Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Protégeons les forêts périphériques, des écosystèmes essentiels pour la qualité de vie et la santé de la population !

Mémoire (extraits) préparé par le groupe Protégeons la forêt à Charlesbourg et rédigé par Benoît Limoges, biologiste consultant, et Martine Sanfaçon, porte-parole du groupe Protégeons la forêt à Charlesbourg.

1 Résumé

La relation entre santé et environnement n’est plus à démontrer. Les médecins impliqués à Ça marche doc ! le rappelaient encore récemment lors des chroniques à la radio de Radio-Canada. À l’heure des changements climatiques, plus que jamais, nous avons besoin de cette ceinture verte qui abrite des écosystèmes où la flore, la faune et de nombreux lacs et rivières nous rendent des services maintenant estimables monétairement. Nous estimons la valeur monétaire du capital naturel contenu dans les 4 km2 de forêts périphériques à 80 millions $. Or, ces forêts sont menacées par le dézonage et leur inclusion dans le périmètre d’urbanisation.

Loin du « pas dans ma cour », nous faisons appel à la sagesse et au respect de l’environnement pour maintenir une qualité de vie pour une population en santé. Ces écosystèmes sont des lieux de ressourcement pour les familles et toutes les générations. Plus que de simples îlots de verdure ou d’une couverture de canopée dans nos quartiers, qui sont importants, nous avons besoin pour notre équilibre et notre santé, d’une ceinture verte : des écosystèmes forestiers, des sentiers à proximité, des espaces pour se ressourcer dans la nature et ce, dans tous les arrondissements de la Ville de Québec. Nos forêts urbaines et péri-urbaines sont menacées par le projet de SAD.

Au cours de la dernière décennie, de nombreux écosystèmes forestiers de valeur ont été détruits suite à des projets domiciliaires. Cette révision du schéma d’aménagement peut être l’occasion d’arrêter cette « hémorragie ». Il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour cette destruction de la ceinture verte. 87 % des citoyens consultés sont contre le dézonage de la forêt Château-Bigot. Les mobilisations citoyennes dans toute la région ont donné un signal clair. Nous voulons penser globalement et agir localement.

......

4. Les faits

4.1 La forêt rend de nombreux services écologiques

Les valeurs monétaires qui suivent ont été calculées par le biologiste Benoit Limoges, M. Sc., consultant en environnement. Elles sont basées sur les pratiques courantes dans ce domaine. Ce consultant a calculé les valeurs monétaires des 23 parcs nationaux du Québec. Pour ce faire, il a bâti une matrice de calcul très complète. C’est sur la base de cette matrice que des valeurs monétaires ont été estimées pour les forêts de Québec. Ce sont des approximations, des ordres de grandeur. Alors que les services écologiques sont estimées en $/an, la valeur du capital naturel se calcule en dollars seulement. Ces forêts situées en périphérie de la ville nous rendent de nombreux services écologiques ; ce sont les bénéfices rendus pas les écosystèmes naturels. Ces forêts et milieux humides contribuent à la santé, à la sécurité, à la connaissance et au plaisir des personnes qui les fréquentent ou les voisinent. La forêt Château-Bigot et la rivière des Commissaires qui en fait partie nous rendent des services écologiques principalement de quatre manières différentes : en stabilisant de manière sécuritaire les conditions de notre milieu de vie, en produisant des matériaux utiles que l’on peut récolter, en favorisant un développement psycho-social optimal et en enrichissant notre vie matérielle, intellectuelle et spirituelle.

Cette forêt et ses milieux humides contribuent à stabiliser le climat et tous les humains en profitent. En effet, ils capturent beaucoup de carbone dans les arbres et le sol ; ce sont des gaz à effet de serre de moins dans l’atmosphère. Selon la bourse du carbone, ce service écologique vaut près de 3000 $/an et contribue directement à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris sur le changement climatique et ce, seulement pour le petit polygone situé près de l’école des Châtelets. Pour l’ensemble des forêts périphériques que l’on veut dézoner, cela représente 24 000 $/an. Ce n’est qu’un exemple de la valeur monétaire des différents services écologiques.

En absorbant la pollution et les poussières par leurs feuilles, les arbres améliorent la qualité de l’air. Chaque année, les forêts retirent de l’atmosphère des polluants gazeux comme le monoxyde de carbone, le dioxyde de souffre, le dioxyde d’azote et l’ozone. Elles contribuent directement à la santé humaine en réduisant la mortalité liée aux maladies cardiovasculaires. En effet, la pollution de l’air entraîne l’oxydation de nos artères de la même manière que la rouille altère un tuyau de métal. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreuses villes se dotent maintenant d’une ceinture verte, une vision à long terme que Québec devrait adopter. On estime ce service écologique à 8000$/an pour l’ensemble des forêts périphériques.

