Édition du 16 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Palestine - Les familles des grévistes de la faim ont leurs propres batailles à mener

Environ 1 800 détenus palestiniens – sur un total de 4750 prisonniers selon l’administration pénitentiaire israélienne – ont cessé de s’alimenter depuis plus de deux semaines. L’état de santé de deux d’entre eux, qui ont dépassé, ce samedi 5 mai 2012, le seuil des 67 jours sans nourriture, est alarmant. Les grévistes de la faim protestent contre la détention de Palestiniens par Israël sans inculpation ni jugement, c’est-à-dire la « détention administrative ». Chaque jour des manifestations de soutien ont lieu dans les villes palestiniennes.

À Gaza, une cinquantaine d’ex-prisonniers ont annoncé, le 2 mai, une grève de la faim de solidarité, lors d’un rassemblement dans le centre de la ville. Le même jour, l’AFP (Agence France Presse) indiquait : « Plusieurs centaines de Palestiniens, essentiellement des étudiants, ont manifesté pour la deuxième journée consécutive devant la prison militaire d’Ofer, près de Ramallah en Cisjordanie, affrontant à coups de pierres les militaires israéliens, qui ont fait usage de gaz lacrymogènes et de balles caoutchoutées. Au moins quatre manifestants ont été blessés, a constaté un photographe de l’AFP. » Dans l’article du quotidien libanais Al-Akhbar (version anglaise) – que nous reproduisons ci-dessous – est décrite la « bataille », difficile et poignante, que mènent les familles des prisonniers. (Rédaction A l’Encontre)

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Dès que l’électricité revient dans sa maison à Gaza, la mère du prisonnier palestinien Ahmad al-Shamali se précipite devant le téléviseur pour écouter les dernières nouvelles. Elle est pressée de savoir comment va son fils, car lui et ses codétenus mènent une grève de la faim depuis 16 jours.

La mère de Shamali vit dans un état d’anxiété et d’inquiétude permanents au sujet de son fils, qui a passé quatre années sur les 18 de sa peine sans voir ses propres enfants. Maintenant, elle est sans nouvelles de lui depuis plus de 14 jours.

Elle est un peu rassurée lorsque les nouvelles du jour ne mentionnent pas son nom en tant que martyr [décédé], ni parmi ceux qui se trouvent dans un état plus que critique suite à la grève de la faim.

« Mon fils et tous les prisonniers sont engagés dans une bataille honorable pour obtenir des revendications de base face à leurs geôliers. Ils devraient au moins avoir de droit de voir leurs familles plutôt que de subir ces privations », dit-elle, en larmes. Elle ajoute qu’elle n’a pas pu voir son fils depuis que Gilad Shalit [soldat israélien, prisonnier du Hamas, libéré en octobre 2011, dans le cadre d’un « échange de prisonniers »] a été fait prisonnier en 2006.

« Malgré les graves risques qu’ils affrontent, j’espère qu’ils tiendront pour que nous puissions enfin les voir. Mon cœur est avec lui dans chaque prière, et je n’arrête pas de prier pour lui et pour ses compagnons », ajoute-t-elle.

Nidal al-Sarafiti, un homme âgé, qui a lui-même connu les prisons israéliennes à la fin des années 1970, est dans le même cas que la mère de Shamali : « L’instinct paternel me rattrape et je souffre lorsque j’imagine que quelque chose de mal pourrait arriver à mon fils. Mais je ne peux rien faire. » Lui aussi se fait du souci pour Ali, son seul fils encore en vie, depuis que ses deux autres fils ont été tués dans les raids aériens israéliens.

D’après lui : « L’administration pénitentiaire actuelle a une approche différente, plus dure que les précédentes ». Et il ajoute que, par le passé, les administrations « craignaient les grèves de la faim des prisonniers et accédaient à leurs revendications collectives… Aujourd’hui l’administration pénitentiaire préfère laisser mourir les prisonniers plutôt que de satisfaire leurs demandes. »

Comme la plupart des proches de prisonniers, Abou Housni n’a pas vu son fils depuis des années. Il dit qu’il a commencé à « vivre dans un rêve » en imaginant que son fils serait libéré. Il lui aurait trouvé une épouse et aurait été heureux pour le restant de ses jours.

Il en va de même pour son épouse, qui est usée par la douleur, les privations et des années de larmes versées sur ses fils. Elle est atteinte de diabète, d’hypertension et d’ostéoporose ; même chez elle, elle ne peut plus se déplacer sans aide. Elle est devenue presque aveugle. « Je prie le Tout-Puissant pour que je puisse conserver un peu de vue pour revoir mon fils. Après cela je n’aurai plus besoin de ma vue, je veux juste revoir mon fils chéri avant de mourir. »

Les épouses de prisonniers subissent un autre type de souffrance, comme l’explique Najiyeh Musle. Elle a un statut de femme mariée, mais elle a à peine connu la vie de couple. Musleh n’a jamais eu d’enfants. Elle ne peut vivre dans la maison de son mari selon la coutume. Elle essaie de s’occuper des parents de son mari et des siens propres, mais au détriment de ses besoins personnels.

Musleh vit dans l’espoir de se réunir avec son mari, Salama, et de pouvoir vivre avec lui. Même s’ils sont mariés depuis 25 ans, Musleh et Salama n’ont pu vivre ensemble que durant quatre ans. Son mari a déjà passé 19 années dans les geôles israéliennes. Il a été condamné à 99 ans de prison pour avoir tué des colons pour venger les martyrs du massacre de Ouyoun Qarra de mai 1990 [1], lors du premier anniversaire de celui-ci.

Plus de 1700 prisonniers palestiniens mènent une grève de la faim de durée indéterminée jusqu’à ce que leurs revendications légitimes soient satisfaites. Ils revendiquent notamment qu’on mette un terme à leur détention en isolement et qu’ils aient le droit de recevoir des visites de leurs familles.

Les familles de prisonniers ont déploré le peu de solidarité reçue par leurs proches, alors qu’ils sont dans leur troisième semaine de grève de la faim. Mais mercredi 2 mai plus de 50 prisonniers libérés ont annoncé qu’ils allaient également mener une grève de la faim : « pour leurs frères qui se trouvent dans les geôles sionistes (…) et pour transmettre au monde le message que la cause des prisonniers et leurs revendications sont justes ». (Traduction par A l’Encontre)

[1] Le 20 mai 1990, quelque 100 travailleurs palestiniens de la Bande de Gaza attendaient à Oyoun Qarra [Rishon Lezion] leur bus pour se rendre sur leur lieu de travail. Un soldat de l’armée d’occupation, Ami Popper, venant de la colonie de Rishon Lezion, s’approcha d’eux. Il leur demanda leurs cartes d’identité. Puis, il les fit se mettre à genoux, alignés sur trois rangs. Il leur tira dessus avec son fusil d’assaut M-16. Il en tua 7 et en blessa de nombreux autres. Les autorités israéliennes déclarèrent Ami Popper atteint de « désordres psychiatriques ». Lors des manifestations de protestation qui s’ensuivirent dans les territoires occupés, l’armée israélienne tua au moins 6 autres Palestiniens. Ce jour a été baptisé : « Dimanche noir ». (Réd.)


Cet article est la version abrégée, en anglais, parue sur le site le 4 mai 2012, de la version parue en langue arabe dans le quotidien Al-Akbar.

Sanaa Kamel

quotidien Al-Akbar, Palestine

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