Édition du 16 avril 2024

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Syndicalisme

Syndicalisme et politique

Un glossaire introductif sommaire

Qu’on le veuille ou non, les organisations syndicales ont à se positionner, à un moment ou à un autre de leur existence, face au politique. Il en est ainsi en raison du fait que la lutte syndicale ne peut pas se montrer indifférente quant à la nature des interventions de l’État dans la société ou (et) quant à certains aspects des programmes des partis politiques qui les concernent ou les interpellent directement. Il en va de même face aux grandes idéologies politiques qui ont un impact sur la configuration des rapports sociaux, économiques et politiques dans la société.

Dans quel type de société les salarié.e.s syndiqué.e.s souhaitent-elles ou souhaitent-ils vivre ? Une société libérale ? Une société dans laquelle domine un mode de production capitaliste et productiviste ? Il faut donc toujours se rappeler que si certains enjeux de la condition des salarié.e.s syndiqué.e.s se règlent à l’occasion d’un face-à-face direct avec l’employeur, il y en a d’autres, par contre, qui se dénouent uniquement au niveau du pouvoir politique. Il est par conséquent impossible de réfléchir ou d’analyser l’évolution du syndicalisme sans le situer par rapport au politique. Comment peut-on qualifier l’action politique syndicale ?

À ce moment-ci, un certain nombre de précisions au niveau conceptuel s’imposent. « Apolitisme », « neutralité », « action politique non partisane » « action politique partisane (directe ou indirecte) » et « indépendance face aux partis politiques », qu’est-ce que ce vocabulaire technique signifie au juste ? Allons-y dans le désordre alphabétique, mais selon un ordre qui se veut logique.

Glossaire

Il y a au moins trois définitions importantes au mot « politique ». D’abord, la politique (politics) = la lutte pour la conquête et l’exercice du pouvoir. Ensuite, « une politique » (policy) = une ligne de conduite gouvernementale. Finalement, « le politique » (polity) = le système institutionnel ou le régime politique ou étatique (la nature du rapport et de la relation commandement/obéissance au niveau de la société dans son ensemble).

Apolitisme : par apolitisme il faut comprendre qu’il s’agit de l’attitude d’une personne ou d’une association qui récuse les idéologies et affirme ne pas s’occuper de politique ou ne se sent pas concerné par la politique ou encore une personne ou une organisation qui n’affiche aucune opinion politique. Un ou plusieurs membres d’une organisation syndicale peuvent se dire « partisans de l’apolitisme syndical ». Nous osons postuler par contre que « l’apolitisme syndical » est une position impensable et inconcevable. Tôt ou tard, une organisation syndicale va ou aura à prendre position sur un enjeu politique.

Neutralité : Ce concept s’applique, en règle générale, à un État qui renonce à s’engager auprès d’un État belligérant lors d’un conflit militaire. Il peut aussi signifier qu’un État ou une organisation ne doit faire aucune distinction de traitement sur la base des opinions, du sexe, de la race, de la religion, de la langue, etc.. Par extension, dans le langage courant, on associe neutralité à apolitisme. Se pose ici la question suivante : un véritable syndicalisme peut-il vraiment laisser en dehors de son champ de réflexion et d’action la sphère des idéologies politiques, les politiques gouvernementales et les programmes des partis politiques ? Ses dirigeantEs peuvent l’affirmer ou le soutenir, mais durant combien de temps ? La neutralité des organisations syndicales, en matière politique, est, selon nous, une chimère.

Indépendance : qui n’a aucun lien organique avec une autre organisation. Qui jouit, autrement dit, de la pleine souveraineté organisationnelle. L’organisation est libre de toute attache avec une autre organisation. Une organisation indépendante est sans lien de subordination avec une autre organisation.

Action politique syndicale non partisane : Action syndicale qui se matérialise à travers un jeu de pression et d’influence sur le gouvernement ou les personnes élues. L’action politique non partisane n’exclut pas un appui occasionnel ou ponctuel à un parti politique, à unE candidatE ou à un programme électoral quelconque. L’organisation syndicale ici reste libre de toute attache organisationnelle à un parti politique.

Action politique syndicale non partisane indirecte : quand l’organisation syndicale se limite à développer en son sein, auprès de ses membres ou de l’électorat un programme d’éducation politique et présente également des mémoires auprès du gouvernement. L’organisation syndicale ici reste libre de toute attache organisationnelle à un parti politique.

Action politique syndicale non partisane directe : quand l’organisation syndicale développe en son sein un programme d’éducation politique et dénonce ou attaque, en période électorale ou non, certaines politiques gouvernementales, ou encore critique les membres d’un gouvernement ou désapprouve en partie ou en totalité le programme d’un parti politique. L’organisation syndicale ici reste libre de toute attache organisationnelle à un parti politique.

Action politique syndicale partisane : quand une organisation syndicale est officiellement affiliée à une organisation politique (dans le modèle léniniste, le syndicat est la courroie de transmission du parti) ou quand un syndicat forme lui-même une organisation politique (dans le modèle Labour, le parti politique est l’émanation des syndicats et porte devant l’électorat les revendications syndicales)[1].

Conclusion

Il y a donc nécessairement tout un ensemble de couples d’opposition qui caractérisent la relation syndicat / parti et la relation syndicat / État. La relation syndicat / parti oscille entre un lien de subordination versus d’indépendance. L’anarcho-syndicalisme nie la nécessité de la création d’un parti politique ouvrier. Dans ce dernier modèle, le syndicat se substitue au parti. Pour ce qui est maintenant de la relation syndicat / État elle s’est située, jusqu’à maintenant, dans la logique oppositionnelle suivante : coopération versus hostilité (pouvant aller jusqu’à prôner l’extinction ou [et] l’abolition/la suppression du pouvoir étatique).

Les syndicats existent depuis la fin du XVIIIe siècle. Le rapport entre les syndicats et les partis politiques et les relations entre les syndicats et l’État présentent les caractéristiques suivantes : évolutive, fluctuante, hésitante, relative.

Face à la politique, le mouvement syndical n’a pas le choix, il doit se positionner par rapport aux enjeux contemporains (la mondialisation, le néolibéralisme, l’écologie, l’égalité des sexes, la place des services publics dans la société, l’accès aux services, la fiscalité, etc.). L’action politique est la seule avenue susceptible de donner aux organisations syndicales une chance de contribuer à la définition d’un monde alternatif. Reste à savoir maintenant s’il s’agit d’une action partisane, non partisane, directe, indirecte ou indépendante…

Yvan Perrier

27 mai 2022

18h

yvan_perrier@hotmail.com

1. Ces définitions sont inspirées des documents suivants : Akoun, André et Pierre Ansart (dir.). 1999. Dictionnaire de sociologie. Paris : Le Robert/Seuil, 587 p. ; Dion, Gérard. 1986. Dictionnaire canadien des relations du travail. Québec : Les presses de l’Université Laval, 993 p. ; Lortie, Guy. 1967. « L’évolution de l’action politique de la CSN ». Relations industrielles, vol. 22, no 4, https://www.erudit.org/fr/revues/ri/1967-v22-n4-ri2801/027837ar.pdf. Consulté le 25 mai 2022 ; Mouriaux, René. 1985. Syndicalisme et politique. Paris : Les éditions ouvrières, 214 p. ; Mouriaux, René. 2006. « Syndicalisme et politique : liaison dangeureuse ou tragédie moderne ? ». Mouvements, no 43, janvier-février 2006, p. 30-35.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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