Mais avant d’aborder l’impasse du mouvement syndical, il serait utile de se pencher brièvement sur la signification historique plus large de cette crise économique. Les ralentissements cycliques sont communs sous le capitalisme, mais les crises structurelles sont relativement rares. Elles éclatent plus ou moins à tous les quelques trente ans. Ces crises sont le fait de l’apparition de barrières sociales et institutionnelles qui bloquent le cours normal du capitalisme. Pour la bourgeoisie et les États capitalistes, il s’agit alors de chercher une issue qui permettrait au capitalisme de reprendre sa dynamique. Par exemple, l’issue de la crise qui a débuté à la fin des années 1960 et qui a traversé les années 1970 a été précédée par un affaiblissement du pouvoir que la classe ouvrière avait pu exercer pendant la période précédente. De plus, la finance a été libéralisée, la mondialisation accélérée, et l’État restructuré. Celui-ci n’a pas été affaibli, comme l’on dit souvent. Mais l’État a pu s’autonomiser davantage des pressions populaires et devenir en conséquence plus fort du point de vue de sa capacité de soutenir l’accumulation privée. Bref, la résolution de cette crise a établi les conditions et les contradictions qui se trouvent à la base de la présente crise
Gérer la crise
Quatre aspects de la présente crise nous semblent particulièrement significatifs. Premièrement, malgré la tourmente intérieure et sur la scène internationale, il y a eu remarquablement peu de résistance à la mondialisation et au libre-échange. Comparons cela à la réaction à la dernière crise profonde, celle des années 1930, lorsque les sentiments protectionnistes étaient forts et répandus et le capitalisme, comme système international, semblait menacé. Aujourd’hui, par contre, le capitalisme mondialisé n’est remis en question par aucun pays. (Même en Grèce, Syriza, le parti principal de l’opposition, a souligné la nécessité de modifier, mais non pas de transformer, le rapport de la Grèce à l’économie internationale. Il et pose la question de la sortie de l’Euro, non pas comme un but, mais comme une option, quoique peu souhaitable, si les mesures contre-productives d’austérité se poursuivent.) Tout en prenant la mondialisation pour acquis, on a mis l’accent sur la gestion des crises, surtout des crises financières liées à l’expansion du capitalisme mondialisé.
Un deuxième aspect de la crise est que, malgré une compréhension commune des cause de la crise imputables aux banquiers privés et aux autres institutions financières, la solution n’a pas été d’affaiblir ces derniers, mais, au contraire, de les renforcer, tout en renforçant la capacité des États à limiter – non pas à éliminer – la volatilité financière. Il ne s’agit là ni de stupidité ni de corruption (même si ces réalités ne sont pas absentes !) mais de l’importance structurelle de la finance à l’ensemble du capitalisme. On a souvent tendance à séparer la finance du reste du système et à la qualifier de parasite de la spéculation. spéculatrice. Mais si c’était le cas, on aurait vu des divisions au sein de la bourgeoisie – le capital industriel, qui souffre de la stagnation des marchés, se serait joint aux attaques contre la finance. Au lieu de cela, il y a eu remarquablement peu de signes d’une division entre le capital financier. et le reste.
Cela reflète le haut degré d’intégration de la finance et de l’industrie. Il ne s’agit pas ici des besoins des entreprises industrielles en crédit quotidien, puisqu’elles ne savent même pas quoi faire de la masse de profit et d’argent comptant qu’elles possèdent. L’alliance entre l’industrie et la finance trouve ses raisons dans l’importance du crédit pour les fusions et les restructurations, ainsi que pour le capital à risque afin de mettre sur pied de nouvelles firmes ; dans les besoins des corporations internationales mondiales en services financiers spécialisés qui facilitent le commerce et limitent les risques liées aux taux d’échanges et aux autres incertitudes ; dans la discipline que les marchés financiers imposent aux travailleuses et aux travailleurs, aux États, et au capital lui-même, obligeant celui-ci à être fidèle aux priorités, que sont les profits et l’accumulation privée ; et, en ce qui concerne les E-U, à leur accès privilégié à l’ensemble de l’épargne de la que les marchés financiers mettent à la disposition du capital et de l’État américains. La finance et l’industrie ne sont donc pas des adversaires. La véritable contradiction est plutôt que tous les secteurs du capital aimeraient que la finance soit moins volatile et plus ordonnée. Mais ils ne veulent pas qu’elle soit régulée au point où il perdrait les avantages qui leur confère la finance internationale.
