernement Harper a accordé au fil des ans. Il est arrivé que certaines années il n’y ait aucun nouveau financement pour les Grands lacs mais que d’autres années le gouvernement Harper ait alloué 8 millions$.
La présidente du Conseil des Canadiens, Mme Maude Barlow, a parlé de la multitude de menaces qui pèsent sur les Grands lacs. Cela inclut des projets majeurs dans le secteur de l’énergie comme la fracturation, les oléoducs pour le pétrole des sables bitumineux et des installations pour l’expédition du pétrole.
Il faut que les eaux des Grands lacs soient reconnues comme un droit humain, un bien commun public qui doit être partagé, protégé et géré précautionneusement pour que tous ceux et celles qui vivent près de leurs berges puissent en profiter. Pour ce faire il faut absolument que 500 millions de dollars y soient consacrés comme le demande le Budget fédéral alternatif.
Les montants prévus au budget 2016 pour la protection des eaux sont un net progrès par rapport à ce que le gouvernement Harper a fait. Mais ça n’arrive pas à la hauteur de ce qui est requis. Au cours de la décennie qu’a duré le gouvernement Harper, la barre pour la protection des eaux et pour les critères environnementaux a été fixée bien bas. Nous devons nous assurer qu’elle reviendra à la bonne hauteur et que nous continuerons à rechercher des critères stricts pour protéger leur application. Nous ne devons pas accepter ce « qui est mieux que ce que nous avions eu sous le gouvernement conservateur ». Nous devons tendre vers ce qui est adéquat, nécessaire et juste.