Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

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Le blogue de Pierre Beaudet

Traverser le mur qui nous sépare des autochtones

En marche vers le Forum social mondial !

Quand les colons français sont arrivés sur les berges du Saint-Laurent, ils ont « découvert » non pas un continent (que bien d’autres connaissaient avant eux), mais des peuples autochtones bien installés sur le territoire. Le fleuve était à ce moment un grand passage entre l’est et l’ouest et via ses affluents vers le nord et le sud. Sur la rive sud, de gros villages iroquois abritaient des populations semi sédentaires qui cultivaient, chassaient et commerçaient à travers des réseaux qui allaient jusque dans le sud et le centre des États-Unis. Sur la rive-nord, les chasseurs-cueilleurs innus, anishinabeg, cris connaissaient toutes les voies terrestres et navigables vers les immensités du grand nord. Au départ de la colonie, les Français ont bien compris qu’il y avait du monde ici !

Au 18ième siècle, la guerre inter-coloniale s’est intensifiée entre les Français de la vallée du Saint-Laurent et les colonies britanniques sur la côte atlantique qui avaient l’avantage de la démographie, puisque les paysans anglais et irlandais étaient expulsés de leurs terres et forcés à l’exil par milliers par la monarchie et les grands propriétaires. Cette guerre entre colons s’est alors juxtaposée aux les conflits avec les autochtones, jusqu’à ce que les Français réalisent qu’ils devaient s’allier à ceux-ci, ce qui a donné la « grande paix » de 1701. Jusqu’à la victoire de l’Empire britannique en 1760, les descendants des premiers colons et les autochtones ont vécu une période relativement calme où ils ont ensemble exploré l’Ouest et le Sud du continent.

Le pouvoir colonial mis en place par les Anglais a changé cette donne. Au Canada, les autochtones ont été refoulés sur des réserves. Ceux qui se sont révolté ont été réprimés dans le sang, comme la résistance des Métis menée par Louis Riel dans les années 1870. Entre-temps, le mouvement républicain animé par les Patriotes (1837-38) qui avait proposé l’égalité en droits entre européens et autochtones a été écrasé, laissant la place à une gouvernance coloniale administrée en grande partie par l’Église catholique et l’élite francophone réactionnaire. C’est de cette époque que l’imaginaire québécois a été « nettoyé » de l’influence autochtone, pour créer ce que ma génération (et celles avant) a appris à la petite école : les autochtones étaient des sauvages sanguinaires qui avaient martyrisé le bon père Brébeuf…

Durant la majeure partie du 20ième siècle, les autochtones ont pratiquement disparu de nos vies, à part les guides de chasse et de pêche qui nous ont ouvert les rivières et les lacs sans compter le Wabo des Belles Histoires des Pays d’en-haut. On ne les connaissait pas, on ne les voyait pas, on ne les entendait pas. Même dans les années 1960 au collège classique où on apprenait l’histoire de la Grèce antique, la réalité autochtone nous était totalement inconnue.

Cela a commencé à changer dans les années 1970. En fait, ce sont les grands projets d’Hydro-Québec qui ont imposé une nouvelle confrontation avec les Cris de la Baie-James, notamment. Les Cris ont été parmi les premiers à se doter d’une efficace stratégie de résistance en faisant connaître leur réalité au monde entier et ils ont arraché la Convention qui a été finalement reconnue par les gouvernements libéraux et péquistes à la fin de la décennie. Par la suite, le message a été entendu parmi de nombreuses communautés autochtones au Québec et au Canada d’où de nombreux efforts pour imposer la reconnaissance des droits ancestraux qui n’avaient jamais été légalement cédés au pouvoir colonial.

En 1990, un incident somme toute banal (projet d’expansion d’un terrain de golf à Oka) a allumé la mèche chez les Mohawk entassés sur une réserve trop étroite et encore plus sur un territoire qui leur avait été explicitement cédé antérieurement. La militance mohawk a surpris le Québec et même le monde et a fait exploser le mythe de la disparition des autochtones. Dès lors, plus rien ne pouvait être comme avant.

