Édition du 16 avril 2024

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Royaume-Uni. La grève dans le NHS : un enjeu éminemment politique

Les infirmières et les ambulanciers qui se préparent à faire grève ce mois-ci [les infirmières les 15 et le 20 décembre ; les ambulanciers les 21 et 28 décembre] sont en première ligne de la lutte pour des salaires décents – et pour défendre le NHS (National Health Service). Seule une augmentation salariale bien supérieure à l’inflation peut aboutir à empêcher les plans des conservateurs [Tories] visant à détruire le service public de santé [entre autres sous l’effet du départ des infirmiers et infirmières étant donné le niveau des salaires et la surcharge de travail].

7 décembre 2022 | tiré du site alencontre.org | Photo : Londres, la grève des ambulanciers

La semaine dernière, le nombre d’emplois non pourvus dans le NHS a atteint le chiffre record de 133 446 postes équivalents temps plein. Cette statistique sinistre met chaque patient en danger et chaque professionnel de la santé sous une pression accrue.

Entre-temps, les plans des conservateurs visant à recruter des milliers de médecins et d’infirmières supplémentaires ont été réduits en miettes. Les ministres admettent désormais que leurs objectifs chiffrés ne pourront pas être atteints. Pour ajouter l’insulte à l’injure, le week-end dernier, Nadhim Zahawi, l’un des principaux députés (MP, président du Parti conservateur depuis le 27 octobre 2022) conservateurs, a osé dire aux travailleurs de la santé qu’ils aideraient le président russe Vladimir Poutine s’ils poursuivaient les grèves prévues [sa formule reprise sur le Huffpost UK du 4 décembre est la suivante : « Cette grève, c’est exactement ce que Poutine veut voir » – Réd.].

Ce président multimillionnaire du Parti conservateur a déclaré que le pays tout entier devait présenter un front uni face à la guerre en Ukraine et que les travailleuses et travailleurs en grève faisaient échouer son projet [1]. Pauline, une infirmière en santé mentale en Ecosse, a commenté : « Il est déplorable d’utiliser les salarié·e·s du NHS comme des pions dans leurs manœuvres de guerre. Ils veulent détourner leur propre implication [la participation militaire de la Grande-Bretagne à l’entraînement de militaires ukrainiens, entre autres] dans l’escalade de la guerre contre le personnel infirmier et du NHS qui travaille dur. » Pauline a ajouté que les grèves font partie de la défense du NHS.

« Lorsque les salaires ne reflètent pas les compétences et sont inférieurs à l’inflation chaque année, il est impossible de retenir et de recruter du personnel. Certaines des fonctions nécessitent quatre ans de formation avant de pouvoir commencer à travailler. Le manque de personnel est dangereux et démoralisant. Cela signifie que les normes de soins que nous voulons fournir ne peuvent être atteintes. Il en découle que des personnes meurent parce que le manque de personnel qualifié ne leur permet pas de recevoir les soins appropriés. »

La semaine dernière, les syndicats GMB [syndicat généraliste] et Unison [syndicat du service public, avec 1,3 million de membres] ont annoncé qu’ils avaient remporté des scrutins en faveur de la grève dans de nombreuses entreprises d’ambulances en Angleterre et au Pays de Galles. Alors que les infirmières prévoient de former des piquets de grève le jeudi 15 et le mardi 20 décembre, les ambulanciers d’Unison sont prêts à faire grève le mercredi 21 décembre [2].

Les syndicats ont depuis annoncé qu’ils réorganiseraient des scrutins pour une entrée en grève dans huit autres firmes, dont la plupart sont des services ambulanciers. Ils devraient relancer des scrutins parmi tous les collectifs de travailleurs et travailleuses qui souhaitent de tels scrutins permettant légalement l’entrée en grève. Malgré le discours musclé du gouvernement sur les salaires du NHS, certains signes indiquent que le gouvernement tente de convaincre les dirigeants du syndicat des infirmières RCN (Royal College of Nursing) de participer à des négociations informelles. Les membres du gouvernement savent que la présence d’infirmières et d’ambulanciers sur des piquets de grève, une semaine avant Noël, serait un nouveau désastre politique pour eux. Les sondages montrent déjà que plus de la moitié de l’opinion publique soutient la grève des infirmières.

Pour des Tories qui accusent un retard de 15 à 25 points de pourcentage sur les travaillistes (Labour), des grèves décidées pourraient les couler au plan politique. Malgré cela, les dirigeants du RCN ont laissé entendre qu’un accord pour éviter une grève pourrait être conclu si le gouvernement proposait un accord similaire à celui présenté en Ecosse. Mais l’offre écossaise est terrible pour tous les travailleurs de la santé, en particulier pour les statuts d’infirmiers et d’infirmières. Le RCN écossais a soumis, cette semaine, l’offre révisée du pouvoir à une consultation des professionnels de la santé, tout en sachant qu’elle constituait à peine une amélioration.

La revendication du RCN porte sur une augmentation de 5% au-dessus de l’inflation. Cela signifie que le seul accord que ses dirigeants devraient envisager est celui qui accorde aux infirmières et infirmiers une augmentation d’environ 20%. Ce n’est donc pas le moment pour les syndicats de faire des concessions.

