Édition du 3 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Débat au prochain Conseil national de Québec solidaire

Un fonctionnement politico-organisationnel à questionner dans une conjoncture d’offensive néolibérale

Avant d’aborder les questions soumises à la discussion au prochain CN de Québec solidaire, il est nécessaire de souligner l’absence de questions sur les enjeux de la conjoncture et les tâches qui doivent en découler. Ainsi le projet du gouvernement de la CAQ est de faire du Québec un État extractiviste, dépendant du capital étranger et à la merci des initiatives de l’État fédéral. La course aux « claims » miniers, les subventions accordées à des multinationales pour développer la filière privée, l’approfondissement annoncé de la privatisation du secteur des énergies renouvelables sont les moyens de son projet politique d’un Québec dépendant incapable d’assurer une véritable transition écologique pour faire face à la crise climatique.

La volonté du gouvernement de faire une place plus importante au privé dans le secteur de la santé et de maintenir une école à trois vitesses, alors que les travailleurs et les travailleuses du secteur public se voient offrir des conditions salariales qui ne permettent pas de protéger leur pouvoir d’achat constitue une remise en cause dramatique de nos services publics. Le bilan des dernières élections sur l’indépendance est resté superficiel et l’ouverture d’un débat majeur sur cette question est incontournable.

C’est pourquoi un calendrier des débats autour des défis politiques auxquels sera confronté Québec solidaire dans les prochaines années doit être présenté aux membres. L’essor de Québec solidaire est étroitement lié à des réponses fortes et claires aux visées du gouvernement néolibéral qui dirige le Québec. Les modalités de fonctionnement du parti doivent s’inscrire comme un complément essentiel aux tâches politiques qui sont devant nous.

Dans cet article nous nous concentrerons sur les objectifs de la réforme des statuts [1] qui sont présentés comme suit :

« 1) Se doter de statuts favorisant notre implantation et notre croissance sur l’ensemble du territoire.
2) Se doter de statuts qui favorisent une direction fonctionnelle dans le contexte de croissance du parti ;
3) Se doter de statuts qui favorisent et facilitent l’engagement politique des membres
4) Se doter de statuts qui donnent davantage de pouvoir décisionnel directement aux membres.
5) Se doter de statuts qui favorisent l’inclusion et la juste représentation de toutes les diversités au sein de Québec solidaire. »

Cette proposition ne se base pas sur un bilan le moindrement étoffé et les propositions plus concrètes sont suggérées comme des hypothèses possibles. Ces lacunes du Cahier de propositions risquent de déboucher sur des discussions abstraites, esquivant les bilans concrets et risquant d’éviter les débats sur plusieurs aspects de la vie du parti qui ont été contestés par les militantes et militants du parti :
• Le peu de préoccupation accordé à l’enracinement dans différents secteurs sociaux – chez les travailleurs et travailleuses, dans le milieu étudiant, parmi les secteurs racisés de la population
• la politique de communication essentiellement verticaliste,
• le fonctionnement du parti ne plaçant pas la démocratie participative au service de l’action politique du parti [2],
• le dépérissement de la place de la formation politique,
• la centralisation de la capacité de décision et d’initiative dans la direction du parti de la détermination des campagnes aux choix des candidatures,
• l’autonomisation de l’aile parlementaire,
• les difficultés de maintenir la parité hommes femmes et celles rencontrées avec les militant-e-s issus de la diversité,
• la place amoindrie accordée à la porte parole femme comme symptôme de la mise de côté de l’importance du féminisme
• la difficulté d’appliquer dans le travail électoral le travail d’équipe pour faciliter l’intégration et la place des personnes se considérant comme femmes et les personnes racisées en politique laisse voir les comportements macho, petits coqs et épris de pouvoir de certains membres des instances

Bilan et perspectives pour dépasser les problèmes politico-organisationnels identifiés

Nous voulons préciser ces points du bilan de notre fonctionnement politico-organisationnel et esquisser des pistes de modifications des statuts visant à nous aider à dépasser les problèmes rencontrés jusqu’ici.

