Édition du 23 avril 2024

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Mouvements sociaux

Mexique

Campagne nationale et internationale pour la restitution du salaire et de l’emploi

Au Mexique, une large coalition composée majoritairement d’organisations syndicales progressistes, mais aussi de l’Assemblée populaire des Peuples de Oaxaca (APPO) et d’autres organisations populaires et académiques, a lancé en décembre dernier un appel large à une mobilisation mexicaine et continentale autour des thèmes du droit à un salaire suffisant et décent, et à un travail digne et socialement utile. Nous avons traduit pour vous le texte de l’appel à la mobilisation qu’a lancé cette coalition au Mexique.

Traduction de Gabrielle Gérin

Au Mexique, la Constitution est notre pacte social le plus important. Et pourtant, durant trois décennies, un gouvernement fédéral après l’autre a violé de façon flagrante les termes de l’Article 123 de la Constitution : aucun n’a promu la création d’emploi, tous ont découragé et boycotté les efforts déployés par communautés et coopératives pour créer de l’emploi, tous ont toléré et même encouragé l’extension et l’intensification des journées de travail, de plus en plus exténuantes et inhumaines, ont ignoré l’utilisation du travail d’enfants, et par-dessus tout, ont oublié la définition générale, inscrite dans la Constitution, de ce que devrait être le salaire minimum : un salaire « suffisant pour satisfaire les besoins normaux d’un ou d’une responsable de famille ; sur tous ses aspects, matériels, sociaux et culturels ; et pour pourvoir à l’éducation obligatoire de ses enfants. »

Ainsi, en ayant systématiquement trahi leur promesse d’« obéir et de défendre la Constitution Mexicaine », ceux qui ont gouverné durant le cycle néolibéral ont condamné la majorité des travailleurs et travailleuses du pays à un choix difficile : la faim ou la surexploitation.

Aujourd’hui, afin de pouvoir se procurer le panier familial de base (canasta básica), tel qu’officiellement défini – composé de nourriture, de produits d’hygiène personnelle et domestique, de transport, d’électricité et de gaz domestique – un travailleur ou une travailleuse payé-e au salaire minimum devrait travailler 48 heures par jour ! Pour plusieurs, il faudrait même travailler bien plus, puisqu’il faut encore payer le loyer, l’éducation, les soins de santé, les vêtements, les activités récréatives et culturelles.

Plus de 10 millions de travailleurs et travailleuses au Mexique – 24% de la force de travail – reçoivent moins que le salaire minimum, ou encore aucun salaire (par exemple, quand les responsables de familles sont engagés-es de façon contractuelle pour accomplir une tâche spécifique, étant entendu de façon implicite que d’autres membres de la famille devront également mettre la main à la pâte, sans être rémunérés). Quelques-uns et quelques-unes réussissent à obtenir un revenu supérieur au salaire minimum en combinant 2 emplois ou plus. Des millions de ménages se sont trouvés obligés de faire travailler leur personnes âgées ou leurs enfants afin de faire monter le revenu familial au-dessus de l’absolu minimum nécessaire à leur survie.

Entre 1977 et 2006, le salaire minimum au Mexique a perdu 75% de son pouvoir d’achat, l’une des chutes les plus brutales du revenu moyen au monde.

Un tel phénomène n’est ni une coïncidence, ni un accident ; c’est plutôt le fruit d’un plan calculé et soutenu par les gouvernements fédéraux successifs, qu’ils ont justifié par divers prétexte : pour contrôler l’inflation, attirer l’investissement étranger, ou générer des emplois.

Mais toutes ces justifications se sont avérées non-fondées. L’inflation a bondi à plusieurs reprises : d’abord à cause de la spéculation sur les marchés financiers et sur la monnaie, comme en 1987, mais aussi suite à des erreurs gouvernementales catastrophiques, comme en 1994-95, ou encore en conséquence de l’implantation de politiques globales de libéralisation des prix.

Ces données démontrent bien que la seule marchandise dont le prix se voit sévèrement contrôlé est la force de travail, à travers un salaire minimum maintenant les travailleurs et travailleuses dans la pauvreté abjecte.

Les investissements étrangers ont stagné au Mexique au cours des six années du dernier mandat présidentiel, durant lequel le pays a aussi perdu 5% du nombre d’emplois formels enregistrés par l’Institut mexicain de sécurité sociale. Les motifs réels de ceux au pouvoir pour avoir pulvérisé ainsi le salaire minimum ne sont pas les prétextes mentionnés plus haut : c’est plutôt pour démanteler les organisations de travailleurs et travailleuses et éliminer leurs gains historiques, et créer des conditions qui favorisent l’augmentation des profits sur le capital national et étranger.

Les politiques déployées pour contenir le salaire minimum sont autant de stratégies délibérées pour aller puiser leur revenu dans la poche de millions de mexicains et mexicaines, au bénéfice d’une poignée de millionnaires. Elles représentent aussi l’offensive la plus brutale de la part du capital et de ses alliés de la sphère gouvernementale – le Président, les ministres des Finances, du Travail et Sécurité Sociale, de l’Économie, et même les pouvoirs législatif et judiciaire –, perpétrée par les occupants des postes les plus élevés dans la structure gouvernementale, afin de violer systématiquement, et de façon flagrante, la Constitution.

Évidemment, le fait de contenir les salaires à de bas niveaux ne s’est pas traduit par une baisse de l’inflation, ni par une réactivation économique ou par la création d’emplois. Au contraire, ses conséquences ont été une intensification alarmante et enrageante de la misère et de la pauvreté, la concentration accrue de la richesse entre quelques mains, l’affaiblissement du marché intérieur, et la croissance énorme de l’économie informelle.

