Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur la question nationale

La Nouvelle-France 2.0 et les formes élémentaires de l’identité : un nationalisme civique est-il toujours possible ?

« Ce qui est meurtrier, c’est de définir son identité contre l’autre » (Amin Maalouf) Je ne crois pas être nationaliste. Je ne fête ni le 1er, ni le 14 juillet, ni la St-Jean. Mais j’exulte quand les Bleus gagnent la coupe du Monde de football et quand les États-Unis sont battus par le Canada au hockey. Un peu chauvin alors ? En même temps, le sport n’est-il pas un excellent remède à la guerre ? Alors, devrions-nous avoir une équipe québécoise de soccer sur les modèles écossais, irlandais ou gallois plutôt que d’affirmer notre Nation à l’aide d’une chasse aux sorcières musulmanes ?

Si le chauvinisme sportif se pratique avec fair play, à l’inverse, les exemples historiques de nationalisme transmué en bête immonde ne manquent pas.

« Néoquébécois » : un concept… qui le restera ?

En tout état de cause, le renouveau nationaliste made in QC est à la mode depuis l’avènement de la CAQ. Ce retour en force du nationalisme sauce identitaire présente au moins un point « positif » : des québécois·e·s « de souche » (res)sentent présentement dans leur chair ce que nombre de concitoyen·ne·s minorisé·e·s explique depuis des années : qu’on leur refuse leur pleine citoyenneté, parce qu’ils – et surtout elles – ne partagent pas les mêmes vues politiques, la même langue maternelle, ni les mêmes opinions sur la vêture [1] que la « majorité » au pouvoir.

En effet, le repli ethnoculturel blanc – white-lash mondial contemporain – largement construit par les réactionnaires de tout acabit, entretenu par l’oligarchie politique, médiatique et financière, sur le dos des minoritaires et sur le malaise identitaire des majorités sociales, pour mieux nous détourner des vraies affaires, cible même certain·e·s concitoyen·ne·s « de souche », qui seraient trop « diversitaires » et « bien pensant·e·s » quand ils/elles ne sont carrément pas d’infâmes « islamo-gauchistes ».

Rien d’étonnant ou de nouveau ici en matière d’identité : elle procède toujours d’un phénomène dialogique ; il peut s’agir ou d’une auto-attribution ou d’une imposition sociale et, plus souvent, des deux à la foi. Ainsi, ça fait longtemps que j’ai compris que je ne serai jamais un vrai québécois. Même si je vis ici depuis 14 ans, si je suis un homme francophone de naissance, blanc, cis, gai, relativement conformiste. Parce que quoique je dise (même en sacrant parfaitement bien), quoique je fasse, quoique je ressente, on me renvoie toujours d’abord et essentiellement à la France, blanche évidemment. En vrai je m’en fou : des fois, j’ai honte d’être français anyway. Mais imaginez pour les québécois·e·s encore plus étranges que moi, dont par exemple l’identité spirituelle consiste à exprimer celle-ci matériellement. (Quel blasphème !)

Il faut dire que l’identité (nationale notamment), lorsqu’on la cantonne à ses formes les plus élémentaires – ethnolinguistique et territoriale – ne peut qu’à terme, mener au repli et à l’exclusion. La désormais célèbre formule de François Mitterrand au parlement européen – le nationalisme, c’est la guerre – n’est pas une simple vue de l’esprit. C’est une constante historique implacable : des guerres napoléoniennes à celles de Yougoslavie. Cela dit, le « nationalisme » est tout autant protéiforme et polysémique que, par exemple, le foulard islamique. Il peut être ethnique, territorial, culturel, civique… voire un assemblage d’une ou plusieurs de ses formes.

