Édition du 26 mars 2024

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L’ingénieur de Cornell conteste l’affirmation de Coleman qui dit que la C.-B. n’a pas de fuites

Colombie-Britannique : Les commentaires du Ministre du Gaz sur les fuites sont ceux d'un ignorant, selon un scientifique

L’un des plus importants experts en Amérique du Nord sur l’intégrité des puits pétroliers et les mécaniques de la fracturation hydraulique dit que les récents commentaires fait par Rich Coleman, le ministre de la Colombie-Britannique en développement de gaz naturel, font non seulement preuve d’ignorance mais de déconnexion avec la réalité.

Traduction libre de Johanne Dion (Les AmiEs du Richelieu) d’un reportage d’Andrew Nikiforuk publié dans le quotidien indépendant The Tyee.

Au mois de mai, Coleman avait dit au Vancouver Sun que les puits pétroliers et gaziers en Colombie-Britannique n’avaient pas de fuites. Il a aussi laissé comprendre que les scientifiques qui affirmaient le contraire le faisaient pour recevoir plus de financement pour faire des études inutiles.

"En réalité, nous le faisons depuis plus de 50 ans, nous n’avons jamais eu de contamination à cause d’un forage, nous n’avons jamais eu un coffrage qui fuyait ou qui a fait défaut. Nous le faisons aussi bien ou mieux que n’importe qui d’autre au monde," s’objecte Coleman.

Le vice-Premier ministre a fait ce commentaire en réaction à un rapport scientifique qui fait la recommandation d’une approche précautionneuse quand il s’agit de fracturer des ressources non conventionnelles dans le schiste à cause d’importantes lacunes dans la science, les trous de puits qui fuient et une responsabilité croissante envers le climat.

"Les affirmations du ministre sont ignorantes," dit Anthony Ingraffea, un professeur ingénieur de l’université Cornell et l’auteur d’une nouvelle étude sur les puits pétroliers et gaziers qui fuient en Pennsylvanie.

"Le ministre ne comprend pas la vulnérabilité de la technologie, ni l’historique de l’industrie et ses tentatives vaillantes et persistantes de résoudre les problèmes d’intégrité des puits," ajoute Ingraffea.

"Des puits qui fuient sont partout. Peu importe si les puit se trouvent en C.-B. ou en Pennsylvanie."

Le processus de forer et cimenter un puit est essentiellement le même partout au monde, dit-il, et "c’est très difficile de sceller un puits avec un matériau comme du ciment."

Selon un rapport de 3 ingénieurs de l’université de Waterloo, plus de 10% des 20,000 puits qui existent en C.-B., en production et abandonnés, fuient actuellement. De plus, certains des puits de gaz de schiste de la province sont devenus des "super émetteurs" de méthane.

Une compagnie énergétique a dépensé dernièrement $8 millions dans la partie nord de la C.-B. pour réparer un puits de gaz de schiste qui fuyait beaucoup.

"Les fuites de trous de puits vont probablement empirer au fil du temps pendant que de nouveaux puits sont complétés et les vieux puits sont abandonnés," prévient le rapport de Waterloo.

Depuis les 2 dernières années, Karlis Muehlenbachs, un géo-chimiste de l’université de l’Alberta, a fait les empreintes de gaz de centaines de puits de gaz de schiste en C.-B. Il dit que plusieurs des gaz en déplacement, dont le méthane, l’éthane et le propane, des puits de Horn River, ne venaient pas nécessairement de la région en production.

L’expert en migration de gaz arrivait à la conclusion dans sa présentation de 2013 que "à l’avenir, les règlements et les sondages de niveau de référence devraient anticiper que des contaminants potentiels de l’eau souterraine à cause de la fracturation hydraulique ne viendraient pas nécessairement des schistes visés, mais plutôt de gisements moins profonds et intermédiaires."

Certaines régions sont plus portées à avoir des fuites, "mais aucune région n’en est immunisée," dit Muehlenbachs. "De bien meilleurs ciments et des techniques pour sceller devront être développés et utilisés."