Depuis, l’Assemblée des Premières Nations est devenue un interlocuteur tant au niveau canadien qu’au niveau québécois. Les femmes se sont organisées dans l’Association des femmes autochtones du Québec (FAQ), à la fois pour s’opposer au pouvoir discriminant de la société blanche et pour contester des pratiques et des politiques machistes du côté autochtone. Des tas de gens ont commencé à raconter leur histoire, dont la dramatique épopée des écoles résidentielles. Des clashs se sont multipliés à Sept-Îles, Val d’or, Lac-Barrière, autour de cas de discrimination, pour ne pas dire de racisme généralisé.

Parallèlement, on a vu arriver « en ville » de nouvelles générations autochtones, incluant des étudiant-es, mais aussi des jeunes travailleurs, ainsi que des sans-abri à Montréal bien sûr, mais aussi en Abitibi, au Saguenay et sur la Côte-Nord.

Comment les ignorer maintenant qu’ils sont parmi nous, qu’ils prennent la parole, qu’ils démontrent une étonnante vivacité culturelle ? Comme pour tous les peuples, la lutte implique une redécouverte de soi, un respect du passé sans nostalgie, une capacité de rencontre et donc de métissage qui fait que d’une culture ancestrale renaissent des valeurs de solidarité et de coopération. C’est ce que la nouvelle génération de Claude McKenzie et Florent Vollant nous disent dans leurs chansons qui font maintenant partie du répertoire de tout le monde.

Depuis quelques années, ce sont ces autochtones « néo-urbains » qui prennent la place avec des initiatives comme Idle no more. Écoutez-les bien, car ils nous disent deux choses en même temps. Premièrement, ils s’affirment comme peuples, avec une longue histoire et des points de repère qui sont les leurs. Cette identité n’est pas négociable, ils ne sont ni Québécois, ni Canadiens et s’il y a une nouvelle relation qui peut s’établir, ce sera de peuple à peuple, et non à travers une assimilation en douce qui prétend améliorer les conditions de vie tout en anéantissant cette identité. Deuxièmement, ils veulent vivre avec la société des Blancs, ils ne veulent plus être ghettoïsés et isolés. Ils sont « copropriétaires » du Québec et ils ont non seulement tous les droits, mais toutes les habiletés à inventer un « vivre-ensemble » dont on sortira tous gagnants. Cette coexistence peut être au bénéfice des deux peuples, à condition que les pratiques de pillage des territoires autochtones cessent. C’est ainsi qu’à Sept-Îles, les Innus travaillent ensemble avec les Blancs pour s’opposer au projet de construction d’une mine d’uranium qui pourrait menacer tout le monde. Face au projet de pipeline de Trans-Canada, il y a des coalitions inédites qui se font entre des villages, des communautés autochtones et des écologistes. En fin de compte, les autochtones vont jouer un rôle très important pour ralentir le bulldozer destructeur qui s’accélère dans notre capitalisme néolibéral, destructeur de la pachamama.

Ce grand mouvement, certains parlent d’un « retour » des autochtones comme acteurs politiques importants, n’est pas particulier au Québec, car il s’étend à toutes les Amériques, jusqu’aux confins des Andes, où un autochtone aymara, Évo Morales, est maintenant le président de la Bolivie, un pays qui a vécu dans une sorte d’apartheid anti-autochtone pendant 500 ans. Au Pérou, en Équateur, au Brésil, au Mexique, au Guatemala, les premiers peuples s’éveillent.

Au Forum social mondial, la résistance autochtone est devenue très visible avec la participation de plus en plus importante de mouvements et de personnes provenant des communautés et ce, lors des Forums réalisés au Brésil, au Venezuela, et même en Inde, au Sénégal et ailleurs. À Montréal en août prochain, cette participation s’annonce spectaculaire, car les autochtones ont évidemment bien compris que c’était une belle occasion de se faire connaître par le monde entier. La présence autochtone sera partout, non seulement dans des évènements sur et par des autochtones, mais aussi ailleurs, avec des mouvements communautaires, écologistes, syndicaux, féministes québécois qui, chacun à leur manière, sont en train de réapprendre un dialogue nécessaire et surtout, porteur de nouvelles solidarités.

Et on écoutera :

Quand une parole est offerte

elle ne meurt jamais.

Ceux qui viendront

l’entendront.

Menutakuaki aimun,

apu nita nipumakak.

Tshika petamuat

nikan tshe takushiniht. 

—  Joséphine Bacon, poétesse innue originaire de Betsiamites

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