Édition du 16 avril 2024

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Afrique

Sénégal : le risque d’une victoire à la Pyrrhus

En mettant fin à douze ans de pouvoir, les populations du Sénégal viennent d’infliger à Wade une défaite cinglante. La victoire de Macky Sall, son ancien Premier ministre, n’est cependant pas un signe de changement.

Wade a eu beau multiplier les visites aux Mourides, dignitaires religieux respectés, pour obtenir des consignes de vote en sa faveur, acheter des notables de villages, tenter de débaucher les soutiens des candidats concurrents, promettre de ne rester au pouvoir que trois ans sur un mandat de sept, les résultats sont sans appel  : il ne recueille que 35 % des voix contre 65 % pour son rival Macky Sall. Rien n’a pu empêcher cette défaite qui semblait d’autant plus inexorable quand les autres candidats s’était rangés derrière Macky Sall.

Aujourd’hui la communauté internationale tente de faire passer Wade pour un grand démocrate, parce qu’il a reconnu sa défaite. C’est vite oublier tous les tripatouillages constitutionnels qu’il a concoctés pour tenter de rester au pouvoir. Et seules les mobilisations exceptionnelles de la population ont réussi chaque fois à déjouer ces manœuvres grossières auxquelles il a répondu par une répression qui a causé la mort de six personnes et l’emprisonnement de centaines de manifestants. Si Wade a reconnu sa défaite, c’est tout simplement parce qu’il ne pouvait pas faire autrement.

Une victoire qui vient de loin

En guise de «  soppi  » («  changement  » en wolof) promis par Wade et son parti le PDS, lors de son élection en 2000, la population n’a eu pendant ces douze ans qu’une dégradation des conditions de vie, un pouvoir d’achat en berne, des délestages d’électricité quotidiens, un chômage massif qui a poussé bien des jeunes à risquer et parfois perdre leur vie en tentant d’émigrer vers l’Europe sur des bateaux de fortune. Pendant ce temps, le fils de Wade, Karim, dépensait les deniers publics dans les travaux de prestige de la capitale et amassait une fortune considérable en prélevant 15 % à chaque investissement.

Cette victoire électorale est le prolongement des mobilisations populaires contre la troisième candidature de Wade et sa volonté de mettre son fils Karim au pouvoir. De ces luttes a émergé le Mouvement du 23 juin regroupant l’essentiel de la société civile, dont le fer de lance est représenté par les jeunes de l’association «  Y’en a marre  ». Les racines de cette victoire sont plus profondes et s’inscrivent dans un cadre de résistance globale qui s’est concrétisée par l’organisation des Assises nationales en 2008-2009, vues comme une réponse de la société à la politique délétère menée par Wade. Ces Assises ont dressé un bilan sévère de l’état du Sénégal et défini très précisément le type de gouvernance du pays en s’inscrivant contre une présidentialisation à outrance du pouvoir, pour favoriser le rôle de l’Assemblée nationale. En mars 2009, lors des élections municipales, l’opposition a remporté la plupart des grandes villes, confirmant le rejet de Wade.

Un wadisme sans Wade

Mais Macky Sall n’est pas un homme nouveau. Premier ministre du gouvernement Wade pendant huit ans, numéro deux du PDS, président de l’Assemblée nationale, ce libéral convaincu fut limogé par Wade pour avoir tenté d’auditionner son fils dans l’affaire d’un gigantesque détournement de fonds, ce qui lui a valu la réputation d’homme intègre. Son programme politique et économique ne se différencie en rien du gouvernement précédent, et il n’est pas question pour lui de remettre en cause, même à la marge, la domination des marchés internationaux, même si le temps d’une élection, il s’est engagé à baisser les prix des denrées alimentaires.

Pour les élections législatives qui vont se tenir en juin, les deux formations qui se réclament de la gauche, le Parti socialiste de Dieng et l’AFP de Niasse, ont pris la lourde responsabilité de s’allier avec le parti de Macky Sall contre le PDS de Wade. Cette opération vise à assurer le soutien de l’Assemblée nationale au gouvernement.

Contre le risque d’une hégémonie libérale, plusieurs voix se font entendre pour que les organisations de la gauche radicale se réunissent et présentent des listes communes pour les législatives, d’être un point d’appui dans les luttes et offrir une alternative au libéralisme.

* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 143 (05/04/12).

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