Un troisième aspect de la crise est la tendance généralisée des États à devenir plus autoritaires. Cette tendance a pris une forme la plus dramatique en Europe où des institutions externes ont placé des « experts techniques » à la tête du gouvernement pour effectuer des « réformes ». Mais on l’a vu également au Québec lors de l’adoption de la loi visant à rendre illégale la contestation pendant la grève étudiante. Cela fait partie d’une tendance plus générale au renforcement de l’autonomie des États vis-à-vis de l’électorat pour qu’ils puissent entreprendre ce qui est nécessaire pour faciliter l’accumulation du capital. Et on le voit particulièrement quant au quatrième aspect de la crise – la réduction des services sociaux et l’attaque contre les syndicats du secteur public, qui sont en général le dernier bastion du syndicalisme et un irritant, sinon une barrière, aux projets de restructuration de l’État.
La défaite du mouvement ouvrier
De ce point de vue, l’histoire de la défaite du mouvement ouvrier remonte, non pas aux années 1970, mais à la fin de la Seconde guerre mondiale, lorsque la gauche au sein et à l’extérieur des syndicats a été marginalisée. Malgré cette défaite politique, les syndicats possédaient encore assez de force économique pour faire de véritables gains, du moins pendant un certain temps. Mais la défaite de la gauche a entraîné la perte de capacités critiques d’analyser, d’élaborer des stratégies, et de mobiliser dans les rangs. Et quand le capitalisme s’est transformé, identifiant les gains faits par le Travail à des barrières au progrès soutenu, la capacité du mouvement syndical à résister s’est en grande partie érodée. De cette manière, la seconde défaite du Travail, celle des années 1980 et 1990, a été celle, non plus de la gauche au sein du mouvement syndical, qui avait été relativement petite mais influente, mais celle du syndicalisme dans son ensemble, et d’abord celle du secteur privé. Aujourd’hui, les États sont en train de consolider et d’achever cette défaite en s’en prenant au secteur public afin de s’assurer que celui-ci ne donne pas d’exemples positifs aux salariéEs du secteur privé.
Une dimension centrale de cette longue offensive de trois décennies contre le mouvement ouvrier a été la diminution des attentes des travailleuses et des travailleurs. L’intensification de la concurrence en provenance des pays du Sud mondial semble avoir posé des limites aux revendications ouvrières, même si la plupart de notre commerce se fait encore avec les pays développés et même si la plupart des salariéEs travaillent maintenant dans le secteur des services, qui n’est pas directement contraint par le commerce international.
Cette progression de la mondialisation semble avoir mis des réponses gouvernementales hors de portée de la politique intérieure, même si ce sont les États qui ont eux-mêmes appuyé la mondialisation (et qui pourraient potentiellement la restreindre). Les défaites subies par le monde du travail ont frustré les salariéEs. Mais la conséquence générale a été de redéfinir et de limiter ce qui est considéré comme des « gains ». On regarde aujourd’hui avec nostalgie le monde que nous avons si fortement critiqué il n’y a pas si longtemps.
On se demande pourquoi des réponses ouvrières qui allaient de soi-même il y a 20 ans sont considérées dépassées aujourd’hui. Certains se sont demandés pourquoi il n’y a pas eu occupation de l’usine de Caterpillar en 2012, lorsque la compagnie a annoncé sa fermeture suite au refus du syndicat d’accepter des concessions majeures, tandis qu’il y a 20 ans ce même syndicat, avec beaucoup moins de provocation, n’avait pas hésité à occuper une autre usine de Caterpillar. Ce recul par rapport à ce qui paraît possible en tant que buts et tactiques reflète une transformation culturelle au sein du mouvement syndical. N’importe quelle travailleuse, quel travailleur vous dira que le capitalisme est en panne. Mais on ne croit pas qu’on puisse y faire quelque chose. La confiance dans la possibilité de résister, sans parler même de riposter, est à son plus bas. L’attitude dominante et la principale barrière à la riposte ouvrière est le fatalisme.