À ce propos, le camarade Fecteau Robertson rappelait récemment sur les réseaux sociaux la typologie développée par Denis Monière, pour qui il existe quatre formes de nationalismes [2]. Le camarade Durand Folco a quant à lui produit une excellente synthèse sur les nationalismes et les tensions/contradictions qui les traversent [3]. Bref, le nationalisme est antinomique, émancipateur comme totalitaire (selon sa forme et son niveau de complexité). Et face au péril ethnonationaliste, les souverainistes québécois·e·s nous présentent souvent le nationalisme civique comme son pendant humaniste [4].

Le silence assourdissant des indépendantistes inclusif·ve·s : passivité complice ou indifférence stratégique ?

Ce qui laisse pantois depuis l’élection du gouvernement Legault, c’est le peu d’entrain qu’ont les indépendantistes inclusif·ve·s à condamner avec bruit les différents projets de lois nationaleux (9, 17, 21). Sont-ils/elles encore aliéné·e·s par le classique faux dilemme régurgité à l’infini depuis 30 ans, jusqu’à en avoir la nausée : si tu es contre le nationalisme, tu es pour le multiculturalisme canadien et donc pas un vrai indépendantiste ? Il faut dire qu’entre gauchistes, nous passons plus de temps à nous donner des leçons de savoir-vivre, de savoir-être, de savoir-dire et de polis. Alors il nous reste peu de temps pour développer un contre-discours, un autre Nous [5].

Et puis c’est vrai, il existe une frange de la gauche inclusive qui n’est pas indépendantiste, et une autre qui est souverainiste molle, c’est-à-dire pour qui le séparatisme est un moyen et non pas une fin (j’en fais partie). Tout cela est connu, structurel. Cela étant dit, c’est fondamental. Car ces deux gauches inclusives-là ne s’allieront jamais avec l’indépendantisme conservateur, avec le nationalisme ethnique. Même pour faire l’indépendance, l’indépendantisme mou ne s’alliera jamais avec l’indépendantisme conservateur [6]. Or, l’indépendance ne se fera jamais sans tou·te·s les souverainistes.

Bref, si l’on nous enferme dans le faux dilemme susmentionné et que l’on nous intime de choisir entre une indépendance ethnique ou le multiculturalisme canadien, on connait la réponse. Et cette réponse se renforcera encore et toujours au fil du renouvellement générationnel, quand on sait que la grande majorité des montréalais·e·s sont au moins trilingues et identitairement polyculturel·le·s [7].

Du débat sur la survivance à l’exaltation des fantasmes néo-duplessistes : le nationalisme ethnique sort toujours vainqueur…

Il existe une autre constante historique : le nationalisme ethnique gagne toujours contre le nationalisme civique. Pourquoi ? Parce qu’il s’accommode parfaitement bien avec tous les conservatismes, qu’ils soient indépendantiste, provincialiste ou fédéraliste. Là où la gauche se divise sur la question nationale, la droite sait la mettre de côté pour s’unir. Et puis surtout, si le nationalisme civique s’articule sur une conception complexe et pluraliste de l’identité nationale, il doit forcément débuter quelque part, soit par les formes élémentaires – ethnolinguistique et territoriale – de cette dernière. Le nationalisme civique réactive donc toujours en premier lieu le nationalisme ethnique, pour plus ou moins mieux s’en distancer ensuite. Le problème, c’est que si les formes élémentaires de l’identité sont quasi universelles, ses formes complexes ne le sont pas et, font peur ! Il est donc plus facile, voire naturel, de s’arrêter aux rassurantes formes élémentaires du nationalisme.

De toute façon, les nationalistes ethniques québécois·e·s ne risquent pas grand-chose. Comme ils/elles savent que leur pays ne se fera jamais sur leurs bases idéologiques minoritaires et babyboomeuses, ils/elles ne craignent pas de guerre nationaliste, puisque le Québec ne sera jamais une Nation avec son armée. Ils/elles peuvent donc cyniquement surfer sur la vague identitaire, entretenir les traumatismes historiques sur la survivance québécoise, notre névrose collective de colon colonisé [8], et détourner ainsi l’attention, pour mieux préserver leurs privilèges, et s’allier avec les conservateurs du reste du Canada et de notre planète qui agonise.

