Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections 2018

Les vents du changement soufflent-ils sur le Québec de 2018 ?

Tout le monde s’entend pour dire que nous connaissons une campagne électorale bien différente de celles qui nous avaient occupés ces dernières annés. Ne serait ce que parce que, comme nous le prédisent avec insistance les sondages, ce sont cette fois-ci plus de 50% des Québécois qui ne voteront ni pour le Parti libéral, ni pour le Parti québécois, les deux grands partis qui depuis près de 50 ans ont structuré, à travers l’axe souveraineté/ fédéralisme, la scène politique québécoise. Et parce qu’ont pu surgir comme nouveaux « challengers », deux partis alternatifs aux perspectives idéologiques antagoniques, la CAQ d’un côté (clairement marquée à droite), et de l’autre Québec solidaire (clairement marqué à gauche).

Tout le monde s’entend aussi pour dire qu’une grande majorité d’électeurs a soif de changements, voulant pour beaucoup mettre un terme à presque 15 ans de gestion libérale, en somme au trop long monopole gouvernemental du PLQ qui apparaît aujourd’hui passablement usé par le pouvoir. Et si l’on en croit une fois encore les sondages, cette majorité serait tentée de faire confiance à la CAQ qui n’est cependant encore jamais allée au gouvernement, mais qui se présente comme le parti du changement « maintenant ». Non sans un apparent succès !

C’est que, même si l’écart semble s’être resséré ces derniers jours entre le PLQ et la CAQ, le désir de changement semble être malgré tout sur toutes les lèvres, à vouloir emporter toute précaution. Comme un leitmotiv, comme s’il était temps d’en finir, comme si y avait urgence en la matière.

Des changements en profondeur ?

Et justement c’est cela l’étonnant : le fait qu’ il y ait bien peu de voix critiques qui s’élèvent dans l’espace médiatique pour prendre la mesure de l’étrange situation dans laquelle nous nous trouvons : alors qu’il y a tant de désirs de changements qui s’expriment un peu partout, et de multiples manières, jamais on a été dans les faits si loin de pouvoir les effectuer depuis la scène électorale, tant les deux partis qui à l’heure actuelle ont le plus de chance de gagner les élections le premier octobre prochain, ne sont aucunement en situation d’entreprendre de grands changements.

On le sait déjà pour l’un : le PLQ nous a montré de quoi il avait été capable en termes d’austérité et de « détricottage » des acquis sociaux aussi bien dans la santé que l’éducation et la fonction publique, alors qu’il n’aurait nullement été –on le sait aujourd’hui— nécessaire de le faire. Mais on devrait aussi prendre garde à l’autre, à la CAQ qui, à y regarder de près, est elle aussi une ardente partisane du monde des affaires, de ses recettes néolibérales, et ne se distingue du PLQ que par une sorte de nationalisme culturel passablement conservateur qui, en cette période de montée de sentiments identitaires, n’augure rien de bon. À preuve les erreurs et maladresses crasses de François Legault quant à l’immigration et à son pitoyable test de sélection des immigrants agité là, aux yeux de tous pour exacerber la peur de l’autre et montrer démagogiquement que les Québécois ont les moyens de jouer les gros bras. Pire encore : si l’on additionne les voix qui risquent de se porter prochaînement sur ces deux partis (PLQ, CAQ), on arrive à un total de près de 65% à 70% de l’électorat. Alors qu’en face, —si on combine les voix du PQ et de QS— on n’obtient qu’un 30%/35% pour cent de l’électorat. De quoi mesurer —si l’on fait exception de la très hypothétique promesse d’un scrutin proportionnel— le très net déficit d’appui qu’on risque d’expérimenter à l’avenir à l’Assemblée nationale pour la moindre mesure progressiste.

Certes, à prendre les choses par le petit bout de la lorgnette, et à s’arrêter aux cascades de promesses ou d’annonces faites par les partis donnés gagnants, on a l’impression que, de toute façon, le changement sonne inéluctablement à notre porte. Au moins cosmétiquement parlant ! Le dernier débat des chefs à Radio Canada, organisé d’abord autour de questions très concrètes et très techniques, a d’ailleurs renforcé cette impression, n’aidant pas les chefs à aller sur le fond, à aborder les questions pourtant décisives que la société québécoise doit affronter aujourd’hui. Des questions autres évidemment que celle par exemple de « la maternelle 4 ans » qu’on brandie comme étant soit disant « la » réponse aux défis de l’éducation québécoise ! Pathétique !

Des questions de fond

Que l’on songe par exemple à la question du réchauffement climatique et des mesures de transition énergétique à prendre de toute urgence, les multiples canicules de l’été nous rappelant à leur manière qu’il y a péril en la demeure et qu’il faudrait oser, sans plus tarder, en finir avec les mesures dilatoires. Que l’on songe aussi à la question du « bien commun » partout mis à mal, qui devrait pourtant nous faire penser que l’éducation, la santé, mais aussi l’eau, les terres et les ressources minières du Québec, sont les biens communs de tous et toutes qu’il faut coûte que coûte protéger contre les prédations et gaspillages privées de toutes sortes. Que l’on songe à la question de l’égalité, bien sûr des hommes et des femmes, mais aussi de ceux et celles qui travaillent pour survivre dans la fonction publique, dans les hôpitaux, dans les maisons d’éducation, au salaire minimum ou encore avec l’épée de Damoclès du droit de gérance et de son formidable arbitraire ; les infirmières et les préposés en sachant quelque chose avec Monsieur Barette ! Que l’on songe enfin à la question de l’indépendance du Québec, si vitale aujourd’hui puisque c’est à Ottawa que sont en train d’être prises toutes les décisions majeures qui définiront l’avenir du Québec, tant en termes d’économie, que de développement de ressources énergétiques (pensez à Transmountain !), ou d’accords de libre-échange (pensez à la gestion de l’offre !).

Utopiste, QS ?

Et pensez-y : le seul parti qu’on ne cesse de taxer d’utopiste et qui pourtant ose prendre à bras le corps toutes ces questions décisives pour l’avenir même du Québec, c’est QS, parti qui au mieux n’obtiendrait –toujours selon les sondages !— que 15% des suffrages de l’électorat. Ne serait-il pas temps, de prendre la mesure de ce qui se passe vraiment, et pour ceux qui disposent d’un pouvoir critique dans les médias— de donner une chance à QS, autrement qu’en le regardant de haut et en lui concédant -grand seigneur- 3 ou 4 députés de plus ? N’est-ce pas à cette condition que commencera à souffler un véritable vent de changement sur le Québec ?

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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