Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Vers une définition toujours plus orwellienne du terrorisme aux USA

En matière de détournement du langage en une ridicule parodie orwellienne de lui-même destinée à court-circuiter la pensée critique, cette semaine a été particulièrement fructueuse. Ce que j’ai personnellement préféré, c’est la partie où des respectables auteurs de gauche ont expliqué que l’application déjà arbitraire de l’étiquette « terroriste » devait être rendue encore plus arbitraire. Je ne parle pas des progressistes au service de l’establishement qui sévissent au sein de publications de presse grand public comme le New York Times. Je parle d’auteurs que je respecte en général, et de courageuses publications d’opposition comme The Intercept et Counterpunch.

Tiré de Tlaxcala.org

Par exemple, dans son essai de mercredi dernier, La Dernière attaque terroriste de la NRA (1) sur le sol des USA, Paul Street affirme que l’étiquette « terroriste » devrait s’appliquer non seulement au tireur de La Vegas, mais aussi à la NRA (1). Voici, je pense, l’essence de son argumentation :
« Je réalise que la définition formelle du terrorisme implique l’usage de violence à des fins politiques – un moyen barbare pour servir un objectif politique. Est-ce que le tireur doit forcément être membre d’une organisation terroriste – dans ce cas, d’après mon analyse, la NRA – et aligné avec ses buts ? Non, pas quand il s’agit de soutenir les but politiques de la NRA. Tout ce qu’il faut est qu’il tue beaucoup de gens ».

Cela, bien sûr, procède de la même logique que celle des médias et de la communauté du renseignement, (2) quand ils étiquettent « terroriste récemment auto-radicalisé » n’importe quel forcené meurtrier qui proclame son appartenance à un groupe terroriste quelconque, avec qui il n’a jamais eu le moindre contact. Par exemple des types comme Omar Mateen, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, Khalid Masood,et autres tueurs assortis, que j’appelle personnellement des « terroristes non-terroristes », à cause d’un fait troublant : ils ne semblaient pas avoir de liens avec le terrorisme avant de décider de tuer des gens. Mais admettons… Selon la logique de Paul Street, et la logique de la « communauté du renseignement », une personne n’a pas besoin d’être membre d’un quelconque groupe terroriste, ou d’être liée en quoi que ce soit au terrorisme, pour être officiellement désignée « terroriste ».

Et si ce type de raisonnement semble pour le moins discutable, Binoy Kampmark, dans son essai de mercredi Que cachent les mots ? Terrorisme à Las Vegas, justifie comme suit d’appeler le tireur de Las Vegas « terroriste » :
« La législation du Nevada aurait pu fournir d’amples indications aux autorités : ‘Un acte de terrorisme signifie n’importe quel acte impliquant l’usage ou la tentative de sabotage, de coercition ou de violences dans l’intention de causer des dommages physiques ou la mort à la population’. Clair, précis, indiscutable. »

Si les législateurs du Nevada ont passé une loi autorisant les autorités à appeler tous les tueurs de masse (3) des « terroristes », voilà qui devrait tous nous suffire. Qui peut discuter avec la loi, de toutes façons ? Prions seulement pour que les législateurs du Nevada ne déclarent pas « terroristes intérieurs » un groupe d’activistes que nous soutenons au prétexte qu’ils tenteraient « d’effrayer la population générale » en causant des « dommages physiques » à quelqu’un.

Et ce ne sont pas seulement mes confrères de Counterpunch qui ont, dirons-nous, un tout petit peu exagéré. Tim Dickenson, dans son article de Rolling Stone, Il est temps de politiser l’attaque terroriste de Las Vegas, réitère les positions de Street et de Kampmark, ou ce sont eux qui réitèrent la sienne, ou quelque chose comme ça. Shaun King, dans un article d’Intercept, Le privilège blanc du tireur loup solitaire, traite le sujet avec un peu plus de nuance, mais l’impression que nous en retirons est sensiblement la même : si le tireur n’avait pas été blanc, il aurait été désigné comme « terroriste ». Ce qui est vrai, bien sûr, mais ce n’est pas la question.

