Édition du 28 octobre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Israël - Palestine

Une catastrophe sanitaire atroce se déroule dans les camps de déplacés de Gaza

Le cessez-le-feu est un soulagement. Après deux ans de guerre, nous pouvons enfin respirer, mais cela ne signifie pas que nos souffrances sont terminées. Pour beaucoup d’entre nous, elles ne font que commencer. Les tentes, et les personnes qui y vivent encore, nous rappellent cruellement que nos difficultés sont loin d’être terminées. Après deux ans de destructions massives par l’armée israélienne, la plupart des familles de Gaza vivent désormais dans des tentes, faites de nylon et de tissu, qui ne les protègent ni de l’été ni de l’hiver.

Tiré d’À l’encontre.

Dans la vie sous tente, il y a une guerre invivable, une guerre qui ne commence pas par des bombes [1], mais par l’absence de tout ce qui rend la vie humaine. C’est une guerre dont les armes sont le refus de l’eau potable, le manque d’hygiène, l’absence de toilettes, de dignité et de sécurité. Je n’écris pas cela en tant que témoin distant. Non, j’écris cela de l’intérieur. Depuis cette terre. Depuis l’intérieur de la tente. Ce ne sont pas des histoires que j’ai entendues, ce sont des sensations que j’ai vécues.

Un mois de vie sous une tente m’a suffi pour comprendre l’immense catastrophe sanitaire et les conditions horribles qui font que les personnes déplacées se sentent étouffées par tout ce qui les entoure. Ce genre d’informations ne fait pas la une des journaux, et vous n’en avez peut-être pas entendu parler. Mais c’est une forme de violence silencieuse, qui nous tue chaque jour.

Je suis ici pour vous raconter comment mon peuple, y compris ma famille, fait face aux conséquences dévastatrices de la crise sanitaire dans ces tentes.

Des milliers de tentes de fortune dans les camps de déplacés à travers Gaza sont remplies de familles en quête d’un refuge.

Le manque de toilettes, l’accès à l’eau potable et la présence d’égouts à ciel ouvert sont des conséquences catastrophiques auxquelles sont confrontés les Palestiniens déplacés, des conditions qui persistent depuis les premiers mois de la crise des déplacements à Gaza.

Après avoir passé plus d’un mois dans la ville de Gaza sous occupation israélienne, Asma Mohammad, 39 ans, et sa famille ont fui vers le centre de la bande de Gaza, cherchant refuge dans le camp d’Al-Nuseirat pour échapper à l’offensive israélienne en cours. S’adressant à moi via WhatsApp, elle m’a décrit la lutte quotidienne pour accéder à des installations sanitaires de base. « Je dois marcher près d’une demi-heure juste pour aller aux toilettes », a déclaré Asma. « J’ai arrêté de boire du café ou du thé pour ne pas avoir à marcher aussi loin pour utiliser des toilettes sales partagées par des centaines de personnes. »

C’est quelque chose qui touche à notre dignité. Je comprends ce qu’elle veut dire, car je vis la même chose. Ici, à az-Zawayda, dans le centre de Gaza, les hommes passent une semaine entière à construire des toilettes. Cela prend autant de temps, car il n’y a plus aucun système d’égouts. Israël a détruit la grande majorité des installations d’égouts dans toute la bande de Gaza.

Les gens ont essayé de trouver une solution à ce désastre, mais ce n’est pas vraiment une solution, c’est la propagation d’une nouvelle maladie. Ils creusent des trous profonds et sans fin pour remplacer les systèmes d’égouts appropriés, mais ces trous ne font qu’augmenter les risques pour la santé.

La crise sanitaire à Gaza s’est rapidement aggravée pendant les mois d’été. Des odeurs nauséabondes se sont répandues dans tout le camp, le seul refuge disponible pour des milliers de familles palestiniennes. « C’est insupportable », m’a dit un jour Amsa. « Je me suis échappée de la chaleur à l’intérieur de la tente », a-t-elle ajouté.

Asma et les cinq membres de sa famille ont eu la chance d’obtenir une cuvette de toilettes et de creuser un trou près de leur tente. Mais cela ne demande pas seulement des efforts, cela coûte aussi de l’argent, que les familles qui survivent à la guerre ne peuvent se permettre : il faut compter entre 600 et 700 dollars pour construire des toilettes rudimentaires, sans compter l’aggravation de la situation en matière d’égouts.