Ces résultats économiques désastreux connaissent d’inquiétants parallèles sur le plan sociétal : l’approfondissement des inégalités, une chute abyssale du niveau de vie de la population générale, une détérioration prononcée au niveau de la santé, de l’éducation et du logement, une émigration massive, l’amincissement du tissu social, et la souffrance incalculable de la majorité de la population.

L’économie nationale en est à un point où le travail n’est plus un droit mais bien un privilège. Ainsi, si la majorité des privilégiés détenant un emploi formel sont forcés d’accepter des salaires de misère, les perspectives s’offrant aux sans-emplois sont bien pires.

Avec ou sans emploi, cinquante millions de Mexicains vivent sous le seuil de la pauvreté : 30 millions vivent avec 30 pesos par jours, c’est-à-dire deux tiers du salaire minimum courant ; 10 millions vivent avec 22 pesos par jour, et le même nombre survivent avec 12 pesos et 21 centavos par jour. Qu’ils et elles aient un emploi ou pas, ces millions de Mexicains et Mexicaines ne se voient offrir aucune perspective d’avenir autre que celles de devenir mendiants-es, criminels-les, ou de s’aventurer vers une frontière nord devenant toujours plus hostile et dangereuse.

Les implications de cette offensive contre les salaires au niveau des sphères politique, institutionnelle et légale n’ont pas été moins pernicieuses. Le pays est confronté à une autorité fédérale qui viole ouvertement les préceptes constitutionnels, un gouvernement qui a décidé d’ignorer ses obligations légales, une autorité politique qui encourage la dépossession de la majorité en faveur de l’enrichissement d’une élite, qui provoque la détérioration des institutions, promeut le discrédit des autorités publiques, et subvertit toute possibilité qui reste aux Mexicains et Mexicaines de vivre ensemble en paix et en harmonie.

Les politiques gouvernementales de dépréciation du salaire minimum et, en général, le manque d’observance par les gouvernements successifs de ce qui est stipulé dans l’article 123 de la Constitution, ne sont pas seulement des violations de la loi, mais ont aussi eu pour conséquence de rendre le pays moralement insoutenable, politiquement ingouvernable, socialement inhabitable et économiquement non-viable.

La société dans son ensemble, et en particulier les organisations de travailleurs et travailleuses, se trouvent confrontées à la tâche de sauver l’entente primordiale sur laquelle repose la possibilité de vivre ensemble en paix au Mexique, c’est-à-dire la Constitution. Il apparaît donc nécessaire d’appeler à une mobilisation nationale qui vise à défendre l’article 123, pour les buts suivants :

Demander l’observance et la réalisation matérielle de la définition constitutionnelle du salaire minimum, qui “doit être suffisant pour satisfaire les besoins normaux d’un ou d’une responsable de famille ; sur tous ses aspects, matériels, sociaux et culturels ; et pour pourvoir à l’éducation obligatoire de ses enfants.”
S’assurer que le droit à un travail digne et socialement utile soit respecté.

Cet appel vise à :
nous organiser, nationalement et internationalement, en vue de s’assurer que les mandats constitutionnels soient respectés ;
entreprendre des actions politiques et juridiques visant à restaurer l’esprit et la lettre de la Constitution ;
tenir des forums régionaux, nationaux et internationaux en vue de faire respecter l’Article 123 ;
tenir une “Marche pour des Salaires et du Travail”, le 7 décembre, à Mexico.

Pour ces raisons, nous appelons les travailleurs et travailleuses, les femmes, les paysans et paysannes, les syndicats nationaux et internationaux, les sans-emploi, les travailleurs et travailleuses du secteur informel, les organisations non-gouvernementales du Mexique et de l’étranger, les étudiants et étudiantes, les organisations pour la défense des droits humains, toutes les personnes exclues par le néolibéralisme et par ces autorités politiques ayant tourné le dos à la Constitution, à s’unir.

“Nous voulons un salaire minimum, du travail et des opportunités au sein de notre Mexique, tout de suite !”
Ville de Mexico, le 8 novembre 2006.

Campagne nationale et internationale pour la restitution du salaire et de l’emploi : Jornada nacional y internacional por la restitucion del Salario y empleo.

Frente Sindical Mexicano (FSM) Sindicato Mexicano de Electricistas (SME), Alianza de Tranviarios de México (ATM), Sindicato Nacional de Trabajadores Mineros, Metalúrgicos y Similares (SNTMM), Confederación de Trabajadores y Campesinos (CTC), Sindicato de Trabajadores de la UNAM (STUNAM), Frente Auténtico del Trabajo (FAT), Sindicato Independiente de Trabajadores de la UAM (SITUAM), Federación Nacional de Agrupaciones Sindicales (FNAS), Consejo Nacional de los Trabajadores (CNT), Coordinadora Nacional Politécnica (CNP-IPN), Centro de Investigación Laboral y Asesoría Sindical (CILAS), Cooperativa Pascual, Coalición Nacional de Trabajadores del INEGI, Sindicato Único de Trabajadores de la Industria Nuclear SUTIN, Sindicato de Trabajadores al Servicio de los Poderes del Estado (STSPE) Querétaro, Assemblea Popular de los Pueblos de Oaxaca (APPO), Coordinadora Nacional de Trabajadores de la Educación (CNTE ), Lic. Arturo Alcalde Justiniano, Diputado Federal Ramón Pacheco Llanes y Diputado Federal José Antonio Almazán González, Centro de Análisis Multidisciplinario de la Facultad de Economía (CAM-UNAM), Sindicato de Trabajadores de Transporte del D.F. (STTPDF), Frente Nacional de Resistencia contra la Privatización de la Industria Eléctrica (FNRCPIE), Asociación Nacional de Abogados Democráticos (ANAD).

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