Bien que je comprenne les réserves de ces auteurs quant à l’application biaisée de l’étiquette « terroriste », aider la communauté du renseignement à étendre la définition du « terroriste » au point de la rendre applicable à tout le monde semble un peu imprudent et… pas très futé. C’est un peu comme si on disait que, parce que la police tue des noirs américains désarmés, la chose à faire est de demander qu’ils tuent également des blancs américains désarmés, vous savez, juste pour équilibrer les choses. Traitez-moi de ce que vous voulez, mais ce n’est pas un argument qui m’enthousiasme. Mis à part son absurdité flagrante et l’autoritarisme qui s’en dégage, il se trouve aussi que j’ai un petit problème avec les mots : j’aime bien qu’ils aient une signification.

Des termes émotionnellement chargés comme « terrorisme » ne signifient rien. Leur valeur est stratégique. Ce sont les étiquettes utilisées par les classes dirigeantes pour désigner une violence qu’elles n’ont pas approuvée. Quand Trump ou Obama ordonnent une frappe de drones contre une cérémonie de mariage en Afghanistan et pulvérisent toute une famille, ou quand Tsahal tue un gamin pour avoir lancé une pierre contre un mur ou quelque chose comme ça, cette violence ne s’appelle pas terrorisme. Mais si un musulman, qui se trouve être en porte-à-faux avec ses préférences sexuelles, décide de tuer beaucoup de gens et de glorifier ses meurtres/suicide en déclarant agir pour Daech… là, oui, bien sûr, c’est tout à fait du terrorisme.

Et quand la mère d’un autre idiot parti en Syrie pour se joindre aux terroristes que la CIA aide à tenter de renverser le gouvernement syrien lui envoie un mandat de quelques deux mille euros, elle est envoyée en prison pour « financement de terrorisme ». Et puis, nous avons l’effort actuel des médias grand public pour éliminer les vues « extrémistes » sur Internet, et la qualification des antifas comme « terroristes intérieurs » Par exemple, dans son essai de mercredi dernier, La Dernière attaque terroriste de la NRA (1) sur le sol des USA, Paul Street affirme que l’étiquette « terroriste » devrait s’appliquer non seulement au tireur de La Vegas, mais aussi à la NRA (1). Voici, je pense, l’essence de son argumentation : « Je réalise que la définition formelle du terrorisme implique l’usage de violence à des fins politiques – un moyen barbare pour servir un objectif politique. Est-ce que le tireur doit forcément être membre d’une organisation terroriste – dans ce cas, d’après mon analyse, la NRA – et aligné avec ses buts ? Non, pas quand il s’agit de soutenir les but politiques de la NRA. Tout ce qu’il faut est qu’il tue beaucoup de gens ».

Prions seulement pour que les législateurs du Nevada ne déclarent pas « terroristes intérieurs » un groupe d’activistes que nous soutenons au prétexte qu’ils tenteraient « d’effrayer la population générale » en causant des « dommages physiques » à quelqu’un. Et ce ne sont pas seulement mes confrères de Counterpunch qui ont, dirons-nous, un tout petit peu exagéré. Tim Dickenson, dans son article de Rolling Stone, Il est temps de politiser l’attaque terroriste de Las Vegas, réitère les positions de Street et de Kampmark, ou ce sont eux qui réitèrent la sienne, ou quelque chose comme ça. Shaun King, dans un article d’Intercept, Le privilège blanc du tireur loup solitaire, traite le sujet avec un peu plus de nuance, mais l’impression que nous en retirons est sensiblement la même : si le tireur n’avait pas été blanc, il aurait été désigné comme « terroriste ». Ce qui est vrai, bien sûr, mais ce n’est pas la question.

