Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/21/redefinition-du-viol-lettre-ouverte-aux-senatrices-et-senateurs/?jetpack_skip_subscription_popup
Nous rêvons d’un monde où il n’existe plus de droit pour les hommes à obtenir, de quiconque, des actes sexuels du seul fait qu’ils les rétribuent. Nous rêvons d’une société où les femmes ne sont pas des objets dont on négocie le prix.
En tant que féministes matérialistes, nous sommes conscientes des conditions matérielles d’existence des femmes et de toutes les personnes victimes de discriminations structurelles, et de leurs faibles marges de manœuvre face aux inégalités de sexe, de race et de classe.
Nous sommes tou.tes concerné.es par le combat abolitionniste. Tant que la prostitution sera vue comme un horizon économique pour les personnes dépendantes, précarisées, violentées sexuellement dans l’enfance, l’industrie prostitutionnelle pourra compter sur une armée de réserve pour prospérer. Il s’agit de lutter contre un libéralisme destructeur et déshumanisant.
À ce titre, nous sommes pour l’inscription du consentement positif dans la définition du viol, à rebours d’une vision libérale du consentement qui tend à faire croire que nous aurions tou.tes le choix, quelles que soient les contraintes qui empêchent de dire non, d’entrevoir une autre issue possible, obligent à céder.
En définissant le consentement comme un acte libre, éclairé, spécifique et révocable, qui ne peut se déduire ni du silence ni de l’absence de réaction de la victime, la réforme inverse le paradigme.
En effet, plutôt que de présumer du consentement de la victime comme le fait le droit actuel, la proposition de loi pose qu’il doit être exprès et non équivoque, faisant ainsi barrage au principal axe de défense des agresseurs qui consiste à affirmer qu’ils ne pouvaient pas savoir, qu’ils ont pu croire que, qu’ils n’avaient pas conscience, faute de résistance explicite, selon eux.
Le droit actuel fait la part belle à la subjectivité de l’agresseur. Demain, la loi devra favoriser l’examen des mesures qu’aura (ou n’aura pas) prises l’agresseur afin de s’assurer du consentement libre de l’autre au regard des circonstances environnantes.
Alors qu’aujourd’hui l’analyse se limite aux modes opératoires de l’agresseur au moment du viol (violence, contrainte, menace ou surprise), l’ajout des circonstances environnantes tel que voté par l’Assemblée nationale, a pour but d’inscrire l’analyse de la vulnérabilité de la victime et des éléments de contrainte dans un contexte plus large.
Plutôt que d’entretenir le silence qui profite aux agresseurs, le fait de formaliser le consentement dans la loi pourrait faciliter les démarches des victimes de la prostitution qui estiment ne pas avoir été en mesure de « choisir ».
Cela permettrait une meilleure prise en compte des conditions qui entourent l’exploitation sexuelle des êtres humains : la dépendance économique, la précarité, l’abus de confiance, etc., qui devraient constituer des circonstances environnantes du viol.
Par conséquent, la réforme élargirait le champ probatoire du viol pour toutes les victimes.
De plus, en ce qu’il sera révocable à tout moment, le consentement ne pourra se donner d’avance ni se contractualiser. L’argument selon lequel l’introduction du consentement dans la loi pénale conduirait à valider le contrat sexuel en droit civil, est un parfait contre-sens.
À ce titre, il est régulièrement avancé que, chez nos voisin.es belges, l’inscription du consentement dans la définition des violences sexuelles aurait ouvert la voie à la reconnaissance du contrat dit de travail sexuel.
Or, la Belgique était un pays réglementariste de la prostitution bien avant la modification de sa définition du viol, contrairement à la France qui a solidifié sa position abolitionniste en choisissant de pénaliser les clients, faisant obstacle ici à l’instauration de ce type de contrat de travail.
L’offensive réglementariste en Belgique réclamait en réalité de mettre fin au délit de proxénétisme, qui est d’ailleurs quasiment supprimé par la récente réforme belge, mettant en péril les protections liées à l’inscription du consentement positif dans son droit pénal.