1. Un sous-développement du parti de la rue et la nécessité d’une politique d’enracinement dans les classes ouvrières et populaires et dans les différentes régions

S’il est important de viser une présence effectivement sur l’ensemble du territoire du Québec, nous ne pouvons limiter la question de notre implantation à la seule dimension territoriale. Il faut également poser la question de l’enracinement dans les différents secteurs sociaux : milieux de travail (syndiqués et non syndiqués), milieu étudiant (collégial et universitaire), milieux de la diversité culturelle et de leurs organisations, milieux communautaires et environnementaux . Les structures répondant à ces besoins d’enracinement – réseaux militants, associations de campus) sont peu développés et les réseaux n’ont même pas la possibilité de faire des propositions et d’avoir une délégation dans les différentes instances décisionnelles du parti.
Pour répondre à cette problématique : il convient

• D’introduire à tous les niveaux des structures sectorielles ayant des pouvoirs de recrutement, de proposition et de délégation afin de faciliter l’enracinement du parti dans différents secteurs de la majorité populaire afin de pouvoir construire le parti de la rue. Cela passera par la construction de structures sectorielles ; leur financement et la facilitation de candidatures provenant des milieux militants.

2. Surmonter une communication centralisée et verticaliste et maximiser la participation des membres aux différentes prises de parole et la communication horizontale entre les militant-e-s de différentes régions et de différents secteurs.

Le site reflète bien le verticalisme de la communication. En première page, nous y retrouvons essentiellement les communiqués des porte-parole et de l’équipe parlementaire. Les expériences et bons coups réalisés par des militant-e-s de différentes régions ou de différents secteurs du parti ne sont pas facilement accessibles. À l’interne, nous ne recevons les prises de position des associations qu’au dernier moment de la discussion sans qu’on ait pu faire des échanges préalables entre les régions. On constate également l’absence de mobilisation des contributions des membres à notre politique de communication.

Pour favoriser et faciliter l’engagement politique des membres, il faut d’abord permettre leur prise de parole sur une base régulière et systématique que ce soit dans la vie interne du parti que sur la scène publique. Pour répondre à cette problématique, on pourrait.

• Favoriser les échanges entre les membres en organisant la circulation horizontale des informations tant sur les différentes initiatives et réussites des membres de différentes régions et secteurs sociaux qu’au niveau des débats pour renforcer le partage des débats et initiatives,
• diffuser des analyses sur la situation économique, politique et sociale au Québec, sur les luttes des mouvements sociaux (syndical, féministe, populaire, étudiant, écologiste, antiraciste et de solidarité internationale…) et chercher à impliquer les militant-e-s pour ce faire.

3. Formes de délibérations et types de délégation doivent être révisés pour donner davantage de pouvoir directement aux membres

Les débats sur l’évaluation de la situation politique, sur les enjeux stratégiques des différents mouvements sociaux tendent à être remplacés par des discussions sur des amendements pointus. Les différentes sensibilités politiques ne sont pas représentées dans les délégations dans les différentes instances de débats alors que différents courants politiques sont présents dans les bases militantes. Nos procédures encadrant nos débats doivent être revues pour favoriser le pouvoir de décision des membres. Les pistes suivantes pourraient nous aider à concrétiser ces objectifs.

• Impliquer les membres dans l’élaboration de l’analyse de la conjoncture et des stratégies et des campagnes du parti ; leur accorder des échéances leur permettant de véritables discussions en profondeur et faciliter le partage horizontal des positions entre les différentes instances locales et sectorielles ; instaurer des élections à la proportionnelle de votes obtenus sur les questions d’orientation afin que les différentes sensibilités et courants présents dans le parti soient représentés dans les instances de débats et dans les instances de direction.