Les difficultés ne s’arrêtent pas là. L’accès à l’eau potable est devenu un nouveau défi difficile à relever pour la plupart des familles palestiniennes, non seulement pendant la guerre, mais aussi maintenant, après le cessez-le-feu.

« Nous ne pouvons obtenir de l’eau qu’une fois par semaine, voire deux fois si nous avons de la chance », explique Refaat Abu Jami, 24 ans, écrivain et journaliste actuellement déplacé dans une tente du site d’Al-Mawasi.

Il a été déplacé de son domicile à Khan Younès dès les premiers mois de la guerre. « Nous vivons dans la crainte que des maladies se propagent dans les conditions horribles auxquelles nous sommes confrontés à l’intérieur de la tente », explique Refaat. « Il n’y a aucune possibilité d’avoir un approvisionnement en eau propre ou suffisant pour assurer l’hygiène », ajoute-t-il dans un message WhatsApp.

En l’absence d’infrastructures sanitaires adéquates, de nombreuses familles sont contraintes de partager des toilettes de fortune. Dans les zones proches de mon camp, j’ai personnellement vu de longues files d’attente, composées de 20 à 30 personnes, qui attendaient simplement de pouvoir satisfaire leurs besoins les plus élémentaires. Il n’y avait aucune intimité, aucune sécurité, rien.

Partager des toilettes avec autant de personnes est inimaginable. Cela nous prive de notre dignité et augmente le risque de maladie, en particulier pour les enfants et les personnes âgées. « C’est un véritable cauchemar quand je fais la queue pour aller aux toilettes », m’a dit un jour mon frère Baraa.

Ce sont là des détails que les médias, et même la plupart des Palestiniens déplacés eux-mêmes, ne vous diront jamais. Je les mets en lumière parce que je ressens un profond sentiment de responsabilité, en tant que témoin et victime de ces catastrophes.

Pour les mères, garder leurs enfants propres et en bonne santé est un défi permanent. Vivant dans des tentes montées sur le sable, la poussière et la saleté s’infiltrent partout. Il n’y a ni toilettes, ni eau courante, ni installations sanitaires, rien pour protéger leurs enfants des maladies. La plupart des mères sont obligées de marcher jusqu’à la plage pour aller chercher de l’eau afin de laver leurs enfants.

« Je ne suis pas habituée à voir mes enfants dans cet état. Je suis épuisée », a déclaré Hadeel Ahmad, une mère déplacée, âgée de 35 ans, qui a quitté sa maison et vit désormais dans une tente.

L’hiver approche à grands pas et nous sommes tous débordés par la tâche qui consiste à protéger nos tentes des fuites d’eau de pluie. « L’hiver dernier, je n’ai pas dormi pendant plusieurs nuits. Je suis restée éveillée toute la nuit pour essayer de protéger nos affaires de la pluie », raconte Refaat.

Malgré tout ce que nous avons vécu, même le temps est devenu une menace.

L’assainissement devrait être un droit fondamental, et non un luxe. Creuser des trous au lieu d’avoir des toilettes est une réalité très éloignée de tout ce qui est normal ou humain.

La guerre ne s’arrête jamais vraiment pour ceux d’entre nous qui vivent dans des tentes. Chaque matin, nous nous réveillons dans la même atmosphère suffocante, entourés de maladies, de poussière et de l’odeur insupportable des égouts à ciel ouvert.

C’est une souffrance silencieuse. Je ne suis pas seulement témoin, je la vis. Et je vous le dis : c’est insupportable. Nous mourons en silence à cause de choses insignifiantes, des choses si basiques, si humaines, que personne n’a rien fait pour changer.

Notes

[1] Selon Nicholas Torbet, de directeur de Middle East, HALO Trust (UK), sur les 200’000 tonnes de bombes larguée sur Gaza quelque 70’000 tonnes n’ont pas explosé ou ont déversé de la sous-munition. Cela provoque, actuellement, de nombreux drames pour des personnes, entre autres des enfants, qui souffrent de graves blessures aux jambes, aux bras, aux mains, alors que le système hospitalier reste totalement dysfonctionnel suite aux destructions subies et par manque quasi complet de fournitures qui n’ont pas accès à Gaza, sous l’effet du boycott imposé par l’armée israélienne. (Réd.)


Sara Awad est étudiante en littérature anglaise, écrivaine et conteuse basée à Gaza. Article publié sur le site Truthout le 25 octobre 2025 ; traduction rédaction A l’Encontre.

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Sara Awad

Sara Awad est étudiante en littérature anglaise, écrivaine et conteuse basée à Gaza.

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