Par ailleurs, ce qui n’est jamais dit, nous sommes confronté.es en droit français à une impasse technique qui fait obstacle à l’articulation entre viol et prostitution.
En effet, notre loi punit le fait d’acheter un acte sexuel d’une amende, tandis que le viol est un crime. Cette concurrence des infractions empêche que la prostitution, en tant que telle, soit appréhendée sous l’angle du viol puisque le client n’encourt qu’une simple contravention.
C’est la raison pour laquelle malgré les lentes évolutions jurisprudentielles de ces dernières années qui tendent à élargir les qualifications de viol par les juges, aucune juridiction n’est en mesure d’envisager les prostitueurs comme auteurs de viols par contrainte économique et aucune décision judiciaire ne va dans ce sens.
Dans ce contexte, s’opposer à l’évolution de la définition pénale du viol au nom de la lutte contre le système prostitueur est un argument trompeur.
S’agissant des avancées de la réforme en cours, le Conseil d’État tranche le débat avec lucidité dans son avis du 6 mars 2025. Il considère que l’inscription du consentement positif dans la loi élargit la protection des victimes en cessant de présumer leur consentement et vise à ce titre particulièrement le couple et la prostitution :
« A cet égard, il est essentiel de souligner la pleine autonomie de la notion de consentement et plus particulièrement encore ici en ce qui concerne les agressions sexuelles. Ni l’existence d’un consentement civil – tel que celui donné au mariage, ou à la conclusion d’un PACS, ou encore par la rédaction d’un contrat préalable par lesquelles les parties conviendraient de relations et les décriraient –, ni un accord de nature commerciale – par exemple le « consentement » à un acte de prostitution en échange d’une somme d’argent – ne peuvent permettre de présumer l’existence d’un consentement. Tout au plus est-il loisible au juge de tenir compte de ces consentements pour apprécier celui donné au sens du code pénal ».
La proposition de loi représente une avancée importante même si en tant qu’abolitionnistes, nous souhaitons qu’elle aille plus loin en visant expressément les différentes formes de contraintes (lien hiérarchique, contrat de travail, abus d’autorité, contrainte morale ou matérielle) parmi les éléments constitutifs de l’infraction et non seulement comme des circonstances aggravantes de la peine.
Il appartient au mouvement abolitionniste de pousser davantage ses revendications pour que le texte à venir permette une meilleure analyse de la contrainte économique ou encore de militer pour une plus grande cohérence dans l’échelle des peines.
Un acte sexuel obtenu sous contrainte, de quelque manière que ce soit, notamment économique, dans le cadre d’un contrat de travail ou en situation prostitutionnelle, doit pouvoir être instruit au titre de l’agression sexuelle ou du crime de viol.
Premièr.es signataires :
Frédérique Pollet-Rouyer, avocate au barreau de Paris
Laure Ignace, militante féministe et juriste
Agathe Gentilhomme, avocate au barreau de Paris
Sandrine Goldschmidt, Présidente du festival Femmes en résistance
Elodie Tuaillon-Hibon, avocate au barreau de Paris
Maria Cornaz Bassoli, avocate et présidente de Choisir la cause des femmes
Carine Durrieu-Diebolt, avocate au barreau de Paris
Marjolaine Vignola, avocate au barreau de Paris
Christelle Hamel, sociologue, chargée de recherche à l’INED
Marie Sophie Mory, avocate au barreau de Paris
Emmie Zaepffel, élève-avocate
Yeun Lagadeuc-Ygouf, aide-soignant, référent égalité professionnelle femme-homme au CHU de Rennes
Karen Blanchard, bibliothécaire
Vesna Nikolov, militante féministe et juriste
Didier Epsztajn, animateur du blog « entre les lignes entre les mots »
Milena Dostanic, avocate au barreau de Paris
Françoise Dumont, Lesbienne féministe
Caroline Morio, militante féministe et juriste
Anaïs Defosse, avocate au barreau de Paris
Aurore Kessaï, militante ASSO-Solidaires et Défenseuse syndicale
Pour les organisations :
Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT)
Choisir la cause des femmes
https://www.avft.org/2025/06/16/redefinition-du-viol-lettre-ouverte-aux-senatrices-et-senateurs/
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