Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Un congrès CGT sous haute tension pour le mouvement syndical et féministe

Fin mars 2023, aura lieu le congrès confédéral de la CGT et ça promet d’être houleux : remise en cause de la candidature de Marie Buisson par un camp sectaire et viriliste, du critère de « parité » sur les listes des candidats à la CEC… Les enjeux d’un congrès décisif pour les syndicalistes féministes, l’ensemble de la CGT et tout le mouvement syndical.

tiré de Entre les lignes et les mots

Une campagne virulente de remise en cause de la candidature de Marie Buisson au poste de secrétaire générale de la CGT a commencé très vite après son annonce. Elle s’est notamment traduite, ces dernières semaines, par la multiplication d’articles à charge dans la presse [1].

D’où viennent ces attaques, et pourquoi autant d’énergie déployée pour la faire échouer ?

Il s’agit d’une offensive des tendances sectaires de la CGT qui entendent bloquer toute logique unitaire et d’ouverture aux urgences environnementales et à une lutte des classes qui prenne en compte les oppressions spécifiques liées au sexisme et au racisme. En entretenant une atmosphère de guerre interne, ils tentent au passage le coup double de réhabiliter leurs partisans les plus controversés.

Des attaques violentes aux formes inédites

Les détracteurs de Marie Buisson s’appuient sur des tensions réelles au sein de l’organisation, en lien avec le mode de gouvernance et les choix stratégiques de Philippe Martinez.

Ce mécontentement se cristallise sur sa décision de faire participer la CGT à l’initiative « Plus jamais ça ! » [2]. Une sorte de coalition des opposants à ce projet s’est constituée, et reproche à Marie Buisson la décision du secrétaire général !

Dans les faits, et conformément aux statuts de la CGT, la candidature de Marie Buisson est proposée non pas par le secrétaire général, mais par un vote majoritaire de la commission exécutive confédérale (CEC). Elle bénéficie donc de la confiance et du soutien de la direction confédérale – pas spécialement inféodée à Philippe Martinez.

Pourtant, en rupture totale avec les pratiques statutaires de l’organisation, des réunions entre des fédérations et entre certaines unions départementales ont été organisées en janvier pour remettre en cause cette candidature. S’exerçant en dehors de tout mandat, cette démarche a choqué en interne.

La réunion improvisée des fédérations a tenté d’imposer une candidature alternative, sortant du chapeau le nom de Sébastien Menesplier, secrétaire de la fédération Mines Energie, censé représenter une voie « médiane » préservant « l’unité » de la CGT. Toutefois, l’opposition réelle à la candidature de Marie Buisson étant minoritaire, la démarche n’a pas pu aboutir.

Devant cet échec, la création d’un poste de co-secrétaire, correspondant de fait à une mise sous tutelle de l’intéressée, a alors été proposée. Du jamais vu pour le secrétariat général confédéral.

Cette réunion a également été le prétexte à une remise en question de l’un des critères de validation des candidatures à la prochaine direction de la CGT : l’obligation pour les organisations de base de proposer au moins une femme parmi leurs candidat·es. Ce critère rend en effet caduques plusieurs candidatures notoires, en particulier celles d’Olivier Mateu, dirigeant de l’union départementale des Bouches-du-Rhône et candidat décrié au poste de secrétaire général et de Benjamin Amar, accusé de viol par une militante il y a plusieurs mois.

Ces candidats n’ont en effet pas réussi à présenter au moins une femme sur leur liste !

En réaction à cette offensive misogyne scandaleuse, des dizaines de camarades femmes de la CGT ont pris l’initiative d’un texte de soutien à Marie Buisson. Il a recueilli des centaines de signatures de militantes, dont des membres du bureau confédéral et a été envoyé à toutes les structures de la CGT [3]

Contre la lutte féministe en interne, on prend les mêmes et on recommence

A l’origine de ces pratiques délétères et de ces pressions violentes contre la candidature de Marie Buisson – parce qu’elle est une femme et une dirigeante syndicale porteuse d’une ligne unitaire et d’ouverture – nous retrouvons les partisans d’une CGT repliée sur elle-même, aux pratiques antidémocratiques, anti-statutaires, viriliste, développant une conception réductrice de la lutte des classes.

