Édition du 16 avril 2024

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Syndicalisme

Congrès de la CSN : question de rapport de force

Extraits du document de propositions

Le rapport de force se définit par la capacité d’exercer un pouvoir afin de faire fléchir une autre partie. Il peut s’exercer en milieu de travail ou au sein de la société dans son ensemble. Si, à la CSN, la mobilisation collective et la solidarité sont des ingrédients incontournables de l’exercice du rapport de force, il ne faut pas oublier que des facteurs qui sont hors de notre contrôle exercent aussi une influence, positive ou négative, sur le rapport de force (situation particulière d’une entreprise, contexte économique, contexte politique ou juridique, etc.).

À l’heure où le 1 % des plus riches possèdent deux fois plus de richesse que le reste de
l’ensemble de l’humanité, le mouvement syndical n’a très certainement pas à se gêner pour forcer le retour du balancier vers les travailleuses et les travailleurs.

En matière de négociation, le rapport de force syndical est un élément essentiel à l’amélioration des conditions de travail des membres. Son analyse est fondamentale et
souvent plus complexe qu’on peut le croire de prime abord. Il ne s’agit pas uniquement de faire un constat de la mobilisation des membres, mais aussi de comprendre comment
l’entreprise fonctionne afin de trouver le meilleur moment pour obtenir LE règlement. Nous devrons également mettre de l’avant le caractère démocratique du processus de négociation et de la vie syndicale à la manière CSN. Entre autres, tant la constitution d’un cahier de demandes que la ratification de la convention collective sont soumises aux membres des syndicats pour décision. Cet exercice favorise la cohésion et le ralliement des membres.

Il semble que, de leur côté, les employeurs sont de plus en plus prêts à faire face à un conflit. Ils n’hésitent pas à se prémunir de stratégies de mieux en mieux préparées pour contrer les effets d’un conflit de travail.

La situation économique caractérisée par une rareté et par des pénuries de main-d’œuvre
importantes peut sans aucun doute contribuer au développement de notre rapport de force, malgré les effets néfastes en milieu de travail associés au manque de main-d’œuvre et au roulement de personnel. Le comité exécutif souhaite interpeller les syndicats sur ces enjeux. C’est pourquoi le XVe Colloque Gérard-Picard, prévu en novembre 2023 à l’intention des syndicats CSN du secteur privé, aura pour thème Que le rapport de force soit avec nous.

Du côté de la négociation dans le secteur public et parapublic, le gouvernement populiste de la CAQ semble résolu à présenter les organisations syndicales comme responsables de tous les maux vécus dans le secteur public. Il fait fi des propositions étoffées et légitimes mises de l’avant par les organisations syndicales : propositions qui sont au bénéfice tant des travailleuses et des travailleurs que de toute la population. Cela a un impact sur le rapport de force, d’autant qu’il s’exercera pour tenter de convaincre l’opinion publique. Plus que jamais, les organisations syndicales devront être présentes, bruyantes et parler d’une seule voix afin que les véritables enjeux et propositions soient connus de la population.

Par ailleurs, nos milieux de travail se sont fortement diversifiés. L’enjeu démographique de la société québécoise milite en faveur de l’apport de l’immigration pour maintenir notre développement. Le portrait de la population a donc évolué ces dernières années en passant de 15,8 % d’immigrantes et d’immigrants reçus (1) parmi la population active en 2017, à près de 20 % l’an dernier. Ces données ne tiennent pas compte de la hausse fulgurante des travailleuses et des travailleurs étrangers temporaires dont le nombre a presque triplé au cours des cinq dernières années. Dans un tel contexte, il était sage que le précédent congrès adopte une proposition traitant notamment de l’inclusion dans les structures syndicales. D’autant plus que l’intersectionnalité nous enseigne qu’il faut tenir compte de l’adéquation des différents axes de discrimination comme les caractéristiques raciales et culturelles et celles qui sont liées à un handicap. Le rapport de force ne peut pas être optimal sans l’inclusion de tous les membres. Cette préoccupation est un élément quotidien de la vie syndicale et le demeurera tout au cours du prochain mandat. Les syndicats doivent être en mesure de mener leurs actions dans un modèle plus inclusif.

La CSN possède un levier essentiel qui lui permet de se déployer dans ses syndicats et de
tenir la minute de plus, le per capita. Ce dernier, fixé à 0,72 %, finance notamment le Fonds de défense professionnelle de façon viable. Il permet également à la CSN de fournir l’appui à ses syndicats et de fournir de manière efficace l’éventail de ses services. Encore plus qu’un outil, la CSN est la voix des travailleuses et des travailleurs. La manière CSN d’exercer notre rapport de force doit être réaffirmée, car elle porte ses fruits. L’exemple de la lutte des syndicats des centres de la petite enfance démontre qu’à la CSN, lorsqu’on exerce notre rapport de force, nous l’exerçons jusqu’au bout et pour tous les membres. Les actes vont au-delà des paroles.

En matière de politique, l’exercice du rapport de force s’est également complexifié avec le virage à droite des élites politiques et le rétrécissement des espaces de consultation démocratiques et de dialogue social. Pour demeurer pertinente dans son action, la CSN doit prendre acte de la diversification des causes sociales et des acteurs sociaux qui interviennent dans la sphère publique.

Nous devons le réaffirmer : l’amélioration de la condition des travailleuses et des travailleurs passe par des actions qui ont une portée au-delà de notre milieu de travail. Nous aspirons à une transformation sociale, pour un monde plus juste, plus libre, plus démocratique et plus écologique. C’est que nous appelons à la CSN, le « deuxième front ».