Au contraire, l’ensemble du mouvement syndical devrait contribuer à transformer les batailles dans les services de santé en une lutte pour tous et toutes. Il doit y avoir des débrayages, des délégations importantes aux piquets de grève et des rassemblements de solidarité pour stimuler les mouvements grévistes.

Chaque piquet de grève devrait rencontrer des rassemblements solidaires avec les travailleurs du NHS et d’autres secteurs. (Article publié le 6 décembre 2022 par Socialist Worker ; traduction rédaction A l’Encontre)


[1] Le Financial Times du 7 décembre à 17 heures écrit : « Rishi Sunak œuvre à l’élaboration de “nouvelles lois sévères” afin de protéger les gens des grèves [sic], alors que la pression augmente au sein de son parti pour qu’il agisse et au moment où le personnel de la Border Force [police des frontières] se prépare à rejoindre la vague d’actions syndicales qui s’abattra sur le Royaume-Uni à Noël. Le Premier ministre a déclaré mercredi à la Chambre des communes que si “les dirigeants syndicaux continuent à être déraisonnables, il est de mon devoir de prendre des mesures pour protéger la vie et les moyens d’existence de la population britannique ». L’engagement de Rishi Sunak est intervenu alors que les personnes envisageant de prendre un vol au Royaume-Uni apprenaient qu’elles risquaient d’être perturbées après que le syndicat PCS [Public and Commercial Services Union] a annoncé que le personnel des services frontaliers se mettrait en grève dans les principaux aéroports, notamment à Londres Heathrow et Gatwick, pour Noël. » (Réd. A l’Encontre)

[2] Le 22 et le 23 décembre, les nettoyeurs des trains, adhérant au RMT (National Union of Rail, Maritime and Transport Workers) entrent en grève. Du 24 au 27 décembre, les travailleurs du réseau ferroviaire entrent en grève. Ils poursuivent la grève, si le patronat ne recule pas, du 3 à 5 janvier et du 6 au 8 janvier. (Réd. A l’Encontre)

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Un mois de décembre marqué par les grèves

La bataille salariale qui s’ouvre actuellement dans le National Health Service (NHS) est centrale pour deux raisons.

Elle concerne de très nombreux travailleurs et travailleuses. Le NHS, avec 1,6 million de salarié·e·s, est de loin le plus grand employeur du Royaume-Uni, et l’un des plus grands du monde.

La bataille salariale est indissociable de la bataille pour sauver et restaurer le NHS en tant que service public librement accessible à tous. Les coupes dans les salaires réels, l’augmentation du stress au travail, et près de trois ans de stress supplémentaire dû au Covid, ont laissé le NHS avec 130’000 emplois non pourvus rien qu’en Angleterre. Il manque 12% d’infirmières et 7% de médecins.

Ces carences se sont combinées à des déficits similaires, mais plus graves, dans le secteur des services sociaux (165’000 travailleurs en moins) et au sous-investissement dans les bâtiments et les équipements, ce qui a abouti à créer des listes d’attente démesurées pour tout ce qui n’est pas considéré comme une urgence.

Les longues attentes sont désormais monnaie courante, même pour les soins d’urgence : les ambulances stationnent devant les hôpitaux en attendant que les patients soient admis et ne sont souvent pas disponibles pour se rendre aux urgences.

La revendication d’un salaire décent pour le personnel du NHS et des soins, d’une augmentation du budget du NHS et l’annulation du processus de privatisation au sein du NHS ne concerne pas seulement les salarié·e·s du NHS mais l’ensemble de la classe laborieuse.

Le gouvernement affirme qu’il n’y a pas de ressources pour payer davantage le personnel du NHS. Mais la rémunération des grands patrons a augmenté de 23% en 2022. Le marché des « produits de luxe » (montres, bijoux, vêtements ultra-coûteux, etc.) a augmenté d’environ 20% au cours du premier semestre 2022.

L’année prochaine, le gouvernement dépensera 100 milliards de livres (presque autant que le budget total du NHS England) pour le service de la dette des grands opérateurs capitalistes qui détiennent des obligations d’Etat (reconnaissances de dettes). Il dépense 6,5 milliards de livres sterling pour renflouer le distributeur entre autres d’énergies renouvelables en faillite Bulb [firme dans laquelle ont investi des firmes spéculatives comme DST Global et Magnetar Capital], et 60 milliards de livres sterling jusqu’en avril 2023 dans une forme d’allégement de la facture d’énergie des ménages qui n’aide pas les plus démunis mais qui assure de vastes profits (peut-être 170 milliards de livres sterling l’année prochaine) aux multiples d’entreprises du secteur de l’énergie.

Le gouvernement refuse de taxer la richesse, ou d’imposer les gains en capital au même taux que les revenus salariaux. Les ressources potentielles sont donc abondantes. La question est de savoir qui mettra la main dessus.

Toute cette vague de grèves est une bataille de classe. Dans le sillage des confinements dus au Covid, la classe des profiteurs pourra-t-elle continuer à presser et à exploiter la classe ouvrière, et à paupériser les services publics ? Ou la classe laborieuse sera-t-elle capable de forger une nouvelle mobilisation solidaire, en soutenant les plus démunis, en défendant et en améliorant les conditions de travail, en restaurant les services publics, en nous transformant en une puissance capable de faire reculer les profiteurs ? (Tract de Workers’ Liberty, distribué le 6 décembre 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)

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