De plus, cette forêt stabilise les sols et les rives, et ainsi empêche l’érosion hydrique et éolienne. De ce fait, elle procure une eau de qualité avec moins de sédiments et de polluants que dans les bassins versants dépourvus de forêts. La rivière des Commissaires, qui a été l’objet de nombreux investissements en termes d’aménagement par l’organisme Conservation faune aquatique, bénéficie directement de cette forêt pour maintenir des habitats de qualité pour la truite. Au pied de cette forêt jaillit une source qui alimente plusieurs résidents qui préfèrent cette eau à celle du robinet. La forêt recharge la nappe phréatique, dans laquelle s’approvisionnent des résidences voisines. Cette forêt et ses milieux humides régularisent également le flot d’écoulement de la rivière, prévenant ainsi concrètement les inondations. Basé sur la méthode des coûts évités, ce service écologique de régulation vaut au moins 15 000 $/an. Si l’on l’applique à l’ensemble des forêts périphériques, cela équivaut à 120 000$/an. Cela veut dire qu’en lotissant ces boisés, ce sont des dépenses supplémentaires équivalent à 120 000$/an qu’il faut prévoir pour compenser les dégâts et dommages causés par les inondations dans le futur. On pourrait continuer ainsi en parlant également de la pollinisation, du contrôle des pestes et des maladies, de la lutte aux îlots de chaleur, etc. qui sont d’autre exemples de bénéfices indirects.

Passons maintenant aux usages concrets faits par les voisins de cette forêt, car plusieurs activités récréatives s’y déroulent. Randonnée, raquette, géocaching, vélo de montagne y sont monnaie courante.

Divers clubs la fréquentent. Des sentiers permettent de se rendre jusqu’à Lac-Beauport et à SainteBrigitte-de-Laval. En hiver, un bénévole, Monsieur Couture, y trace des sentiers de marche hivernale. Aussi, des cueilleurs y récoltent des petits fruits et des champignons. Enfin, des observateurs d’oiseaux la fréquentent aux petites heures du matin pour repérer des espèces rares. Ces activités récréatives sont des retombées économiques approximatives de 1,5 millions de $ par année.

La forêt Château-Bigot est voisine de deux écoles : l’école primaire des Châtelets et l’école secondaire Les Sentiers. Cette dernière offre d’ailleurs une spécialisation en vélo de montagne. Ce n’est qu’un indice de l’importance que cette forêt revêt pour ces élèves. Cette forêt contribue aussi à réduire le « déficit nature » des jeunes et constitue une alternative saine aux jeux sur ordinateur. En effet, il est maintenant prouvé que jouer dans la nature a des influences positives sur le développement des enfants. Il est reconnu que les jeunes hyperactifs peuvent mieux se concentrer après avoir fait des jeux en forêt. Certaines organisations internationales revendiquent le « droit de l’enfant à la nature » parce qu’un enfant qui a accès à un espace vert se développe mieux, tant physiquement que mentalement. Par exemple, la socialisation, l’équilibre et l’imagination seraient plus grands chez des jeunes en contact régulier avec le monde naturel.

On sait aussi maintenant que les personnes qui vivent dans la nature ou qui la fréquentent souvent sont en meilleure santé. Les bienfaits des promenades en forêt sont nombreux puisqu’entre autres, elles renforcent l’immunité et diminuent les hormones du stress. Quelques heures en forêt suffisent à réduire les symptômes de l’anxiété, de la dépression ou de la colère. Côtoyer la nature permettrait de guérir plus rapidement, de dormir mieux, d’avoir plus d’énergie, plus d’intuition, plus de profondeur dans ses relations humaines et finalement plus de joie. En effet, d’aucuns prétendent que la présence de milieux naturels au sein d’une communauté pourrait contrer le phénomène d’exclusion sociale touchant une certaine proportion de la population, parce que l’accessibilité à des espaces naturels offre des lieux où il est possible de côtoyer des gens, en plus d’offrir une détente psychologique.

Certains thérapeutes recommandent ces promenades en forêt comme une « sylvothérapie » qui aurait une action préventive sur l’hypertension et le cancer. Les bénéfices ne proviennent pas uniquement de la tranquillité et de l’exercice physique mais également des bactéries bénéfiques, des ions négatifs et des composés organiques volatils émis par les arbres. Ces huiles essentielles auraient des propriétés antibactériennes et anti-inflammatoires.

