Natalie Shure, The Intercept, 12 novembre 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Chaque défaite du Parti démocrate soulève des débats sur une des questions les plus entendues en ces temps de politiques électorale : Est-ce que Bernie (Sanders) aurait gagné ? Au point de départ, ce débat était clair. Immédiatement après l’échec d’Hilary Clinton en 2016 face à D.Trump, la gauche du Parti démocrate est montée au front pour dire que leur candidat favori aux primaires aurait gagné haut la main cette élection présidentielle ce que ne pouvait pas faire la candidate choisie.
L’argument allait comme suit : l’orientation de D. TRump, anti-establishment, anti-néolibéralisme et anti-statu-quo l’a facilement propulsé à la tête du Parti républicain et du votre populaire dans les États pivots qui déterminent la Présidence américaine. Même si sa position d’héro de la classe ouvrière est plus que douteuse, (rappelons-nous qu’il est un multimillionnaire, un seigneur de l’immobilier dont le penthouse est doté d’un ascenseur en or), Mme Clinton était l’avatar ambulante de l’exacte élite politique que D. Trump diabolisait.
Bernie Sanders de son côté, a passé sa carrière entière à argumenter contre la classe dirigeante que représente justement D. TRump. Là où il blâme les immigrants.es et demande leur expulsion parce qu’ils et elles feraient le malheur du pays, B. Sanders pourfend les riches et les puissants.es pour les mécontentements causés à la classe ouvrière et exige des politiques sociales comme réponses.
Les arguments de B. Sanders vont ainsi : « Oui le système est tout de travers, vous êtes pris à la gorge, alors attaquons-nous à ces gras-durs qui font cela et donnons à tous et toutes ce qu’ils et elles méritent », il y a là une réponse, une alternative positive à envoyer à D. Trump. Pour Mme Clinton, c’était plutôt : « Non le système n’est pas tout de travers, vous n’êtes pas pris à la gorge alors, maintenant, votez pour les gras-durs que favorisent vos politiciens.nes ».
Impossible de défaire le trumpisme sans une lutte de classe et la promesse d’un changement pour la classe ouvrière
Huit ans plus tard, la défaite de K. Harris face à D. Trump ressuscite un autre aller-retour entre les camps qui analyse le déclin du Parti démocrate quant aux enjeux de classe ou de culture : est-ce que se sont le racisme et le fanatisme qui ont permis la victoire triomphale de D. Trump ? Ou est-ce l’anxiété face à l’économie ? C’est passer à côté des problèmes les plus évidents en présumant qu’un seul de ces facteurs puisse être en jeu ou qu’ils sont absolument distincts les uns des autres. Ce genre de discussion fait l’impasse sur ce que veut vraiment dire : « Bernie aurait gagné ». Impossible de battre le trumpisme sans une lutte de classe et une promesse de changement pour la classe ouvrière. Pour y arriver, il faut la solidarité de la classe ouvrière multiraciale et un Parti que représente cette coalition d’intérêt. D’ici à ce que cela arrive, à la fois dans la politique électorale et en dehors d’elle, préparez-vous à vire avec Trump, après Trump et encore après Trump.
Commençons par là où les sceptiques en regard des politiques basées sur la classe, ont de correct : D. Trump et ses alliés.es dans la droite ont souvent appuyé sur le racisme, la misogynie, l’homophobie, et la xénophobie dans leurs stratégies politiques. Cela rejoint l’électorat à un point tel qu’on ne peut détourner le regard sous prétexte que c’est trop dur à voir et entendre. Dans l’écosystème des médias en ligne le discours est vite devenu horrible depuis 2016 et les plus fidèles partisans.es du territoire trumpien vont sûrement fièrement mettre de l’avant que « provoquer les libéraux.ales » est l’essence de leur politique. C’est le recul face aux mouvements comme Black Lives Matter, #MeToo ou face à la lutte pour les droits de reproduction ou ceux des personnes transgenres qui s’est fusionné autour de politiques qualifiées de nostalgiques qui ne conviennent qu’aux patriarches ultratraditionnels. Si l’administration Biden a produit quelques avantages pour la classe ouvrière, les Démocrates ont encore été incapables de répondre avec intelligence à la détresse des électeurs.trices quand l’inflation a effacé ces progrès fondamentaux.