Ce type de responsables syndicaux est par ailleurs engagé dans une autre bataille, à plus long cours, celle de garder la mainmise sur leurs baronnies et de soigner leur impunité au sein d’une organisation qui leur laisse de moins en moins de place.

En effet, la contestation de Marie Buisson s’inscrit dans le contexte d’un débat houleux sur les violences sexistes et sexuelles au sein de la CGT. Un débat d’autant plus exacerbé qu’il a concerné directement plusieurs cadres dirigeants, pour des faits très graves mettant en péril l’outil syndical et le transformant, par endroits, en repères masculinistes hostiles aux femmes et a fortiori à leur accession à des postes à responsabilités.

En 2016, Régis Vieceli,secrétaire du syndicat du nettoiement de la Ville de Paris soutenu par la fédération des services publics, est accusé de violences sexistes et sexuelles [4] par une dizaine de femmes, et de violences physiques contre une militante de la CGT Petite enfance. Malgré le scandale public qui a éclaté en 2018, Régis Vieceli est toujours en place [5]. Face à la suppression brutale des délégations syndicales de 498 syndiqué.es CGT de la Ville de Paris par la fédération des services publics en pleine mobilisation pour les retraites à l’hiver 2020, des centaines de militant·es en désaccord avec ces pratiques ont été contraint·es de quitter le syndicat, dont une majorité de femmes.

A l’été 2022, c’est Marilyne Poulain, dirigeante confédérale emblématique des luttes de la CGT pour la régularisation des travailleurs.euses sans papiers qui démissionnait de tous ses mandats, dénonçant des pratiques sexistes et antidémocratiques de certains des membres du syndicat à Paris [6].

Deux ans après, les résultats sont là : une CGT fragilisée à la Ville de Paris, perdant 10 points aux élections professionnelles de décembre 2022. Et le volet judiciaire continue : un procès se profile car Régis Vieceli a porté plainte en diffamation contre Christine Derval, une des militantes qui a brisé l’omerta, et contre Philippe Martinez, en tant que responsable légal de la cellule de veille qui a enquêté sur l’affaire. Une double peine pour la camarade qui avait dû quitter la CGT Ville de Paris dans ce contexte autoritaire et brutal.

Le 22 février 2022, Benjamin Amar, membre de la CEC, porte-parole de la CGT Val-de-Marne, est suspendu de tous ses mandats nationaux à la suite d’une plainte pour viol, agression sexuelle, torture et actes de barbarie contre lui. A rebours, il est soutenu par l’union départementale du Val-de-Marne dont il est issu, qui refuse de le mettre en retrait [7].

Baptiste Talbot, coordinateur CGT Fonction publique, déjà fervent soutien de Régis Vieceli lors du bras de fer au sein de la Ville de Paris, démissionne alors de son mandat à la CEC et accuse notamment Resyfem [8] de participer à une sorte de complot féministe !

Benjamin Amar sera réintégré dans ses mandats nationaux fin août, lorsque la justice prononce un classement sans suite, c’est-à-dire qu’elle indique ne pas être en mesure de juger l’affaire, ce qui en aucun cas ne signifie qu’il est innocenté.

Cette décision confédérale entièrement dépendante de la justice pénale est incompréhensible pour une organisation qui se revendique féministe, dispense des formations à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et ne peut donc ignorer l’incapacité de la justice patriarcale à condamner plus de 1% des viols. Ce choix, qui a provoqué un tollé, a renforcé le camp masculiniste dans sa remise en cause de la cellule de veille confédérale sur les violences sexistes et sexuelles internes à la CGT.