Pour certainEs la stagnation du mouvement syndical s’explique par la bureaucratisation et par la faible démocratie au sein des syndicats (même si les syndicats sont généralement plus démocratiques que bien d’autres institutions). Mais même si ces problèmes sont importants, ils ne vont pas au cœur du problème. Un mouvement très militant et démocratique peut exister tout en étant très corporatiste. Par exemple, des salariéEs peuvent exiger des actions militantes et en même temps insister pour que leur syndicat se limite à défendre celles et ceux qui le finance, ignorant les autres, comme les démunis ou les immigrantEs, ou même en participant à des attaques contre ces groupes. Ce genre d’attitude nous rappelle que même si les syndicats regroupent des membres de la classe ouvrière, ils ne sont pas des organisations de classe, au sens où ils ne représentent pas l’ensemble de la classe.
Cette défense des intérêts de groupe est directement liée à la question de la bureaucratisation et de la démocratie. Si les membres considèrent leur syndicat comme un agence d’assurance – comme une organisation de service, financée par leurs cotisations – elles et ils ne chercheront pas à y renforcer leur participation mais à obtenir des services pour les cotisations. Les dirigeantEs, de leur part, ne verront pas d’intérêt à développer et à mobiliser les capacités de leurs membres – sans parler de susciter de nouvelles attentes, puisque cela mettrait plus de pression sur ces dernièrEs. Ils, elles ne vont développer que le niveau de démocratie qui leur permette de conserver l’appui des membres et de faire de suffisamment de gains pour que leur poste ne soit pas remis en cause.
Dans le passé ce genre de solidarité étroite n’a pas trop limité les gains que les syndicats pouvaient faire. Et parfois d’autres salariéEs pouvaient également profiter de ces gains. Mais cette époque s’est révolue. L’idée selon laquelle les salariéEs peuvent survivre et défendre leurs acquis, sans même parler d’avancer, en ne s’occupant de leurs intérêts propres, sans comprendre que les attaques qui se mènent le sont contre toutEs les salariéEs - cette idée est démontrée fausse au quotiden. Sans une perspective de classe, les syndicats ne peuvent défendre leurs membres ni élaborer une stratégie pour le renouvellement de leur action.
Organiser dans une époque de crise
Commençons par l’organisation. Dans le climat d’hostilité actuel seule une orientation qui vise à bâtir la capacité de l’ensemble de la classe peut susciter les investissements de ressources et d’énergie nécessaires pour augmenter la syndicalisation. Qui plus est, des percées dans de nouveaux secteurs, majoritairement non syndiqués, n’est probablement possible qu’avec la coopération des plusieurs différent syndicats. La concurrence qui existe aujourd’hui pour accroître les cotisations syndicales empêche une telle coopération et finit pas miner chaque syndicat. Il est nécessaire de comprendre que l’enjeu n’est pas la croissance d’une organisation particulière, mais la construction de l’ensemble de la classe ouvrière comme force sociale. Ce n’est que lorsque nous abordons la question dans une telle perspective de classe que d’autres approches créatrices, telles l’ouverture à accueillir à la culture syndicale des travailleuses individuelles, travailleurs individuels non inséréEs dans une accréditation syndicale, peuvent avoir un espoir de réussir.
