Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Charte des valeurs québécoises

Charte péquiste et libération du discours populiste

La concentration des débats publics sur la Charte des valeurs a permis au Parti québécois de reconstruire sa base électorale. Le dernier sondage Léger Marketing semble confirmer cette affirmation. Avec 36 % des intentions de vote au PQ (43 % chez les francophones) contre 33 % pour le PLQ, 17 % pour la CAQ et 8 % pour Québec solidaire, le parti de Pauline Marois peut aspirer à former un gouvernement majoritaire. Le gouvernement a eu beau renoncer à ses promesses électorales, poursuivre une politique du déficit zéro et couper dans les dépenses d’éducation et de santé, imposer une hausse des tarifs d’électricité, instaurer l’indexation des frais de scolarité universitaires, faire preuve d’un suivisme exemplaire face aux projets pétroliers du gouvernement Harper, sa popularité n’a pas été entamée. Au contraire, elle a progressé, particulièrement chez les 44-64 ans. Le débat sur la Charte a réussi à masquer tous les autres enjeux sociaux. On ne peut exclure comme facteur expliquant cette remontée les difficultés de la direction Couillard du Parti libéral du Québec à faire preuve de cohérence sur cette question. Mais il faut tout de même expliquer pourquoi, la Charte et, particulièrement l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les employéEs de l’État qu’elle promeut, a pu permettre cette remontée.

Les dimensions de la rhétorique populiste du gouvernement péquiste

D’emblée le discours péquiste n’a pas hésité à souligner le caractère dangereux des minorités pour les valeurs « québécoises » et la défense des aspirations de la société québécoise. Le ministre Drainville a affirmé la nécessité pour le gouvernement de « mettre ses culottes », d’en finir avec notre caractère timoré de colonisé, de se tenir debout pour se faire respecter. Il a présenté sa proposition de Charte comme un véritable combat contre des minorités porteuses de dangereuses régressions pour la société québécoise. [1]

Le tour de force du gouvernement Marois est d’avoir réussi, grâce à un contrôle serré de son discours, à se présenter à la fois comme le défenseur d’une laïcité républicaine prétendant assurer la neutralité de l’État ouvrant sur une logique d’intégration citoyenne et, dans un même mouvement, comme le défenseur de la nation face aux dangers qui nous menacent, reprenant dans nombre de déclarations une logique populiste et nationaliste, s’appuyant davantage sur des peurs que sur des analyses concrètes de la situation concrète. Le PQ a su ainsi fédérer diverses sensibilités dans le soutien à sa charte en brouillant les divisions traditionnelles entre la gauche et la droite. C’est ainsi que l’on retrouve parmi les personnes soutenant le projet de loi 60, tant des dirigeantEs syndicaux, des féministes, des militantEs laïques que des hérauts de la droite populiste.

Une logique populiste qui favorise la division et libère la parole xénophobe

Mais le discours public qui a réussi à s’imposer s’inspire d’une logique populiste. Cette logique populiste nourrit la division entre un nous francophone dont les valeurs seraient menacées par des minorités (et particulièrement la minorité musulmane) définies à partir de leur religion, porteuses potentielles de régression sociale, de remises en questions des acquis sociaux, et constituant une menace pour l’égalité entre les hommes et les femmes que la société québécoise aurait réalisée. La division entre « nous » et « eux » se creuse de jour en jour et s’accompagne, particulièrement dans les médias sociaux, d’une dévalorisation des réalités culturelles de l’autre et d’une généralisation d’images négatives en ce qui concerne l’ensemble des groupes minoritaires.

Le camp progressiste soutenant le projet de Charte reste particulièrement silencieux sur cette réalité. Cela est d’autant plus surprenant que le projet de loi 60, si on l’examine un peu sérieusement, ne dépasse pas le cadre d’une catholaïcité. Rien n’est dit sur le financement des écoles privées catholiques alors que les effectifs de ces écoles progressent. Rien non plus n’est dit sur les exemptions fiscales des églises. Mais l’essentiel, c’est que ce projet de Charte ne favorisera pas un renforcement de la cohésion sociale, une ouverture à la diversité culturelle et une amélioration des rapports des diverses composantes de la société québécoise. Au contraire, les divisions s’approfondissent et la parole xénophobe trouve de plus en plus facilement à s’exprimer sur de très nombreuses tribunes.

Dans ce contexte de polarisation ethnique, les porteurs du discours sur le Québec pluraliste et sur les apports de la diversité culturelle sont, dans le discours populiste, stigmatisés comme des idiots utiles, incapables de voir les dangers qui menacent le « nous ». Ces idiots utiles sont dénoncés pour leur tolérance sans bornes qui les rend aveugles aux dangers de l’intégrisme. D’autant plus qu ’on les dit manipulés par les élites fédéralistes qui ouvrent grandes nos frontières aux membres de civilisations inassimilables à la société québécoise. Non contentes, de mettre la nation en danger, les élites fédéralistes dressent des obstacles à cette assimilation par leur politique multiculturaliste. Un nationalisme étroit et réactionnaire qui existait déjà trouve maintenant un large écho et le gouvernement péquiste n’hésite pas à l’utiliser dans son projet de renforcement de sa base électorale.

