La marchandisation du corps est un processus par lequel la sexualité d’un individu, ou son corps en tant qu’entité érotisante, est transformé en un bien commercialisable, en un produit qui peut être consommé par autrui. Le Grand Prix de Formule 1, l’évènement annuel très couru par l’élite économique, est saturé de manifestations, sous diverses formes, de ce phénomène.
Passez quelques heures sur le site du festival ou encore baladez-vous un instant sur la rue Crescent, endroit où ont lieu la plupart des soirées jet-set en lien avec le Grand Prix, et vous serez rapidement assailli-e par les publicités sexistes et dégradantes conçues spécifiquement pour l’évènement. Vous constaterez rapidement le nombre important de bars de danseuses fréquentés massivement par les hommes d’affaires. Vous pourrez même, pour quelques dizaines de dollars, vous faire photographier devant le dernier modèle de Formule 1 en compagnie de la femme plantureuse et à moitié nue que vous aurez vous-même choisie parmi la « sélection annuelle ». Et c’est sans parler du travail, généralement caché et invisible, des escortes dont les agences voient leurs revenus se décupler pendant les quelques jours que dure l’évènement. Les raisons qui poussent des femmes à ainsi vendre leur corps et à commercialiser leur sexualité sont multiples et trop complexes pour être analysées en bloc. Toutefois, le besoin urgent de gagner de l’argent se retrouve généralement au coeur des préoccupations de celles-ci.
Souvent, les métiers d’escorte, de danseuse nue ou encore de serveuse dans un bar où la prononciation du décolleté et le montant du pourboire sont proportionnels, permettent d’amasser en une seule soirée ou nuit une somme que peu d’emplois dits « réguliers » offrent en salaire. De tels emplois peuvent donc devenir attirants, à première vue, pour des femmes en situation de précarité financière qui auraient besoin, par exemple, de rembourser une dette rapidement ou de trouver les fonds nécessaires pour survivre en très peu de temps. De par leur très faible revenu et leur très haut taux d’endettement, les étudiantes sont de bonnes candidates à la marchandisation du corps. En effet, plusieurs d’entre elles choisissent, pour ces motifs, de travailler dans un domaine où, en quelques heures, elles peuvent gagner autant qu’en travaillant une trentaine d’heures rémunérées au salaire minimum (c’est le cas des emplois de caissière dans un supermarché ou un dépanneur, de vendeuse dans une boutique de vêtement, de serveuse dans un café, etc.). De cette manière, elles peuvent subvenir à leurs besoins en empiétant le moins possible sur leurs études, ou encore sur du temps réservé à leurs enfants, dans le cas des mères, souvent monoparentales.
Évidemment, cela n’est pas une solution miracle et ne se fait pas sans atteinte à l’intégrité physique et psychologique. Dans le cadre de cet article, nous avons réalisé plusieurs entrevues, notamment avec Marie-Anne*, une étudiante de 24 ans qui travaille à temps partiel comme serveuse dans l’un des bars branchés de la rue Crescent. « Travailler comme serveuse dans un bar huppé du centre-ville pendant la saison touristique, particulièrement pendant le Grand Prix, ça n’a rien d’agréable ni de valorisant. Pendant ces quatre jours, les patrons font travailler les serveuses les plus sexy, celles qui plaisent aux touristes venus à Montréal pour regarder des chars et des “pitounes”. Comme je n’ai pas un physique particulièrement flamboyant, je travaille automatiquement comme hôtesse et je fais, du coup, beaucoup moins de pourboire que celles, plus jolies, qui servent aux tables ou au bar », nous a-t-elle confié.
Le cas de Marie-Anne et de ses collègues n’a rien de spécial ; beaucoup d’étudiantes se soumettent à de telles pratiques discriminatoires, car leur situation économique ne leur permet pas de renoncer au revenu que leur assure leur emploi. Dans l’optique où la hausse des frais de scolarité n’était pas contrée par le mouvement de grève actuel, il semble évident que de plus en plus d’étudiantes seraient amenées à gagner leur vie en marchandant leur corps de manière directe ou non, et ce, souvent au péril de leur santé psychologique, parfois physique.
*Ceci est un nom fictif employé afin de préserver l’anonymat du témoignage
Par Camille Toffoli, étudiante en études litéraires et Lysandre Bourgoin, étudiante en philosophie politique