4. En finir avec le recul de l’importance de la formation politique et enrichir la formation et l’éducation politique des membres pour permettre une appropriation des enjeux historiques et sociopolitiques au Québec, au Canada et dans le monde

Durant les premières années de la vie de Québec solidaire, la formation politique, par des camps, occupait une place importante. Les formations sont devenues plus techniques et pratiques. La responsabilité de la formation a été confiée à une seule personne ; on n’a pas eu la préoccupation d’établir une équipe du parti responsable au niveau national ayant des relais dans les différentes régions du Québec. Des plans nationaux de formation ne sont pas soumis à la discussion. La formation politique est nécessaire pour unifier et renforcer l’unité du parti et la capacité d’intervention des membres sur différents sujets.

L’engagement politique des membres passe par le renforcement de la formation. C’est pourquoi il est important.

• de définir un plan de formation et d’en confier la réalisation à une équipe de formation, de chercher à identifier des membres engagé-e-s dans ce travail et de préciser les moyens de cette formation (camps, écoles, publications...)

5. La défense de la démocratie dans le parti passe par le refus du fonctionnement essentiellement centralisé

Nous avons assisté ces dernières années à une centralisation du parti à tous les niveaux : concentration des moyens financiers, centralisations des choix de communication, instrumentalisation des instances régionales et locales, maintien de la marginalité des réseaux militants

Pour réaliser une démocratie solidaire véritable, une décentralisation s’avère nécessaire. Les statuts devraient permettre :

• D’ impliquer les membres dans l’élaboration des stratégies et des campagnes du parti et élargir le nombre de militant-e-s pouvant parler pour le parti ; libérer les capacités d’initiatives et de propositions des structures régionales du parti ; fournir des moyens financiers aux associations locales, aux réseaux militants pour leur permettre de se construire et d’agir ; renforcer les capacités d’initiatives des instances régionales au niveau des campagnes, de la formation, et du choix des candidatures afin de favoriser la parité

6. Reconnaître les pressions sociales allant à l’encontre de notre fonctionnement égalitaire et mieux définir notre volonté politique et les mécanismes permettant de la concrétiser.

La défense d’un fonctionnement permettant l’égalité des femmes et l’intégration de différentes composantes de la diversité fait l’objet de pressions constantes allant à l’encontre de cet objectif. Les statuts balisent déjà cette volonté politique. Mais le recul de la parité constaté aux dernières élections nécessite de renforcer cette volonté et les mécanismes qui permettent de la concrétiser.

• Définir des mécanismes renforçant notre vigilance face aux pressions sociales remettant en question le caractère féministe, antiraciste et anticapacitiste du parti que ce soit : au niveau du choix des candidatures et de la défense de la parité ; au niveau de la priorité donnée à la lutte antipatriarcale dans les plates-formes du parti ; au niveau d’un fonctionnement antiraciste et anti-capacitiste

7. L’autonomisation du travail de l’aile parlementaire et les moyens d’une meilleure articulation de ce travail à l’ensemble du parti

Le rapport du travail de l’aile parlementaire se limite le plus souvent à un rapport de fin de session qui décrit l’ampleur du travail abattu. Mais ce travail ne fait pas l’objet de discussion et de bilans véritables dans les instances du parti en ce qui concerne les choix politiques faits, les rapports établis avec les mouvements sociaux, les liens avec l’ensemble du parti pour le soutien à sa députation.

Les statuts devraient préciser ce rapport et

• permettre de discuter dans le parti les intentions et politiques gouvernementales et définir les réponses que l’aile parlementaire prévoit apporter et tirer le bilan de l’efficacité de ses réponses suite à une session.

Conclusion

Nous espérons que notre réflexion pourra alimenter le débat sur les grands enjeux des statuts. Il faudra compléter ce travail par des propositions concrètes relevant des différentes clauses des statuts et ce, pour le congrès de novembre.


[1Cahier de propositions , envoyé le 12 mai 2023

[2Pour une démocratie solidaire, Rapport de la consultation sur la démocratie interne, présenté au Conseil national des 21 et 22 novembre 2020

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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