Une approche semblable est nécessaire dans les négociations. En 2012, à Toronto, des unités du SCFP ont négocié séparément avec la ville de Toronto. Il était évident que ces négociations avaient des ramifications pour tous les membres du SCFP et pour bien des autres salariéEs. Mais il n’y avait pas de reconnaissance du fait que ces unités ne pouvaient gagner individuellement contre l’État et que de la coordination à travers tout le SCFP – qui aurait elle-même constitué une étape vers une adhésion à la cause par d’autres salariéEs et par leurs communautés – était de première importance. Une stratégie coordonnée aurait pu, par exemple, s’amorcer par la négociation des salariéEs des bibliothèques, qui avaient le plus grand d’appui du public. Ensuite le syndicat aurait pu organiser des grèves sélectives, intensifiant les mobilisations de masse, impliquant éventuellement le reste du secteur public, tout en mobilisant la population à la défense des services publics.
Il n’est pas simplement question d’adopter des résolutions musclées et de payer des messages publicitaires sur les panneaux d’affichage. Le public est trop cynique pour être ému par ces seules relations publiques – et on peut le comprendre. Il faut plutôt repenser les priorités stratégiques des syndicats, repenser le rôle du personnel des syndicats et d’accroître leur formation. Il faut voir dans les membres des organisatrices et organisateurs capable d’influencer l’opinion publique. Il faut repenser la formation et la recherche pour faire avancer ce projet. Il ne suffit pas d’insister sur le caractère essentiel du secteur public. Il faut également être à l’avant-garde des critiques de la bureaucratisation des syndicats et dénoncer, s’il y a lieu, les malversations dans l’intérêt de tous. Cela signifie également inclure dans les négociations le niveau, la qualité et l’administration des services.
Finalement, cela signifie adopter une approche novatrice de la question de la grève dans le secteur public. C’est pourquoi il devient si important de gagner l’appui de la population. Par exemple, pendant la grève des cols bleus à Toronto, si on déversait les ordures non pas dans les parcs mais à Bay Strret (centre financier de Toronto) afin de montrer le lien entre les politiques d’austérité et la finance ; ou si on maintenait en services les autobus lors d’une grève, mais sans recueillir l’argent des passagers, ou, comme l’ont fait les postiers pendant les années 1990, en distribuant les chèques d’aide sociale et de vieillesse pendant la grève.
Une perspective de classe est également nécessaire pour une renaissance syndicale dans le secteur privé. Une des fonctions des syndicats est de négocier la vente de la force de travail. Mais la préoccupation première des salairéEs est l’existence même de l’emploi – chose sur laquelle le syndicat a peu ou pas d’influence. À moins que les syndicats ne puissent offrir des réponses à cette première préoccupation, il ne peut y avoir de renouveau syndical et même le pouvoir de négociation qui existe encore continuera à s’éroder. Car devant l’alternative entre faire des concessions ou être un chômeur de longue durée, l’individu vulnérable va choisir la première, dans le vain espoir de défendre son emploi.
Quelle réponse à la menace de perte d’emploi ?
En considérant sérieusement la question de l’emploi, il faut prendre en compte plusieurs choses. Le fait que le secteur privé ne réinvestit pas plus adéquatement ses profits dans la création d’emplois décents équivaut à un aveu de son incapacité à fournir des emplois décents pour tous. La création d’emploi doit donc nécessairement dépendre de l’expansion du secteur public, y compris dans des espaces considérés comme intrinsèquement privés. Cela veut dire qu’il ne s’agit pas seulement de garder les soins de la santé dans la sphère publique et de ne pas les sous-traiter, mais de réfléchir à des secteurs, comme celui de l’automobile dans une autre optique. Il devrait être évident que nous ne pourrons pas bâtir de nouvelles alliances si nous demandons des subventions pour General Motors et les autres composants du secteur de l’automobile, tandis que les gouvernements coupent dans les services publics et dans les programmes sociaux. Qui plus est, ces subventions, comme on a pu déjà le voir, ne créeront pas d’emplois parce que la productivité augmente sans cesse tandis que le marché de consommation est limité. En plus, du point de vue environnemental, demander « plus d’automobiles » est une stratégie non-viable.
