Édition du 26 mars 2024

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Opinion

Que dit-on vraiment aux soldats ?

Ou bien les 70 % de Québécois opposés à l’occupation militaire de l’Afghanistan par 34 pays sont des personnes dénuées de jugement politique, ou bien les soldats que l’on interviewe dans les journaux ou à la télévision sont bien mal renseignés sur leur propre mission. Ce qui peut s’avérer un facteur de défaite bien plus important que les mensonges que l’on sert à une population avertie par ce qu’elle connaît de l’histoire du XX ième siècle.

Est-ce que les soldats canadiens ou québécois savent bien que c’est une guerre avec effusion de sang des deux côtés ? Cela est bien loin de ce qu’est le déploiement d’une opération humanitaire ou de maintien de la paix. C’est d’autant plus différent qu’il s’agit bien d’une guerre déclenchée par un tout autre chef de guerre que notre gouverneur général, chef des armées au Canada, à savoir l’actuel président des États-Unis, M. Bush en personne qui en a bien expliqué les tenants et aboutissants : « Vous êtes avec nous ou contre nous ! » en en faisant un dictat pour tous les pays gouvernés par des amis notoires des États-Unis.

Et elle est loin du rôle défensif des armées de détecter, isoler et combattre une menace à notre territoire. Cette guerre est à une telle distance stratégique du Canada et son objectif tellement flou qu’elle peut servir toutes les « bonnes causes » que l’on veut, sauf celle de la « guerre au terrorisme ». La défense nationale, si loin de notre territoire, perd tout son sens. Elle s’insère désormais dans un processus stratégique de contrôle et de soumission du monde à des intérêts étrangers aux nôtres. Est-ce que le Canada doit à ce point se soumettre lui aussi à ce vain « dictat » ?

Qu’a-t-on seulement expliqué à nos jeunes soldats friands d’aventures hors du commun, avec une connotation de sport extrême qui pourrait tout autant se manifester dans des opérations de maintien de la paix ? On leur a sans doute inculqué que « ne pas pouvoir tirer sur un ennemi » est plus traumatisant que d’y risquer sa vie comme un « vrai » guerrier. La mission humanitaire associée à l’agression en Afghanistan n’est mise en place que pour rendre attrayante aux yeux de la population une opération impérialiste dont les Québécois se méfient pour en avoir vu les conséquences quant d’autres pays les ont menées alors qu’il fallait que s’élèvent des voix pacificatrices comme celle de Pearson.

Pareille instrumentation est utilisée pour patenter une espèce de contribution des armées à l’émancipation des femmes afghanes qui sont bien loin d’avoir attendu l’occupation de leur pays (dont une s’est au moins manifestée à un congrès du NPD pour demander le retrait des troupes canadiennes) pour se sortir d’une société patriarcale qu’elles ont depuis tout aussi longtemps envisagée comme un obstacle à leur libération. La construction d’écoles et l’établissement de cliniques de santé sont donc tout autant de retombées fort secondaires à l’opération principale de débusquer les Talibans ou d’éventuels « terroristes » dont on ne voit ni le bout du nez ou une quelconque résistance que par les chars non-sécuritaires qu’ils font sauter de temps en temps. L’ennemi semble si diffus que cette « guerre au terrorisme » pourrait changer de méthode et passer à l’humanitaire comme en a fait rêver en fin de semaine un dossier de la Presse. L’occupation de l’Afghanistan perd des motifs tous les jours tandis que l’authentique lutte à la pauvreté par la reconversion d’une logistique de guerre en réelle opération humanitaire en gagne. Harper s’est peinturé dans le coin et il sera sans doute le dernier à l’admettre.

À vrai dire, il semble que les stratèges de l’armée canadienne sont tout près d’avoir assimilé quelques principes de guérilla révolutionnaire, sans en être, en se liant le plus possible à la population afghane et en informant sur le volet humanitaire plutôt que sur le nombre de civils ou de Talibans tués qui caractérisent pour l’essentiel cette guerre où finalement très peu de soldats canadiens ou québécois seront vraiment tués en proportion des Afghans eux-mêmes. Il est pour le moins paradoxal de constater que ce qui devrait enflammer l’âme patriotique des canadiens, les nombres d’ennemis morts, les rend encore plus suspicieux sur les véritables objectifs stratégiques de cette guerre.

Elle semble aussi cette guerre n’avoir plus beaucoup d’ennemi dans nos médias, mais on y voit observé plutôt un peuple spectateur ahuri et sensible à la « solidarité internationale » qui se manifesterait désormais comme un engagement antifasciste, toujours selon le credo de M. Bush. On se croirait à la belle époque de la guerre d’Espagne, ma foi !

Qu ‘on veuille inverser la tendance au Québec par des campagnes mielleuses, je le conçois. C’est de bonne guerre, comme on dit. Mais qu’on ne vienne pas nous leurrer avec les faux motifs de cette guerre en pensant nous berner. De toute façon les sondages sont désespérants pour ceux qui orchestrent ces stratégies de publicité sociétale aux bulletins de nouvelles. Nous en avons vu d’autres de ces guerres pour « le bien de tous », la « sécurité nationale des États-Unis » ou « le bon droit du plus fort » qui tournent aux massacres de civils avec les meilleures intentions du monde.

C’est la guerre des Libéraux et celle à leur suite des Conservateurs. Ils l’ont déclenchée à la suite d’un appel de M. Bush et ils s’y sont embourbés avec lui. La victoire, si tant est qu’il y en ait une sans l’humiliation de l’armée et des militaristes eux-mêmes, ne sera pas celle de la communauté internationale, mais celle de l’OTAN, dopée par sa suprématie en Europe sur le Pacte de Varsovie, partant à la conquête du monde pour les intérêts douteux de nos transnationales aspirantes à de nouveaux marchés sur les nouveaux tréteaux du banquet mondial. Vous ne voyez pas le rapport ? Attendez de vous voir « informés » par la propagande de guerre associée à ces opérations militaires qui se déploient maintenant au lieu de campagne d’entraide et de soutiens entre peuples alliés. Les rapports Sud-Sud sont en train d’en illustrer les plus significatives conséquences. Et ils pourraient contrecarrer à l’échelle de la planète la volonté des élites de ce monde de consolider et d’étendre leur pouvoir de commercer ou de produire à bon marché.

Mots-clés : Opinion
Guy Roy

l’auteur est membre du collectif PCQ de Québec solidaire à Lévis.

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