Édition du 16 avril 2024

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Afrique

Afrique du sud : Le charbon tue à bout portant ou à petit feu

Le 22 octobre, Fikile Ttshangase a été tuée par balles chez elle dans son village d’Ophondweni au Kwazulu-Natal. Elle était membre d’une organisation locale qui luttait pour la défense des droits de sa communauté contre l’extension d’une mine de charbon. D’autres avant elle ont été tués. Le charbon est un serial killer sud-africain sans honte ni remords depuis près de deux siècles

Tiré du blogue de l’auteure.

L’économie sud–africaine repose sur l’exploitation d’un sous-sol riche en une gamme variée de minerais, des minerais précieux comme l’or, le diamant, le platine à celui du charbon, moins glamour, mais indispensable aux centrales thermiques qui fournissent encore 86% de l’énergie utilisée par le pays, en passant par les métaux indispensables à l’industrie high-tech : cobalt, lithium, vanadium, etc.

Depuis la découverte des mines d’or et de diamants dans les années 1860, les compagnies minières ont mis au point le système du travail migrant qui leur permet d’assurer une rentabilité maximum en dépensant le moins possible pour une main d’œuvre renouvelable. Cecil Rhodes, incarnation de la colonisation britannique et de la main mise sur les richesses minières de l’Afrique du Sud avait fait voter la loi Glen Grey Act qui donnait un cadre légal au travail migrant. En 1902, la Teba, une agence spécialisée qui fonctionne toujours, était chargé du recrutement et de l’embauche des mineurs pour le compte des compagnies minières. Elle recrute toujours dans les zones rurales et aussi au-delà des frontières du pays dans les pays voisins, principalement au Lesotho, Swaziland, Mozambique.

Si les compagnies minières ont fait fortune et peuvent toujours verser de copieux dividendes à leurs actionnaires, les mineurs doivent se contenter de maigres salaires pour un travail toujours harassant et dangereux pour leur santé et leur vie. Un recours collectif déposé en 2012 au nom des mineurs victimes de silicose ou de tuberculose va enfin aboutir au versement d’indemnités. Six compagnies minières sont concernées : Harmonie Gold, Gold Fields, African Rainbow Minerals, Sibanye-Stillwater, AngloGold Ashanti and Anglo American. Toutes avaient recours aux travailleurs migrants venus de la province du Cap oriental, du Lesotho, du Mozambique, du Malawi ou Botswana. La silicose a certainement tué plus de mineurs que les accidents à la mine.

Une modification du code minier était une nécessité pour réparer la plus flagrante des inégalités de l’économie sud-africaine. Il aura fallu plusieurs moutures de ce code pour arriver à donner satisfaction tant aux compagnies minières qu’à répondre aux injonctions d’une politique du Black Economic Empowerment dont la vocation était de donner un pouvoir économique aux « populations historiquement défavorisées ».

Ce code prévoit que 8% des actions soient réservées aux communautés qui vivent sur les sites miniers, mais pour Bench Marks une association de défense des pauvres « ce code est aussi dangereux qu’un puits de mine abandonné » et son directeur se demande comment le ministère veut faire croire qu’en consultant quelques chefs traditionnels, il peut avoir une idée de la situation de ces communautés gravement affectées par l’extraction minière dans leur vie quotidienne. La question aussi est de savoir comment des personnes pauvres et illettrées vont pouvoir acheter 8% d’actions auxquelles elles ont droit en théorie. https://renapas.rezo.net

Ce droit accordé aux communautés a été le déclencheur d’une série de meurtres pour faire taire ceux et celles qui entendent bien faire entendre leurs voix et faire respecter leurs droits en refusant de sacrifier leur santé et leur environnement pour un plat de lentilles. Fikile Ttshangase a payé au prix de sa vie son refus de se taire contre un pot de vin de moins de 350 000 rands soit moins de 20 000 euros et son obstination a dénoncé l’impact réel sur la vie de son village de l’extension d’une mine de charbon. Une mine de charbon, c’est la pollution des rivières et sources environnantes, le déplacement des populations, la destruction des écosystèmes et environnement socio –culturel. https://saveourwilderness.org/

La compagnie minière Tendele Coal préfère négocier avec les chefs traditionnels l’extension de la mine de charbon Somkhle en bordure du parc animalier Hluhluwe-iMfolozi en violation des lois existantes. Son seul interlocuteur est le fond Ingonyama Trust, mais ce fond est sous la tutelle du roi des Zoulous qui est le propriétaire des terres, ses sujets n’ayant que des droits coutumiers. Le litige entre la compagnie minière, le fonds Ingonyama Trust et les populations locales remontent à l’ouverture de la mine en 2007. Les négociations entre la compagnie et le roi des Zoulous restent un secret bien gardé. La Commission des droits humains (SAHRC) a dénoncé les conditions scandaleuses réservées aux populations affectées par l’extension de la mine, mais en vain. La violence a fini par l’emporter en montant ceux qui pensent encore avoir un emploi à la mine, même temporaire, contre ceux qui dénoncent les dangers irréparables que cette exploitation fait courir à la vie de tous.

Un rapport de Global Witness de 2020 fait référence à cette tactique du diviser pour régner, vieille comme le monde et qui fait ses preuves : qualifier « d’ennemis » « ceux qui osent s’opposer à un projet minier censé apporter emplois et bien–être à tous. « Menaces et intimidation par d’autres membres de la communauté contre des militants prend racine dans la croyance que ces militants empêchent ou contrarient un projet économiquement bénéfique. Dans certains cas, des représentants du gouvernement ou des compagnies minières manoeuvrent et exploitent ces divisions, en cherchant à isoler et à stigmatiser ceux qui s’opposent à la mine ». https://www.dailymaverick.co.za/article/2020-11-02-kwazulu-natal-mining-murders-death-stalks-community-land-

La transparence dans l’obtention d’un droit d’exploitation ne semble pas une nécessité ni pour le Conseil des mines d’Afrique du Sud, ni pour le ministère des minerais et de l’énergie. Il n’y a pas de répertoire clair et à jour des petites compagnies, non cotées en bourse, qui opèrent dans la plus parfaite ignorance des lois protégeant les populations et l’environnement. ArmaranthCX, un cabinet de consultance a essayé de dresser une carte la plus précise possible de toutes les mines de charbon en exploitation. A sa grande surprise il a découvert une pléthore de petites mines en activité dans la province du Mpumalanga, la province du charbon et des centrales thermiques, qui empoisonnent l’air, l’eau et tous les fragiles écosystèmes environnants, y compris ceux qui sont en théorie protégés, pour engranger de copieux profits. https://www.dailymaverick.co.za/article/2020-11-02-murky-new-world-of-south-african-coal/

Cette carte est révélatrice de la persistance de l’exploitation du charbon dans des conditions, selon les mots de Paul Miller, directeur d’AmaranthCX, que certains dans l’industrie minière ou au gouvernement « préfèrent que vous ne sachiez pas et que vous ne voyiez pas ». Le charbon n’a pas dit son dernier mot et sa disparition annoncée et programmée à chaque grand messe consacrée au climat semble bien loin de la réalité.

Llire

La voix des veuves de Marikana Jacqueline Dérens 2015 Ed Clara Magazine

The Night Trains, Charles van Onselen 2019 Jonathan Ball Ed non traduit en français

Jacqueline Dérens

Blogueuse sur le site de Mediapart (France). Ancienne militante contre l’apartheid, fondatrice de l’association RENAPAS - Rencontre nationale avec le peuple d’Afrique du Sud.

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