Cependant il existe une énorme capacité productive et une main-d’œuvre qualifiée dans toutes ces usines, et elles peuvent produire une large gamme de produits utiles. Les syndicats doivent expliquer l’énorme gaspillage que représente la fermeture de ces usines qui auraient pu être reconverties pour produire des biens socialement utiles, en commençant par des biens qui répondent à la crise environnementale. Prendre cette crise au sérieux signifie la transformation de toute la base matérielle de la société : l’infrastructure de transport et de communication, les machines-outils de chaque usine, la construction de maisons, de bureaux, de machines.
Il faut donc parler de la préservation de notre potentiel productif, et non pas de GM et de Ford, de la planification au lieu de la compétition, de l’utilité sociale et non pas des profits. Nous ne pouvons évidemment pas gagner cette bataille maintenant, mais cela pose la question de comment nous organiser maintenant afin que cela devienne possible éventuellement. Cela peut sembler radical, mais n’oublions pas que pendant la Deuxième guerre mondiale, le Canada et les E-U ont fait preuve d’une capacité étonnante de convertir des installations industrielles dans un laps de temps remarquablement court, puis ils les ont reconverties de nouveau à la fin de la guerre.
Aussi fondamentaux que soient les changements nécessaires au sein des syndicats, ce n’est qu’un pas vers la transformation du contexte extérieur auxquelles font face les travailleurs et travailleuses. Nous ne pouvons simplement nous plaindre du pouvoir du secteur financier sur nos vies et lui faire de temps à autre des grimaces menaçantes. Nous devons nous demander pourquoi, dans une société qui se dit démocratique, ce secteur du capital jouit d’un statut si particulier – il fait d’énormes profits quand les temps sont bons ; il fait du chantage pour que nous le sauvions quand les temps sont durs, insistant toujours que ce qui est bon pour les banques devrait être à la base de la politique du gouvernement. Si les banques doivent être traités comme si elles étaient des services publics, il faut les socialiser pour qu’elles deviennent vraiment des services publics démocratiques.
Ce n’est pas qu’une question d’idéologie. C’est une question foncièrement pratique. Si nous voulons vraiment reconvertir les industries, si nous voulons défendre le secteur public, si nous voulons tracer démocratiquement le modèle de société que nous voulons, le contrôle de la finance est une prérequis incontournable. Sans cela, nous serons toujours forcés de la servir et de nous soumettre à sa discipline, dans la sphère du travail comme dans celle des politiques publiques. Encore une fois, nous ne pourrons pas dans un proche avenir faire cette bataille avec une partie aussi importante de l’establishment, mais si nous n’en discutons pas dès maintenant, si nous ne nous éduquons et nous mobilisons dès maintenant sur cet enjeu, il restera toujours hors de notre portée.
La crise de la gauche
En critiquant le mouvement ouvrier pour son incapacité à changer, il est important de comprendre que cet échec est également celui de la gauche. La crise du travail et la crise de la gauche vont de pair. Il y a de solides arguments indiquant qu’il n’y aura pas renouveau syndical sans un renouveau simultané de la gauche. Malgré certains pas encourageants, il semble évident que les directions syndicales n’ont ni la volonté ni la capacité de changer radicalement leurs organisations, tandis que la base est trop fragmentée et hors combat pour soutenir plus que des révoltes sporadiques et dispersées. Pour que la base fasse plus il faut qu’une gauche, qui se situe à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des syndicats, fournisse les ressources et l’appui qui permette de forger des liens entre les salariéEs de différentes entreprises, de clarifier les défis et d’expliquer pourquoi il faut y apporter une réponse de classe.
Qu’est-ce qu’on peut faire concrètement ? Une initiative qui a émergé de la crise a été la création de l’Assemblée ouvrière du Toronto métropolitain. Deux réalités l’ont inspirée. D’un côté, la formation d’un nouveau parti socialiste ne semblait pas réaliste sans la création d’abord d’une base ouvrière plus solide. D’un autre côté, on se souvenait la dernière grande crise, la Dépression des années 1930, lordsqu’une nouvelle forme d’organisation ouvrière était née. Le syndicalisme de métier qui avait jusqu’alors dominé le mouvement ouvrier s’est révélé inadéquat pour répondre au défi, et dans un acte de création ouvrière remarquable, le syndicalisme industriel a émergé comme alternative dynamique. Il nous faut aujourd’hui nous demander avec la même honnêteté si les syndicats dans leur forme actuelle sont à la hauteur du défi à relever et réfléchir de manière tout aussi créative à des alternatives.
