Édition du 16 avril 2024

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Les suites du Forum social mondial

Une rencontre a eu lieu samedi dernier convoquée par le Comité du Forum de Montréal, qui a coordonné le Forum d’août dernier. Le bilan qui ressort du FSM est quelque peu mitigé. À un premier niveau, le Forum a été une réussite, principalement sous l’influence des organisations qui se sont mises ensemble (les « espaces ») et qui ont développé des programmes cohérents et riches. Plusieurs intervenants, locaux et internationaux, ont noté que la qualité des débats était généralement élevée. À un autre niveau, le Forum n’a pas été un grand moment rassembleur de la société. Il a eu un rayonnement limité et a été davantage un lieu de ressourcement des militants-es plutôt qu’un grand évènement citoyen comme on l’avait vu auparavant au Brésil ou en Tunisie. Certes, le contexte local et international en 2016 a eu quelque chose à voir avec cela. Un peu partout en effet, les mouvements sont à la défensive. À la place de la convergence qui avait pris forme, notamment en Amérique latine, on a plutôt des ambiguïtés, des divisions. Le Forum social, en fin de compte, est une sorte de miroir des mouvements populaires. Cette situation, par ailleurs, indique le chemin qu’il faudra parcourir dans les prochaines années pour maintenir le Forum en place comme le grand rassemblement qu’il a été.

Vers les forums régionaux

À court et moyen terme, l’avenir des Forums ira dans un sens régional, par exemple par groupes de pays ou par continents. Cela sera nécessaire pour penser des stratégies contre-hégémoniques effectives devant les offensives de droite qui nous assaillent. En Amérique du Nord, les dominants ont créé une fausse démocratie où les pires et les moins pires se disputent le pouvoir, laissant très peu de place aux revendications populaires. Hillary ou Trump, Trudeau ou Harper, le PLQ ou le PQ, traduisent un dispositif assez efficace pour verrouiller le pouvoir et éroder les acquis sociaux des décennies précédentes. Il faudra un extraordinaire surcroît d’énergie et de créativité pour faire face à cet enfermement, à partir des convergences populaires qu’on a réussi à mettre en place au Québec au fil des années. Pour survivre, il faudra se mettre davantage en phase avec les mouvements et les luttes des premières nations ainsi qu’avec les organisations populaires et progressistes du Canada dit anglais. Ce projet un peu utopique a été exploré en 2014 avec le Forum social des peuples. Les obstacles, il ne faut pas rêver en couleurs, sont immenses. Seuls d’indécrottables naïfs vont penser qu’il s’agit de se parler gentiment (en anglais), alors qu’en réalité, il faudra établir clairement ce qui nous divise, comme le droit à l’autodétermination des peuples. Est-ce que c’est possible ? Je pense qu’il faut essayer.

Construire des projets contre-hégémoniques

Dans le passé, les Forums ont été un peu de vastes foires aux idées où tous et chacun expliquaient sa cause. Les tentatives d’établir des passerelles, voire des convergences, étaient prises à la légère ou pire, regardées avec suspicion, comme si la possibilité d’identifier des stratégies allait nécessairement mener au monopole de la vérité par les uns et les autres. Cette phobie de la stratégie, du leadership, de l’action concertée, doit être surmontée, surtout que dans le présent contexte, la fragmentation des luttes va mener à des catastrophes. Si on ne veut pas que de soi-disant « avant-gardes » éclairées et autoproclamées ne prennent la place, il faudra activer le travail de l’intellect, faire des enquêtes, sortir des sentiers battus, mobiliser les intellectuels « organiques » des mouvements populaires en détournant les professionnels de la pensée critique en dehors de leurs tours d’ivoires. Ce rapprochement entre les théories (au pluriel) et les pratiques est indispensable, mais il ne se fait pas par miracle. Il n’y a pas d’autre chemin qu’un travail acharné de réflexion, d’analyse, de débats. Sommes-nous prêts à cela ? Peut-être que oui.

Redynamiser le Forum social mondial

Lors du Forum de Montréal, le conseil international du Forum a eu des rencontres très pénibles qui reflétaient le désarroi de nos camarades brésiliens notamment. Au Brésil, mais aussi en Argentine et au Venezuela, les mouvements sont écartelés. La droite est en train de reprendre le pouvoir des mains des gouvernements de centre-gauche. Ceux-ci ces dernières années ont été vertement critiqués pour leur absence de clairvoyance, leur propension à aller vers des solutions fausses et dangereuses (l’extractivisme), et leurs systèmes de pouvoir marqués par le patronage, voire la corruption. Entre le « moins pire » et le pire, il est normal d’aller vers le premier terme, mais ce n’est pas confortable. Ce dilemme se retrouve un peu partout, aux États-Unis, dans plusieurs pays européens, ailleurs où les « printemps » des peuples se sont enlisés et où on se retrouve coincé entre des gouvernements pourris et des machines à tuer. L’urgence de reprendre le dialogue entre les mouvements saute aux yeux, mais encore là, il ne s’agit pas d’être seulement « gentil ». Il faudra aborder des thèmes douloureux, confronter de sérieux errements et des angles morts où plusieurs mouvements se sont engouffrés ces dernières années. Est-ce possible ? En tout cas c’est nécessaire, et les prochains travaux du FSM (notamment au Brésil en janvier) seront un test décisif. Encore là, il faudra un énorme effort politique et intellectuel pour retrouver le fil. La bonne nouvelle est que la masse critique qui a été créée par les luttes populaires ces dernières années est encore pleine de capacités et d’intelligence.

On continue…

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