Édition du 16 avril 2024

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Canada

Au Canada, se préoccuper du climat n'est pas un crime. Pas encore...

Quand j’ai lu dans le journal La Presse le rapport de janvier 2014 de la GRC (http://plus.lapresse.ca/screens/6b16b226-0560-4aec-be82-70e919746faa%7Cg4zcHupMhZXg.html) à propos de ce qu’elle appelle « le mouvement anti-pétrole canadien » (qu’elle qualifie de « croissant, hautement organisé et bien financé »), ma première réaction fut d’en rire. D’en rire à la mesure du ridicule de ce rapport.

Sur ce rapport, le Globe & Mail parlait « d’une charge reflètant l’hostilité que porte le gouvernement à l’égard des militants environnementaux ». Ça ressemble pour moi à une agence bureaucratique faisant son possible auprès de ses maîtres politiques pour obtenir un plus gros budget. Alors j’ai pensé à la nouvelle Loi anti-terrorisme, et le paysage s’est un peu assombri. 


Le document se présente comme un « rapport des renseignements sur les infrastructures essentielles ». Le projet de loi sur le terrorisme décrit les « entraves au fonctionnement d’infrastructures essentielles » comme comprises dans la définition d’« une activité qui compromet la sécurité du Canada ». Voici un document qui en plus de renforcer les pouvoirs des services de renseignement, va aussi déterminer ses nouvelles cibles, (ce que l’équipe éditoriale du Globe & Mail caractérise comme étant un genre de police secrète). 


Le gros problème est que le document classifie toute personne préoccupée par les changements climatiques comme étant un potentiel (si ce n’est réél, les lignes sont floues) « extrémiste anti-pétrole » cherchant à faire avancer son « idéologie anti-pétrole ». 

Comme le fait remarquer Paul Champ, avocat travaillant avec le BC Civil Liberties Union (Syndicat des libertés civiles de la C.-B.) sur une affaire impliquant l’espionnage de citoyens connus pour leur implication environnementale, : « Ce genre d’affaires impliquant des groupes environnementaux - ou des groupes anti-pétrole comme la GRC les appelle - va devenir le point de mire de la loi C-51 (le projet de loi anti-terrorisme). Avec tout le respect concernant la loi C-51, moi et d’autres groupes, sommes inquiets de savoir que cette loi puisse non seulement viser les personnes impliquées dans une activité criminelle terroriste, mais aussi les personnes qui manifestent leur opposition à différentes politiques du gouvernement canadien. »


Quand la GRC questionne la réalité des changements climatiques

Le plus bizarre étant que la GRC traite les changements climatiques comme étant un canular orchestré par les environnementalistes (pardon, les « extrémistes anti-pétrole ») : 

« Les ONGs, telles que Greenpeace, Tides Canada et le Sierra Club, pour n’en nommer que quelques-unes, affirment que les changements climatiques sont maintenant la plus grande menace mondialement, et que les changements climatiques sont une conséquences directes de l’augmentation des emissions de gaz à effet de serre anthropiques élevées, qu’ils croient être directement liée à l’utilisation des combustibles fossiles…


Recherches et analyses à l’appui, l’enquête criminelle de la GRC montrent que les personnes impliquées dans le mouvement anti-pétrole canadien ont un intérêt à attirer l’attention publique et à construire la reconnaissance de la menace environnementale perçue autour de l’utilisation continue des combustibles fossiles.


La diffusion de ces inquiétudes a conduit à une couverture médiatique importante, et souvent négative, de l’industrie pétrolière canadienne. L’utilisation des médias sociaux, incluant l’utilisation de live-streaming, a fourni au mouvement anti-pétrole la possibilité de contourner les réseaux de nouvelles traditionnels, de contrôler et de façonner son message, et de promouvoir une version unilatérale des événements réels, entrainant une plus large opposition anti-pétrole. »


Voilà qui contraste avec l’approche des États-Unis, où le président Obama définit les changements climatiques comme une menace à la sécurité nationale, et une menace qui touche plus de personnes que le terrorisme : la Maison Blanche a maintenu sa décision mardi d’inclure les impacts des changements climatiques dans sa stratégie de sécurité nationale publié la semaine dernière.


Aux États-Unis, les changements climatiques sont une menace pour la sécurité nationale

Lorsqu’il se fait demander si le président Obama croit que les changements climatiques sont une menace plus grande que le terrorisme, le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest, repousse aussi sec. « Ce que le président dit, c’est qu’il y a beaucoup plus de personnes sur une base annuelle qui ont à faire face à l’impact direct sur leur vie des changements climatiques ou de la propagation d’une maladie qu[’à l’impact] du terrorisme », a déclaré Earnest. Son commentaire vient aussi après qu’Obama ait dit lors d’une entrevue avec Vox.com qu’« absolument », les médias surestiment le niveau d’alarme que les citoyens devraient avoir à propos du terrorisme comparé aux changements climatiques et aux maladies…


La Maison Blanche a identifié les changements climatiques comme une menace à égalité avec le terrorisme, les armes de destruction massive et la maladie dans sa stratégie de sécurité nationale publiée la semaine dernière.