Par ailleurs, de nombreux citoyens ont compris les bénéfices de côtoyer des écosystèmes en santé et ont accepté de payer leur résidence ou leur chalet plus cher pour être situés à proximité de milieux naturels. Sans cette forêt, leur propriété perd de la valeur foncière. En pourtour de la forêt Château Bigot, on estime qu’il y a une vingtaine de résidences qui perdront en moyenne une valeur de 20 000$. Ces citoyens qui ont acheté une propriété en bordure d’une forêt protégée par un zonage municipal ont raison de se sentir floué. Jusqu’à maintenant, cette forêt, qui existe depuis plusieurs milliers d’années, était protégée par un zonage favorisant des usages extensifs comme la récolte sélective de bois, l’acériculture et le plein air.

L’ensemble du déboisement qui serait effectué dans ces secteurs de forêt périphérique correspond à une valeur de 80 000 000 $ du capital naturel de Québec. Cela ne veut pas dire qu’il faudrait débourser ce montant pour acquérir ces terrains boisés, mais plutôt que si on le détruisait, cela équivaudrait à 80 millions de dollars de moins dans le capital naturel de la ville de Québec. Toutes ces valeurs sont des estimés, des ordres de grandeur qu’il faut utiliser avec prudence.

4.2 La valeur écologique de ces forêts

À notre connaissance, aucun inventaire écologique n’a été fait dans ces forêts périphériques. On n’y a pas recensé les diverses formes de vie. Il y a peut-être des espèces rares qui vont disparaître de la ville si l’on détruit leur habitat. Pour démontrer la vastitude de l’absence de données écologiques sur ces boisés périphériques, voici une anecdote. Depuis la mobilisation citoyenne engagée pour la protection de la forêt Château-Bigot, ce boisé est de plus en plus fréquenté, notamment des amateurs et des spécialistes des sciences naturelles. Notre organisation reçoit diverses informations concernant les espèces qui y vivent. Des citoyens ont notamment observés des espèces peu communes comme l’Ostryer de Virginie, aussi appelé Bois de fer. C’est une espèce qui pousse plus au sud et sa présence est rare à cette latitude. Mais l’observation la plus frappante est la découverte, dans la forêt ChâteauBigot, à l’été 2017 de la plantanthère de Chriver (Platanthera shriveri), une orchidée tellement rare qu’elle n’avait pas été recensée par Marie-Victorin dans la Flore Laurentienne. Globalement, cette espèce possède le statut de rare et menacée dans tous les états américains où elle a été évaluée. Selon un expert consulté, M. Sylvain Beauséjour, il y a très peu de spécimens qui ont été observés au Québec. Selon lui, le spécimen observé dans la forêt Château-Bigot serait l’un des plus beau ! Cette orchidée est tellement rare au Québec que le ministère du Développement Durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) ne l’a pas encore analysée ! La découverte de ce spécimen a d’ailleurs été déclarée au Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec (CDPNQ). Si un spécimen a été identifié dans ce secteur, il est fort possible que d’autres individus puissent être localisés dans le secteur. La destruction d’une telle colonie de plantes rares constitue à lui seul un crime environnemental !

Selon le principe de précaution adopté par le Gouvernement du Québec, par l’entremise de la Loi sur le développement durable, il faut s’abstenir de développer quand on n’a pas les informations scientifiques nécessaires pour prendre une décision éclairée. Comme on ne connaît pas le patrimoine écologique des forêts périphériques que l’on veut inclure dans la zone d’urbanisation, il faut absolument attendre d’avoir toutes les données en main afin d’évaluer quel est leur meilleur usage. Le dézonage actuel ne semble le résultat que des pressions des développeurs. Pour viser faire le développement durable de la ville de Québec, il ne faut pas céder aux pressions mais évaluer au cas par cas chacune des options qui sont offertes. Cela nécessite de documenter la valeur écologique des boisés en question et évaluer les différentes options de développement qui s’offrent. Dans certains cas, la protection pure et simple est probablement le meilleur usage. Dans d’autres cas, d’autres usages sont potentiellement adéquats. Ce n’est qu’une fois une analyse coût/bénéfice réalisée que les citoyens pourront se prononcer sur le dézonage.

5. Conséquences

Il y aura plusieurs conséquences irréversibles si les forêts périurbaines visées par le dézonage prévu dans le SAD sont déboisées et loties. L’importance d’y réfléchir et de bien analyser les impacts est primordiale. Voici une liste des principales conséquences relatives à la destruction des milieux boisés périurbains :

• Perte de capital naturel ;

• Risque accru d’inondation ;

• Réduction du contact enfant-nature avec les risques sur la santé ;

• Impact sur la santé humaine et sur la qualité de vie

• Diminution de la valeur foncière. Les citoyennes et les citoyens situés près de la forêt perdront jusqu’à 10 % de la valeur de leur propriété si cette forêt est lotie, selon une étude de la Ville de Montréal.

• Augmentation de la congestion automobile et augmentation de la pollution atmosphérique : Des rues non conçues pour le transit deviendront passantes et dangereuses. Encore une fois, une perte de valeur foncière pour ces résidents.

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