Pourquoi ce discours a-t-il un impact de masse ?

C’est en raison d’un malaise collectif ressenti particulièrement par la génération qui a accumulé les défaites référendaires, qui a vu son rêve souverainiste s’évanouir, qui a accueilli comme un baume, l’explication de l’incapacité d’une majorité « québécoise » de gagner par le refus des minorités ethniques à comprendre et à rallier les aspirations nationales à la souveraineté. On dénonce d’ailleurs ces minorités allophones qui se sont fait les alliés objectifs des autorités canadiennes.

La crise identitaire qui rend perméable au discours de la peur de l’autre est donc le résultat de blessures narcissiques subies par une partie significative de la population, mais qui ont été le plus durement vécues par la génération qui a porté le projet péquiste. Ce n’est pas pour rien que chez les personnes de cette génération le soutien à la charte prend une forme particulièrement véhémente. La crise identitaire, fruit de l’impuissance politique, nourrit moins la haine de l’oppresseur fédéral invincible jusqu’ici, et, par déplacement, la haine de l’étranger, particulièrement quand il n’est pas d’origine occidentale.

Le sentiment d’impuissance nationale trouve dans le caractère de plus en plus pluraliste du Québec une raison supplémentaire de se renforcer. L’avenir est souvent brossé à grands traits comme suit : si l’immigration continue à ce niveau, nous serons bientôt incapable de gagner un référendum, et c’est la possibilité de notre existence comme peuple francophone en Amérique qui sera non seulement fragilisée, mais définitivement perdue.

C’est ainsi que la laïcité péquiste entre en résonance avec l’insécurité provoquée par l’impasse stratégique du Parti québécois, que ce dernier, paradoxalement réussit à mobiliser pour maintenir sa main-mise sur le mouvement national.

Définir une laïcité pour nous aider à construire un Québec inclusif

Lorsque les vertus et la modernité sont placées d’un seul côté, lorsque la régression et l’obscurantisme sont attribués à des sous-secteurs entiers de la population, la majorité participe à la fermeture communautaire et à la dévalorisation vécue chez les minoritaires.

Si nous ne voulons pas favoriser le rehaussement des frontières ethniques au lieu de leur abaissement, il faut éviter les attitudes, les propos, les gestes qui stigmatisent des minorités, qui les jugent non sur leurs pratiques réelles, mais à partir de stéréotypes qui relèvent davantage de la caricature que de la compréhension de la diversité. Ces attitudes ne mettent pas de l’avant la reconnaissance de leurs apports à la société québécoise, reconnaissance essentielle à une unité véritable.

L’intégration dans la société passe d’abord par une intégration socio-économique sur une base égalitaire. Cela signifie une insertion non discriminatoire à l’emploi, le refus de la création de ghettos d’emplois surexploités où les emplois les plus pénibles, les moins rémunérés et les plus précaires sont souvent le lot de travailleuses ou de travailleurs immigrés. Cette intégration socio-économique passe également par le refus de la discrimination à l’embauche qui fait que le taux de chômage est souvent plus considérable chez certaines minorités visibles. L’exemple typique est bien celui des femmes noires qui ont le taux de chômage le plus élevé au Québec. Cette intégration passe également par des actes concrets sur les lieux de travail contre les discriminations, les vexations et les injustices qui touchent les plus précaires, qui sont souvent immigrées. Cela signifie également la reconnaissance des acquis et le refus de la déqualification systématique basés sur la non-reconnaissance des formations acquises dans les pays d’origine. Ce sont là des réponses essentielles aux inégalités multiples et croisées.

Quelle est donc la place de la laïcité dans cette problématique complexe ?

Pour limiter la fermeture communautaire et favoriser l’intégration, s’attaquer à quelques signes vestimentaires distinctifs chez tous les employéEs des services publics et parapublics, ne va que renforcer les divisions et favoriser l’exclusion dont les femmes musulmanes seront les principales victimes. Cela ne conduira pas à la pacification des relations entre les différentes composantes de la société québécoise. La neutralité de l’État n’a pas besoin de ces interdits pour se réaliser. Ces interdits brimeront la liberté de conscience. Si le combat laïque est une dimension du combat pour l’unité citoyenne, il doit à tout prix éviter de devenir l’instrument de démarcation identitaire et d’approfondissement des divisions.


[1Cet article s’appuie pour l’essentiel sur le livre de Raphaël Liogier, Le populisme qui vient, publié chez Textuel, 2013

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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