Lors du comité confédéral national [9] des 1 et 2 février 2023, c’est le camp féministe qui a tenu bon sur les critères de présence de femmes sur les listes pour la validation des candidatures au prochain congrès confédéral ; et qui a engrangé une victoire avec le vote, à une très large majorité, du cadre commun de lutte contre les violences sexistes et sexuelle au sein de la CGT.

Se sachant minoritaires, les tenants d’une ligne sectaire et sexiste ont alors refusé un vote indicatif sur la candidature de Marie Buisson. Une validation à ce stade, entérinant une fois pour toute sa candidature, les aurait privés de toute chance de victoire finale. En attendant le congrès, où ils espèrent un retournement de situation, ils peuvent ainsi poursuivre leur travail de sape. Et tant pis si cela disperse les forces syndicales en plein mouvement social sur les retraites.

L’avenir de la CGT engagé

Malgré leurs derniers échecs, les partisans d’une défaite de Marie Buisson et d’une légitimation des candidatures d’Olivier Mateu ou de Benjamin Amar n’ont pas rendu les armes et espèrent bien empêcher, lors du congrès, l’application du critère honni (l’obligation pour toute structure de présenter au moins une candidature de femme pour être élu à la CEC). Tout dépendra donc du rapport de force à ce moment. Prendre conscience de ce qui se joue à la CGT et prendre parti pour le camp féministe est donc impératif pour contrecarrer une régression.

Si les évènements qui entourent la contestation de la candidature de Marie Buisson ne sont pas sans rappeler la succession de Bernard Thibault en 2013 [10], la CGT ne peut ignorer les évolutions de la société : une urgence climatique incontestable, des attaques incessantes et d’une violence inouïe du néolibéralisme macronien dont les femmes figurent parmi les premières victimes, un mouvement féministe mondial (#metoo) qui a réussi à mettre en lumière le caractère systémique des violences sexistes et sexuelles y compris dans le syndicalisme… Sacrifier une candidature féminine bénéficiant d’un soutien majoritaire et représentant une ligne unitaire et d’ouverture, pour les petits profits d’une minorité sectaire et sexiste serait mortifère.

Ce qui est en jeu aujourd’hui dans ce climat d’intimidation et de violences, c’est non seulement la présence pleine et entière de femmes au sein de la CGT mais l’avenir de toute la confédération : car comment sauver de l’effondrement une organisation syndicale qui serait à ce point en décalage avec le monde qui l’entoure ?

L’enjeu de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles

La CGT a été l’une des premières organisations syndicales à agir contre les violences sexistes et sexuelles, en mettant en place des outils adaptés comme les cellules de veille. Elle a poursuivi son effort via la création d’un cadre commun de lutte, qui vient d’être confirmé par un vote de son CCN. Mais dans le même temps, ses difficultés à sanctionner les agresseurs, voire son incapacité lorsqu’il s’agit de cadres dirigeants, perdurent. Des agresseurs restent donc en poste, entourés de soutiens muselant les victimes qui ont osé parler pour les pousser à la démission, allant parfois jusqu’à les exclure.

Or, pour être un syndicat de classe et de masse, la CGT doit être unitaire, féministe, écologiste et antiraciste. Le virilisme et le sexisme n’ont pas de place dans une organisation syndicale où la capacité des femmes à y militer en toute sécurité est un impératif non négociable.

Le congrès de la CGT a une responsabilité historique, qui aura des conséquences pour tout.es les travailleurs.euses. Il doit permettre :

1. D’inscrire dans ses statuts la suspension immédiate de l’ensemble de ses mandats syndicaux de toute personne accusée de violences sexistes et sexuelles et l’inéligibilité à la direction confédérale (CEC) d’hommes accusés de ce type de violences.

2. D’exclure les auteurs de violences de toute responsabilité sans attendre une décision de justice, y compris lorsqu’une plainte est déposée. Puis leur exclusion définitive quand l’enquête interne est achevée si elle corrobore les faits révélés ou en fait apparaître d’autres constitutifs d’une faute.