« Les changements climatiques sont une menace urgente et croissante à la sécurité nationale, contribuant à l’augmentation des catastrophes naturelles, des flux de réfugiés, et des conflits sur les ressources de base comme la nourriture et l’eau », a déclaré la Maison Blanche dans le document stratégique de 35 pages.


Mais pas au Canada...

Dans le Canada de Stephen Harper, c’est différent, ce sont les militants du climat qui sont une menace.


Ceci fait partie du script du gouvernement Harper. En 2012, le ministre des Ressources naturelles, Joe Oliver, écrivait une lettre ouverte qui disait :
« Malheureusement, il existe des groupes environnementaux et d’autres groupes radicaux qui chercheraient à bloquer cette occasion de diversifier nos échanges. Leur but est d’arrêter tout projet important quel qu’en soit le coût pour les familles canadiennes en terme de pertes d’emplois et de croissance économique. Pas de foresterie. Aucune minière. Pas de pétrole. Pas de gaz. Plus de barrages hydro-électriques. Ces groupes menacent de détourner notre système de réglementation pour réaliser leur programme idéologique radical ».

Pour ne pas être surpassé, le ministre de l’Environnement de l’époque, Peter Kent, avait alors mis à égalité la trahison avec le fait de questionner l’expansion des sables bitumineux et dit que certains groupes environnementaux faisaient du « blanchiment d’argent » – une accusation qui s’est attirée une réponse forte de la part du groupe représentant les organismes de charité, demandant au gouvernement de fournir des preuves ou de se rétracter. 


En dépit des compressions opérées ailleurs, le gouvernement fédéral a réussi à trouver un supplément de 8 millions de dollars en 2012 pour l’Agence du revenu du Canada afin que celle-ci puisse mener des audits sur les groupes environnementaux, ce que plusieurs ont qualifié de « chasse aux sorcières » ciblant les groupes qui s’opposent aux nouveaux projet de pipelines de sables bitumineux.



Le retour de la surveillance d’État ?

Ces évènements ne sont cependant pour la plupart que des mots (et des audits). Ce qui je trouve véritablement alarmant à propos du document de la GRC, c’est que lorsqu’il est combiné avec le projet de loi sur le terrorisme, il jette les bases pour tout type de surveillance d’état et de « sale tour ».


Les juristes Craig Forcese et Ken Roach ont mis en évidence la nature radicale des pouvoirs étant accordés au SCRS dans la nouvelle législation :
« Le gouvernement propose la restructuration radicale du SCRS et de la transformer en un « service cinétique », de prendre des mesures physiques allant bien au-delà de la collecte de renseignements - et de lui donner les compétences pour agir au-delà de la loi et même de la constitution. Nous doutons de la légalité de cette proposition. En outre, elle représente une rupture avec toute la philosophie qui animait la Loi sur le SCRS quand il a été introduit il y a 30 ans.

Le projet de loi équivaut à une autorisation ouverte de pouvoirs clandestins dont l’application correcte et raisonnable dépendra du bon jugement du gouvernement, tempérée (dans certains cas) par des jugements judiciaires (qu’on espère eux aussi raisonnables), dans le cadre d’une procédure secrète problématique. Cette loi viole donc un principe cardinal qui, nous croyons, devrait être intégré dans la législation nationale de sécurité : toute loi qui accorde des pouvoirs (surtout secrets et difficiles à examiner) devrait être conçue pour limiter la possibilité d’émettre une faute de jugement, ne pas être une loi dont l’application raisonnable dépend de l’excellence du jugement. » 

C’est le même genre de jugement affiché dans le document de la GRC qui en vient à définir des participants à des sit-in ou autre actions pacifiques comme des « menaces à la sécurité nationale » : « Ceux au sein du mouvement qui sont prêts à aller au-delà des actions pacifiques emploient principalement des tactiques d’action directe comme la désobéissance civile, les manifestations illégales, l’introduction par effraction, le vandalisme et le sabotage. »

Le projet de loi antiterroriste bénéficie d’une dérogation pour les manifestations légitimes et la dissidence. Il y a, cependant, de nombreuses formes de protestation qui ne sont pas strictement légales tels qu’un rassemblement qui ne recevrait pas les permis nécessaires, une grève sauvage, un sit-in, ou les blocus organisés par Idle No More et mis en place par les Premières nations pour défendre leurs droits issus des traités. Nous avons déjà des lois pour répondre à ce type d’action. Alors entreprendre ou soutenir de telles actions ne devrait pas être confondues avec du terrorisme ou permettre le genre de surveillance contenue dans le projet de loi sur le terrorisme.


En fait, vous n’avez même pas à organiser vraiment une manifestation ou un sit-in pour déclencher cette nouvelle machine - en vertu de la Loi, le SCRS a simplement à soupçonner que vous pourriez faire quelque chose qui entrave une infrastructure essentielle pour pouvoir sortir son nouvel attirail judiciaire. 

Comme on dit, « bientôt le goulag ».


C’est effrayant, et c’est peut-être l’effet désiré.



Vous pouvez dès maintenant SIGNER l’appel pour rejeter cette « police secrète » que le gouvernement Harper souhaite imposer et défendre nos libertés civiles.

Keith Stewart

Blogueur pour le site de Greenpeace Canada.

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