Si on prend toutes ces forces démoralisantes en compte, il est impossible de suggérer que Mme Harris aurait pu obtenir 10 points de plus de la part des travailleurs.euses dans les comtés pivots les plus importants face à D. Trump, simplement en présentant quelques livres blancs ou crédits d’impôts et de taxes de plus. Comme le souligne Julia Claire de Crooked Media, sur la plateforme X : « Certains.es pensent que nous pourrions adopter le populisme économique à notre façon…mais ce n’est pas ce qu’ont fait les Républicains.es pour gagner. Nous devons faire face au moment réactionnaire culturel dans lequel nous nous retrouvons en commençant par interpeler les hommes ». La commentatrice Jill Filipovic fait le même constant : « Cette élection n’a pas été une mise en accusation de Mme Harris. Elle a été une mise en accusation des États-Unis ».
Même si vous acceptez cette prémisse qui est terriblement proche d’un argument à l’effet que les électeurs.trices de D. Trump ne seraient que des méchantes personnes, qu’elle théorie de changement peut-elle inspirer ? Dire des électeurs.trices de D.Trump que ce ne sont que des pitoyables n’a absolument rien donné en 2016 et c’est toujours le cas. Et s’il s’agit que récupérer les pitoyables un.e par un.e vous vous frappez au fait que l’électorat républicain et démocrate est de plus en plus divisé socialement. Notre univers social détermine nos croyances et nos comportements et nous passons considérablement plus de temps dans des univers différents. Pour le dire crûment, quelle position pourrais-je prendre pour réprimander, faire la leçon ou persuader des gens qui vivent dans les villes désindustrialisées de la Ceinture de la rouille ?
Le leader de la majorité démocrate au Sénat, C. Shumer (démocrate de New York), a avancé une réponse à ce dilemme de la fuite de la classe ouvrière du Parti démocrate : « pour chaque col bleu que nous perdons en Pennsylvanie de l’ouest nous gagnons deux républicains.es dans les banlieues de Philadelphie et nous pouvons faire la même chose en Ohio, en Illinois et au Wisconsin ». C’est ce calcul qui a particulièrement guidé K. Harris qui a fait une campagne importante pour s’attacher les modérés.es anti-Trump avec Liz Cheney à ses côtés. Mais de toute évidence ça a tourné court mathématiquement et politiquement. Il y a considérablement plus de cols bleus qu’il n’y a d’électeurs.trices cols blancs entichés.es de L. Cheney. Et plus la base du parti compte sur les derniers.ères moins il peut donner aux premiers.ères et plus sa survie dépends de la préservation du statut quo qui a indisposé tant de personne depuis le début. Mais, le plus important c’est que ça n’a pas marché : D. Trump est de retour à la Maison blanche.
Donc, la solution repose sur la création d’une coalition qui adopte un discours qui soit en compétition avec celui de D. Trump, qui forge de nouveaux liens sociaux et se prépare autour d’intérêts matériels communs. Ce discours doit être porté par une personne peut le rendre de telle façon à ce qu’il résonne ; c’est quelque chose qu’une figure à la B. Sanders pourrait faire alors que la plupart des Démocrates ne peuvent, considérant leur base de financement et leurs trajectoires politiques.
Avec toute sa monstruosité, D. Trump s’est servi des idées de désillusion envers le système et a réussi à convaincre certaines de ses plus importantes victimes qu’il était de leur côté. Bien sûr, qu’il ne l’est pas. Mais presque la moitié des plus pauvres du pays ont voté pour lui. Seul, B. Sanders a la crédibilité pour en demander autant de la part de la gauche élargie. Il a passé des décennies à se battre sans fléchir, toujours plus profondément, pour la classe ouvrière. Il espère que d’autres pourront se servir de son expérience et aller un peu plus rapidement.
Pour impossible et abstrait que ça puisse paraître que de vouloir réaligner la base démocrate sur des intérêts de classe partagés, c’est quand même plus concret que de vouloir « réduire le fanatisme envers les étrangers.ères ». Le mouvement ouvrier offre tous les plans et devis pour mettre un tel objectif en pratique.
Dans toute l’histoire américaine, partout dans le monde, l’organisation basée sur la classe qui unit les populations à travers les races, les ethnies et les barrières de langues a été le mécanisme le plus puissant pour construire des sociétés plus égalitaires et plus justes. Mais il faut obliger les riches et puissants.es à adhérer. Penser que le Parti républicain peut-être ce véhicule est risible. Nous devons avoir un Parti d’opposition qui peut se tenir debout et être aux côtés de sa propre base.
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