À l’heure où les impacts de la désinformation se font sentir, le rôle social de la CSN doit passer par une intensification de ses actions politiques afin de dénoncer et d’exposer les injustices quotidiennes que les travailleuses et les travailleurs subissent. Nous sommes un acteur progressiste crédible qui a une capacité d’influencer le cours des décisions. Sans être parfaite, cette capacité a tout de même permis de freiner, notamment, une partie des reculs prévus dans la cadre de la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail, d’amener le gouvernement fédéral à entreprendre les travaux nécessaires pour interdire les travailleuses et les travailleurs de remplacement, et plus récemment, de contribuer à empêcher le rehaussement de l’âge minimal de la retraite prévu au Régime des rentes du Québec.

Le type de syndicalisme que nous menons est toujours porteur. Un syndicalisme diversifié
qui compte des membres dans tous les secteurs d’emploi renforce notre vision et notre
représentation. En action et près des gens, nous sommes à l’écoute des besoins et des réalités du terrain. Pour y parvenir, la CSN mise sur son autonomie et sur celle de ses organisations affiliées. Les syndicats, les fédérations et les conseils centraux affiliés sont des organisations autonomes. Cette autonomie préserve leur capacité de se déterminer, de mener leurs luttes et de prendre, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, les décisions qu’ils estiment nécessaires, le tout en préservant la cohésion de notre mouvement. C’est une garantie que le pouvoir de décision sera toujours près du lieu où ces décisions seront appliquées.

Cette autonomie s’enrichit d’un souci permanent d’organiser la solidarité avec les autres
composantes du mouvement. Des syndicats libres, mais responsables de leurs décisions et de leurs actions, constituent la base du fonctionnement démocratique et solidaire de ce mouvement. Cela assure le maintien autant que la construction de la solidarité entre les organisations. Cela non seulement renforce aussi l’adhésion au mouvement, mais permet à la CSN d’être plus écoutée, plus pertinente et d’être considérée comme un acteur majeur et incontournable dans tous les débats sociaux à mener. Le maintien de cette cohésion entre les organisations affiliées et la CSN est un atout que nous devons cultiver, puisqu’il accroît notre force.

La solidarité est la marque du mouvement syndical. Nous gagnons à développer nos liens de façon plus large. Régulièrement, nous nous associons à divers groupes progressistes. Le syndicalisme de centrale que nous pratiquons mérite d’être véritablement reconnu pour ce qu’il est. La CSN représente des travailleuses et des travailleurs dans tous les secteurs
d’activité économique et professionnelle du monde du travail. Nous pouvons assurément
exercer un contrepouvoir et jouer ainsi un rôle essentiel dans une société libre et
démocratique. Nos intérêts dépassent ceux du milieu de travail. Nous revendiquons aussi l’amélioration des conditions de vie. Nous sommes partie prenante des luttes qui visent nos membres, mais aussi les non-syndiqué-es ou la société, comme dans la campagne Minimum 18 $. On développe également des plateformes qui touchent les enjeux sociétaux, comme la campagne Vraiment public (déprivatisation, démocratisation, décentralisation du réseau de la santé et des services sociaux). Développer des alliances avec les centrales est donc un message fort dans la volonté de représenter le bien commun et de garder le rang serré contre les idéologies régressives. Nous devons être fiers que ces alliances dépassent nos frontières. Pensons au pouvoir d’influence que nous possédons avec notre double affiliation internationale à la Confédération syndicale internationale (CSI) et à la Confédération syndicale des travailleurs et travailleuses des Amériques (CSA). Le rôle que jouent de grandes organisations comme la nôtre sur le plan international a certainement eu un impact positif sur la ratification du Traité mondial sur l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail par le Canada, le 30 janvier dernier.

Dans ce contexte, l’actualisation de notre proposition concernant la tenue d’états généraux sur le syndicalisme s’avère plus que pertinente. L’objectif est de développer le rapport de force de façon plus large avec les acteurs syndicaux qui partagent nos valeurs d’adhésion.

Il est proposé :

 Que la CSN réaffirme l’importance primordiale du rapport de force dans toutes ses actions et celles des syndicats, et que la CSN, les fédérations, les conseils centraux et les syndicats visent la cohésion du mouvement dans leurs orientations respectives ;

 Que la CSN, appuyée par les fédérations et les conseils centraux, soutienne les syndicats dans l’analyse, le développement et l’exercice du rapport de force dans tous les moments de la vie syndicale ;

 Que la CSN, les fédérations, les conseils centraux et les syndicats intensifient leurs actions politiques pour dénoncer et exposer les injustices quotidiennes que les travailleuses et les travailleurs subissent ;

 Que la CSN s’assure de réunir les conditions favorables à la tenue d’états généraux sur le syndicalisme avec les autres organisations syndicales. Que cette activité soit l’occasion de mettre en valeur notre capacité à mener des luttes syndicales et sociales ;

 Que la CSN tienne compte de la nouvelle réalité dans les milieux de travail pour la production de ses outils à l’attention des syndicats, afin d’intégrer un modèle inclusif et intersectionnel.

Notes

1- Désigne les personnes qui sont immigrantes reçues au Canada ou qui l’ont été il y a cinq ans et moins. Une immigrante ou un immigrant reçu est une personne à qui les autorités de l’immigration ont accordé le droit de résider au Canada en permanence. Les citoyennes et les citoyens canadiens de naissance et les résidentes et résidents non permanents (étrangers vivant au Canada avec un permis de travail ou d’études, ou qui réclament le statut de réfugié, ainsi que les membres de leur famille vivant avec eux) ne sont pas considérés comme des immigrants reçus.

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