Les indépendantistes inclusif·ve·s peuvent alors se contenter de murmurer contre le toxique nationalisme ethnique, puisqu’ils/elles savent de toute manière qu’il n’arrivera objectivement jamais à faire Nation, ni à anéantir le cosmopolitisme inexorable de nos sociétés modernes et des générations futures. En se contentant de murmurer, il/elles ménagent la chèvre indépendantiste et le chou inclusif de leur électorat. Pendant ce temps, des lois discriminatoires, liberticides, contre-productives et inutiles continuent à être votées ; et les colonialités [9] canadiennes et québécoises se préservent à merveille. Et c’est toujours les mêmes qui trinquent. On sait qui. En tout cas pas l’écrasante majorité des indépendantistes inclusif·ve·s.

Mon nationalisme est plus gros que le tien : ô boy, ça ne me rend pas [indépendantiste] dur pour autant !

Après quelques décennies de construction et d’hégémonisation de la forme civique – enfantée par la Révolution tranquille – du nationalisme québécois, qui aurait cru il y a encore quelques mois que le nationalisme ethnique la supplanterait ? (Lui qu’on pensait voir disparaitre avec un PQ qui ne finit plus de mourir…)

D’autre part, on observe ailleurs les échecs successifs et répétés, pour diverses raisons, des nationalismes civiques catalan, écossais et kurde. A contrario, les nationalismes les plus vils se développent partout : Inde, Chine, Taiwan, Philippine, Myanmar, États-Unis, Russie, Pologne, Hongrie, Italie, Royaume-Uni, Brésil, etc. Et pendant ce temps au Québec, on commence le concours de qui est le plus nationaliste, le vrai nationaliste… même le Parti libéral s’y met !

Dans ces conditions, et en sachant que le nationalisme civique passe toujours par une primordiale réactivation des formes élémentaires de l’identité nationale, et donc risque de paradoxalement nourrir un nationalisme ethnique en vogue, la question de savoir si un nationalisme civique québécois est encore possible se pose… On peut même se demander si au Québec, les racines coloniales de notre nationalisme de colonisé·e·s sont dépassables en pratique, pas juste en théorie.

À méditer.
Sébastien Barraud

Notes

[1] https://onjase.org/post/2019/07/22/419-Nous-nous-habillons-tous-et-toutes-selon-nos-croyances-et-c-est-tres-bien-ainsi-

[2] (1) Nationalisme de domination, comme celui qui nous pousse à vouloir conquérir et coloniser ; (2) Nationalisme de conservation, qui vise à préserver les traits caractéristiques d’une nation, comme celui qui motive la loi 101 ou la restriction du nombre d’immigrants ; (3) Nationalisme de revendication, quand la nation appartient à un ensemble politique plus grand, comme les Acadiens du Nouveau-Brunswick ; (4) Nationalisme de libération quand on veut libérer la nation d’un système de domination, comme les Irlandais, les Indiens, etc.

[3] http://www.ekopolitica.info/2019/02/notes-sur-les-contradictions-du.html.

[4] L’universalisme républicain français parle de « patriotisme ».

[5] Du côté des solidaires, Sol Zanetti a paru bien seul pour lutter contre la loi 21, alors qu’Andres Fontecilla, étant donné son soutien personnel aux discriminations religieuses portées par le rapport Bouchard-Taylor, a perdu beaucoup de crédibilité pour dénoncer les effets discriminatoires des lois 9 et 17.

[6] Le rejet par QS de toute alliance électorale avec le PQ en est l’illustration parfaite.

7] L’hystérie entourant parfois le débat linguistique québécois sur la survivance du fait français post loi 101 prête à sourire (si ce n’est à pleurer).

[8] https://folalliee.wordpress.com/2019/08/19/la-fragilite-quebecoise-traumatisme-ou-nevrose/

[9] https://iresmo.jimdo.com/2018/04/13/qu-est-ce-que-la-colonialit%C3%A9/

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