3. D’acter, par un vote du congrès, afin qu’elle figure dans les statuts de l’organisation, l’exclusion définitive de la CGT des auteurs de ce type de violences, quel que soit le niveau qui a reconnu ces violences (local, national, fédéral).

Enfin, c’est bien l’ensemble des organisations syndicales qui doivent renforcer la prévention et la protection des victimes. Elles ne peuvent pas être en deçà des dispositions du code du travail à l’attention des employeurs obligés d’assurer la sécurité des victimes, d’enquêter et de sanctionner les auteurs indépendamment de toute procédure pénale. Il s’agit donc pour les syndicats de :

Poursuivre le travail de formation massive et systématique de chaque syndiqué·e à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Rendre obligatoire une formation sur ces questions, préalable à la candidature de tout.e militant.e à un mandat (du local au confédéral). Ce afin d’assurer la maîtrise de ces problématiques en amont de la prise de responsabilité.

Soutenir inconditionnellement les victimes et témoins à travers un accompagnement syndical (information sur les droits, aide à la constitution d’un dossier de défense) et un appui financier (frais de justice et médicaux).

C’est dans ce contexte que nous tenons à témoigner de notre sororité syndicale aux féministes de la CGT, à Marie Buisson, et nous continuerons à soutenir les combats internes en cours dans toutes nos organisations syndicales pour porter jusqu’au bout ces enjeux féministes.

Nous serons ensemble dans la rue pour faire plier ce gouvernement sur sa scandaleuse réforme des retraites et le 8 mars 2023 !

Resyfem – un réseau de syndicalistes féministes de Sud, CGT, FO, FSU.

Retrouvons-nous aussi dans la construction de Resyfem ! Pour un meetoo syndical !

Contact : resyfem@riseup.net

[1] https://www.lesechos.fr/economie-france/social/cgt-marie-buisson-peine-a-simposer-pour-remplacer-philippe-martinez-1900702
https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/30/cgt-marie-buisson-la-dauphine-de-philippe-martinez-contestee-en-interne_6159839_823448.html
https://www.challenges.fr/france/la-cgt-se-dirige-tout-droit-vers-une-crise-interne_844503
[2] Plus jamais ça ! Construisons ensemble le Jour d’après | CGT
[3] http://www.communisteslibertairescgt.org/Des-militantes-mobilisees-autour-de-Marie-Buisson.html
[4] https://www.mediapart.fr/journal/france/270618/violences-et-agissements-sexistes-l-affaire-que-la-cgt-etouffee
https://www.mediapart.fr/journal/france/090220/la-cgt-de-la-ville-de-paris-implose-apres-une-affaire-de-violences-sexistes
https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/27/la-cgt-de-la-ville-de-paris-en-pleine-crise-interne_6071396_823448.html
[5] Même s’il n’est plus à la commission exécutive de l’union départementale de Paris
[6] https://www.facebook.com/story.php?story_fbid=pfbid0bk8zfpWT1YhqVpCb9rU1Pp6384YuoyUnFWfHEFHiMrhu6amY9HSdbFkYga9cEyKGl&id=756443994&_rdr
Article paru dans Libération du 30/08/22, en entier sur ce lien :
https://www.cafeyn.co/fr/article/ce1a36/liberation/2022-08-30/sexisme-a-la-cgt-cest-la-lutte
[7] https://www.mediapart.fr/journal/france/030322/violences-sexuelles-la-plainte-qui-fait-tanguer-la-cgt
[8] https://lettresante.com/affaire-amar-baptiste-talbot-claque-la-porte-de-la-ce-de-la-cgt
[9] Conseil confédéral national, instance qui regroupe les représentants des fédérations et des unions départementales de la CGT
[10] Elle s’était soldée par la mise à l’écart de Nadine Prigent au profit d’un homme, Thierry Lepaon, débarqué deux ans plus tard

https://blogs.mediapart.fr/resyfem/blog/180223/un-congres-cgt-sous-haute-tension-pour-le-mouvement-syndical-et-feministe

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