Édition du 19 septembre 2023

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur la question nationale

Les yeux en face des trous

Je vais débuter par une petite mais indispensable correction au texte de monsieur Germain Dallaire paru la semaine dernière en réponse au mien, publié, lui, la semaine précédente : mon nom de famille est Delisle (et non "Deslile") comme il l’écrit.

Je suis moi-même boomer et ai été un ardent indépendantiste dans les années 1970. J’ai milité avec enthousiasme pour l’option souverainiste particulièrement en 1979-1980. Inutile de préciser que la défaite de mon camp en mai 1980 a constitué un crève-coeur. Mais je me suis par la suite éloigné du Parti québécois (PQ) quand le gouvernement Lévesque s’est rallié (sans en avoir reçu le mandat électoral lors du scrutin d’avril 1981) au rétrolibéralisme durant son second et dernier mandat de 1981 à 1985, rompant ainsi avec ses alliés syndicaux et communautaires. On a peut-être un peu oublié aujourd’hui la brutalité et la durée de la crise économique qui a alors frappé le Québec (l’Occident tout entier en fait). Le taux de chômage a alors atteint des niveaux record. Le gouvernement péquiste y a eu sa part de responsabilité.

J’ai à nouveau voté OUI en octobre 1995, avec hésitation et sans militer cette fois. Devant la relance de l’orientation néo-conservatrice par les gouvernements Bouchard puis Landry, j’ai renié la Parti québécois. Avec d’autres militants et militantes de la gauche sociale, j’ai participé à la fondation de l’Union des forces progressistes (l’UFP), lequel, fondu en 2006 avec Option citoyenne de Françoise David, est devenu Québec solidaire (QS).

Même si j’adhère encore à l’idéal souverainiste, il n’est plus ma priorité depuis longtemps.
Premier point : la souveraineté ne se conçoit pas en dehors d’un contexte social et économique concret. On ne vote pas seulement en faveur d’un État souverain, mais avant tout pour un certain type de société. C’est là que le bât blesse. Le "dossier" péquiste en la matière fait dur. Les responsables du Parti québécois se sont toujours bien gardé d’adopter des engagements précis pour protéger les exclus, les démunis, le sous-prolétariat durant la longue et difficile période de transition qui séparerait un éventuel OUI majoritaire à l’indépendance de son obtention effective.

Secundo, les forces souverainistes sont divisées entre le Parti québécois et Québec solidaire. Sur les plans social et économique, le deuxième est plus à gauche que le premier. Pour rallier une majorité de l’électorat, il faudrait que ces deux formations se rapprochent et s’entendent sur un programme commun de gouvernement. On est encore loin du compte, monsieur Dallaire en conviendra.

Si les sondages accordent au parti de Paul Saint-Pierre Plamondon une avance de six points sur son rival solidaire (22% contre 16%), le chemin est encore long pour qu’il talonne la formation de François Legault. Si contre toute attente, une coalition péquiste-solidaire conquérait le pouvoir, les deux partis se partageraient les postes au conseil des ministres, mais les péquistes le domineraient sûrement. Il faudrait alors prévoir de sérieuses tensions entre ceux-ci et leurs collègues solidaires, relégués à des ministères secondaires. Cette situation durerait-elle bien longtemps ? Mais je verse là dans la politique-fiction.
Pour la réalisation de la souveraineté, et en politique généralement, il existe des conditions auxquelles on ne peut échapper qu’en imagination. Une analyse aussi objective que possible s’impose en la matière.

Or, Québec solidaire propose avant tout un programme social progressiste à la population alors que le Parti québécois offre en priorité la souveraineté-association. Ces deux options ne se recoupent pas étroitement, quoi que certains en disent.

Si on examine les faits bruts comme l’état de l’opinion publique sur la question telle que révélée par les sondages, l’enthousiasme indépendantiste paraît s’évaporer, en particulier chez les 18-35 ans. On ne remarque plus l’élan de la décennie 1970 en sa faveur. Affirmer cela revient à regarder la réalité bien en face et non à tenter d’enterrer en douce la souveraineté.

Tertio, on peut conclure de tout cela que si un troisième référendum se tenait dans un avenir rapproché, il se solderait sans doute par une autre défaite. Dans l’hypothèse où le Parti québécois accédait au pouvoir lors du prochain scrutin, la gestion des affaires courantes et le recollage des multiples pots cassés par le gouvernement caquiste accaparerait inévitablement une proportion considérable de ses énergies au détriment de la promotion dynamique de la souveraineté.

Celle-ci n’est pas une fin en soi, mais un passage vers une société plus juste, plus égalitaire.

Jean-François Delisle

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