Les syndicats ne vont pas disparaître. Ils vont sans doute perdurer et manifester de temps à autre du potentiel. Mais à eux seuls les syndicats ne suffisent pas pour faire face aux défis qui confrontent la classe ouvrière. L’Assemblée ouvrière de Toronto métropolitain s’est penchée sur des formes d’organisation ouvrière qui pourraient soutenir un renouveau syndical, tout en allant au-delà des syndicats. Elle ne se voit pas simplement comme une autre coalition, mais comme un rassemblement d’individus qui cherchent un nouvel ancrage dans la vie politique. Elle ne nie pas l’importance des luttes immédiates auxquelles les militantEs participent. Mais elle souligne la nécessité de quelque chose d’une plus grande envergure, qui va au-delà des syndicats et des enjeux particuliers. L’assemblée est socialiste (anti-capitaliste) et aspire à se créer une base de classe. Par « classe » nous ne visons pas que la minorité qui est syndiquée, mais également les travailleuses et les travailleurs à bas salaire et non syndiqués, les sans emploi, les démunis. Et on veut inclure également toutes les dimensions de la vie hors de l’emploi.
En ce qui concerne le but de ce renouveau syndical, un des buts importants de l’Assemblée - et qui est encore hors de sa portée – est la création de réseaux de militantes et de militants dans différents lieux de travail. Cela pourrait prendre la forme de comités de résistances dans les syndicats locaux qui se donneraient comme tâche la formation de leurs propres membres, l’établissement de liens avec la population, et la participation à des actions communes de solidarité. (Par exemple, un groupe de différents syndicats locaux de l’industrie de transport aérien collabore avec des syndicats locaux de d’autres secteurs pour s’appuyer mutuellement lors de conflits, faire de la formation ensemble et discuter de stratégies.) Le rôle de l’assemblée serait de faciliter la formation de tels comités, de contribuer à l’organisation de ces formations, d’organiser des rencontres pour le partage d’expériences et, plus généralement, d’encourager le développement de groupes de militantEs qui, entre autres, luttent pour donner une perspective de classe à l’action syndicale.
En terminant, trois observations. L’argument selon lequel il n’y a pas d’alternative est juste, si nous nous limitons à des alternatives modérées. Des réponses faibles ne peuvent réussir face aux défis que nous pose le capitalisme contemporain. Les options devant nous ont été polarisées, et il nous faut reconnaître et déclarer avec confiance que la réponse radicale est de plus en plus aujourd’hui la seule solution pratique. Deuxièmement, et en lien avec cela, il faut être ambitieux même pour remporter des victoires modestes. Une des leçons importantes du dernier quart de siècle est que, si nous abaissons nos attentes et baissons la tête, cela ne nous protège en rien. En fait, cela invite l’adversaire à devenir plus agressif. À moins de penser en termes plus ambitieux et plus radicaux, la situation empira encore.
Finalement, nous nous trouvons face à une barrière organisationnelle. Si nous comprenons la passivité des travailleurs et des travailleuses comme étant l’expression d’un fatalisme, du sentiment qu’il n’y a rien à faire, une réponse efficace est de démontrer concrètement le potentiel de l’action collective organisée. Les travailleuses et les travailleurs ne sont par nature ni radicaux, ni conservateur. Convaincus de l’existence d’organisations qui ont des chances de remporter des luttes, même si cela prendra du temps, les travailleuses et les travailleurs seront présents. En cela la gauche socialiste a échoué pendant le dernier quart de siècle, et c’est ce défi organisationnel qui est aujourd’hui le défi principal de la gauche.
Sam Gindin été jusqu’en 2000, pendant 16 ans assistant au Président des TCA. De 2000 à 2011 il était professeur d’université à Toronto.