Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Plus 3 000 personnes dans la rue au Québec contre le racisme systémique

Y a-t-il là la masse critique pour une mobilisation à la Black Lives Matter ?

L’indignation et la colère étaient à trancher au couteau lors de la manifestation de Montréal réclamant « Justice pour Joyce ». Certaines interventions à la tribune, en particulier celle de Alisha Tukkiapik, inuit co-responsable de la Commission nationale autochtone de Québec solidaire représentée à la manifestation par une modeste délégation, se sont détachées par leur grande intensité confinant à l’exaspération.

Album de photos : https://1drv.ms/a/s!Aj4UXfoRjr1TjzxAqWplRCAzsRND

Y participaient environ trois mille personnes [1] en plus des trois cent personnes de la manifestation de Québec et les cent de celle de Rimouski tel qu’annoncé médiatiquement. Il ne semble pas que ces manifestations aient essaimer ailleurs dans les autres grandes villes du Québec où dans certaines d’entre elles s’étaient déroulées peu avant des manifestations anti-masque. Ces manifestations restent somme toute modestes en rapport avec la grande médiatisation d’un événement particulièrement répugnant par son racisme tranchant provenant non pas de la police mais du secteur de la santé particulièrement redevable au droit à la vie, aux soins et à la dignité.

Ces manifestations reflétant le choc ressenti dans l’opinion publique et dont la nouvelle a débordé hors Québec ont quand même forcé le gouvernement de la CAQ, qui ne reconnaît toujours pas qu’existe au Québec le racisme systémique, à déclencher une « enquête publique afin d’éclaircir les causes et les circonstances » du décès de Joyce Echaquan. La CAQ a été contrainte de sortir de sa bulle de responsabilité individuelle sur le dos des deux travailleuses de la santé congédiées sans enquête préalable — une suspension sans salaire aurait pourtant été possible — pour ouvrir la porte à la responsabilité collective mais sans encore admettre le racisme systémique et encore moins mettre sur pied une commission d’enquête sur le sujet avec participation des personnes racisées et autochtones. Pendant que la représentante à la manifestation de l’opposition libérale réclamait une enquête criminelle, enfonçant le clou de la responsabilité individuelle, la porte-parole Solidaire, à la manifestation comme à l’Assemblée nationale, s’est contentée de facile dénonciation anti-colonialiste sans rien revendiquer encore moins cette commission d’enquête sur le racisme systémique pourtant réclamée en 2017 à l’encontre du gouvernement Libéral d’alors.

Plusieurs espèrent que ce scandale aura le même impact au Québec que le meurtre des personnes afroétasuniennes George Floyd ou Breonna Taylor aux ÉU ce qui suppose une mobilisation de longue durée pour une revendication radicale dans ce cas le définancement de la police sans céder à des concessions modérés comme l’enquête publique. Quelle pourrait être cette revendication-clef ? Pour citer la Presse canadienne, « toutes les personnes qui se sont exprimées samedi ont assuré que le racisme systémique existe au Québec. « ’Notre sœur Joyce l’a vécu. Tout le monde l’a vécu : à Joliette, à Montréal, à Sept-Îles, à Val-d’Or, partout au Québec’’, s’est exclamé le vice-chef de Manawan, Sipi Flamand. […] Le premier ministre François Legault a été vivement ciblé par ces reproches, puisqu’il « ne reconnaît même pas le racisme systémique », a rappelé Sipi Flamand. » On peut penser que cette reconnaissance acquise, il serait difficile de ne pas transformer l’enquête publique, surtout si elle est le moindrement organisée démocratiquement, de se transformer en une commission d’enquête sur le racisme systémique.

Est-ce à dire qu’à court-terme, il n’y a rien à faire ? Ce serait ignorer les 142 appels à l’action de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, dite Commission Viens, déposées il y a un an de même que les 141 recommandations du Plan de lutte contre le racisme et la discrimination envers les Premières Nations au Québec de l’Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador (APNQL) rendus publiques – Oh hasard ! – le jour suivant la mort de Joyce Echaquan. On y apprend que « 70 % de ceux qui ont une opinion sont d’avis qu’actuellement au Québec, les Premières Nations ne sont pas traitées sur le même pied que les Québécois non autochtones dans les structures sociales comme le système de justice, le système de soins de santé et le système scolaire. » Notons les recommandation de la Commission Viens touchant la « sécurisation culturelle » concernant les services de santé et sociaux :

  • APPEL À L’ACTION no 75 : Encourager les établissements du réseau de la santé et des services sociaux à mettre sur pied des services et des programmes répondant aux principes de sécurisation culturelle, développés à l’intention des peuples autochtones et en collaboration avec eux.
  • APPEL À L’ACTION no 76 : Financer de façon récurrente et pérenne les services et les programmes répondant aux principes de sécurisation culturelle développés à l’intention des peuples autochtones.
  • APPEL À L’ACTION no 81 : Faire de l’aménagement d’espaces culturellement adaptés aux nations autochtones une priorité dans les établissements du réseau public de soins de santé, particulièrement dans les régions comptant une forte population autochtone.

Pour renverser la tendance au racisme qui gangrène le Québec, si ce n’est la quasi totalité des pays et nations dans le monde, pour le dire comme le chef de l’APNQL à la tribune de la manifestation : « C’est une révolution de nos cœurs et de nos mentalités que cela prend, et c’est uniquement grâce au mouvement que nous amorçons aujourd’hui […] que la classe politique n’aura d’autre choix que de se ranger derrière nous. » C’est peut-être cette clarté de vue qui amène le Premier ministre du Québec à remettre en doute la représentativité du chef de l’APNQL et la ministre caquiste des Affaires autochtones de traiter l’APNQL de « quatrième parti d’opposition » et dont le ministère a tardé à offrir ses sympathies à la famille Echaquan. Qu’en sera-t-il de l’attitude des syndicats du secteur public directement concernés ? Au-delà de la condamnation convenue du racisme et de la politique gouvernementale, y aura-t-il un débat interne sur le sujet et une main tendue aux nations autochtones, même une proposition d’alliance contre l’austérité qui constitue certainement la toile de fond qui, sans expliquer le racisme, en facilite l’exacerbation vers les pires dérapages ? Autrement pourrait s’ensuivre une démoralisation qui nuirait au rapport de forces, déjà affaibli par la division, dans le cadre de l’actuelle négociation du secteur public qui traîne en longueur.

Marc Bonhomme, 4 octobre 2020
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca


[1200 personnes à la minute défilant pendant 15 minutes au départ du Parc Émilie-Gamelin en non les 7 000 personnes cité par le Journal de Montréal à moins que pas mal de monde ce soit joint à la manifestation chemin faisant ou que ma méthode de comptage soit fort déficiente.

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