"Chronique et omniprésent"

Des puits qui fuient sont "un problème chronique et omniprésent qui afflige l’industrie depuis 100 ans," dit Ingraffea pendant une entrevue avec le Tyee.

Les coffrages d’acier se corrodent et les joints de ciment qui sont conçus pour empêcher le méthane de remonter dans le puits pour se retrouver dans l’eau souterraine se dégradent au fil du temps.

Il en résulte que le gaz peut migrer des puits qui fuient en voyageant dans des fractures naturelles sur une longueur qui peut aller jusqu’à 14 kilomètres sous terre avant de faire surface dans des sous-sols, des puits d’eau potable, des mares, des rivières et dans l’eau souterraine.

L’étude la plus récente d’Ingraffea a trouvé d’importants problèmes de fuite dans 41,000 puits forés entre 2000 et 2013 en Pennsylvanie.

En faisant l’analyse de 70,000 rapports de conformité, Ingraffea a conclu que les puits de gaz de schiste non conventionnel fuient jusqu’à 6,2%. Dans certaines parties de l’état, les taux d’infractions (des cas de fuites visibles confirmées de gaz sur un site de puits) atteignaient 9,8%.

Les modèles de hazard suggèrent que le taux actuel de défaillance pourrait atteindre 12% des 6,000 puits de gaz de schiste horizontaux à plusieurs étapes dans l’état.

Les puits verticaux conventionnels ne fuyaient pas autant mais n’étaient pas inspectés aussi souvent. Dans certains cas, il n’y a pas eu de registres d’inspection du tout pour 8,000 puits conventionnels, dit Ingraffea.

L’étude a aussi découvert un taux de défaillance plus élevé pour les puits forés après 2009, peut-être à cause des programmes de forages accélérés.

Des opérations pétrolières et gazières ont pollué ou réduit l’écoulement de l’eau souterraine 209 fois dans 77 communautés en Pennsylvanie depuis la fin de 2007.

La semaine dernière, le vérificateur général de l’état avait rapporté que le DEP avait manqué à son devoir de règlementer adéquatement l’industrie et défendre l’intérêt public.

Plus de puits = plus de fuites de méthane

La fracturation hydraulique, une technologie qui injecte des fluides, de l’eau et des produits chimiques dans des formations géologiques de roc dense (tight rock) afin de relâcher de petites quantités de pétrole et de gaz dans de vastes régions, aggrave le problème de fuites, dit Ingraffea.

Seulement 6,000 puits horizontaux ont été forés en Pennsylvanie jusqu’à date, mais l’industrie planifie le forage de 90,000 puits additionnels durant les prochaines années. Vu que l’immense formation de schiste du Marcellus se trouve sous plusieurs autres états du nord-est, jusqu’à 500,000 puits horizontaux pourraient être forés dans le futur.

Des quantités semblables ont été mentionnées pour la formation Montney au Canada, en Alberta et en C.-B., où l’industrie pourrait forer encore 400,000 puits.

La densité de puits nécessaire pour fracturer, qui réussit à extraire qu’entre 5% et 10% de la ressource présente, ajoutera au problème déjà important des fuites de méthane de l’industrie, selon Ingraffea.

L’ingénieur de Cornell University, qui faisait de la recherche subventionnée et était consultant pour Schlumberger, Exxon, BP et d’autres compagnies, préfère de la règlementation rigoureuse de l’industrie du fracking là où les puits pétroliers et gaziers existent déjà.

L’augmentation de la densité des puits ne veut pas seulement dire davantage de fuites mais aussi plus d’accidents industriels durant lesquels les compagnies fracturent dans des puits avoisinants opérés par d’autres compagnies. Plus de 20 soi-disant "évènements de communication entre puits" se sont produits en C.-B., mais la plupart ne sont pas rapportés au régulateur.

Vu l’abondante littérature sur les fuites de puits, Ingraffea ne comprends pas pourquoi les politiciens comme Coleman nie une telle responsabilité si bien documentée.

"Ce qui me surprend c’est qu’un politicien tente de convaincre le public du contraire."

Andrew Nikiforuk

Journaliste au journal indépendant The Tyee, Canada.

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