Ce sont les étiquettes utilisées par les classes dirigeantes pour désigner une violence qu’elles n’ont pas approuvée. Quand Trump ou Obama ordonnent une frappe de drones contre une cérémonie de mariage en Afghanistan et pulvérisent toute une famille, ou quand Tsahal tue un gamin pour avoir lancé une pierre contre un mur ou quelque chose comme ça, cette violence ne s’appelle pas terrorisme. Mais si un musulman, qui se trouve être en porte-à-faux avec ses préférences sexuelles, décide de tuer beaucoup de gens et de glorifier ses meurtres/suicide en déclarant agir pour Daech… là, oui, bien sûr, c’est tout à fait du terrorisme.

Ce ne sont que quelques-uns des nombreux exemples de la façon dont les classes dirigeantes utilisent ces termes (« terrorisme », « extrémisme ») pour diaboliser tous ceux qu’ils veulent diaboliser, et maintenir la population dans un état de peur permanente, pour qu’elle n’aie pas le temps de réfléchir posément, ce qui est précisément le but de l’emploi de ces deux mots. Et aujourd’hui, en réponse au massacre de Las Vegas, les gens de gauche exigent que le coupable, Stephen Paddock, soit désigné « terroriste », parce qu’il a oeuvré dans le sens des buts politiques de la NRA, ou simplement parce qu’il a tué beaucoup de gens.

D’accord, admettons, pourquoi pas ? Si nous pouvons affirmer que dans certains cas, la violence n’est pas de la violence parce que, par exemple, c’est de l’autodéfense préventive contre des nazis, dont le discours est violent parce que ce sont des nazis, nous pouvons probablement également étiqueter Paddock « terroriste ». Et, tant que nous y sommes, pourquoi nous arrêter à Paddock ? Avec la même logique, ne pourrions-nous pas déclarer que chaque membre de la NRA, et tous ceux qui ont voté pour Trump (qui après tout, est un suprémaciste blanc, donc un terroriste par définition)… que tous ces gens sont également des terroristes ?

Peut-être que si nous obtenions assez de like sur Facebook, nous pourrions écrire aux services de sécurité intérieure pour leur demander de monter une autre banque de données de terroristes, et de surveiller le comportement de ces personnages. Ou peut-être que j’exagère, et que je critique injustement mes confrères de gauche. La signification de mots comme « terrorisme » n’a probablement aucune importance, non plus que les penchants à l’autoritarisme ou la logique orwellienne alambiquée que nous exposons dans nos essais littéraires gauchisants. Quand Google et Facebook auront fini de nettoyer Internet des « contenus extrémistes » et des « contenus liés au terrorisme », et de tous les autres contenus qu’ils auront diabolisé avec une quelconque autre étiquette sans signification destinée à étouffer la pensée critique et à en appeler aux émotions brutes, personne ne nous lira plus, de toutes façons… sauf des terroristes et des extrémistes, bien sûr.

NdlT (1) NRA, National Rifle Association, l’association US des tontons flingueurs, est un lobby puissant et très généreusement financé par les fabricants d’armes. Ses buts politiques se résument à vendre toujours plus d’armes à la population en proposant ou en soutenant des législations favorables à son business. (2) La communauté du renseignement : la CIA, la NSA et les quinze autre agences de renseignement des USA. (3) Meurtres de masse : les USA connaissent des problèmes récurrents de forcenés armés qui se mettent un jour à tirer sur des passants. Nous n’en connaissons que les exemples les plus célèbres (Columbine, Sandy Hook, Orlando, etc) mais ce type d’incident est extrêmement fréquent (presque un par jour selon la banque de données du site Gun Violence).

Merci à Entelekheia

Source : https://www.counterpunch.org/2017/10/06/the-ever-more-orwellian-definition-of-terrorism/

Date de parution de l’article original : 06/10/2017]

C.J. Hopkins

Auteur US de pièces de théâtre et de textes de satire politique vivant à Berlin.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : États-Unis

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...