Le 25 juin dernier, la Cour suprême enterrait les articles 4 et 5 du Voting Rights Act, voté une première fois sous Lyndon Johnson en 1965, qui interdisait aux Etats du Sud de changer leur code électoral sans l’assentiment de Washington, tout le monde sachant que ce code visait essentiellement à rendre l’accès au vote quasiment impossible pour les minorités et, en premier lieu, les Noirs.
Par quatre voix contre cinq, les juges de la Cour suprême ont donc accédé à la demande d’un sombre comité du Sud – sudiste – arguant du droit des Etats mais aussi et surtout de l’anachronie d’une loi dans un pays où la ségrégation raciale appartient bel et bien au passé. Alors, même si la Cour suprême le dit…
Bon, évidemment, tout ça, c’est de la politique. Obama n’a quasiment jamais parlé du racisme une fois à la Maison Blanche, parce que c’est le piège dans lequel les républicains espéraient qu’il tombe. Qu’il apparaisse comme un défenseur des Noirs, un « raciste à l’envers », selon l’expression de Glenn Beck, la star de Fox News, et il était cuit.
« Bush ne se préoccupe pas des Noirs »
La question raciale reste en réalité au cœur des problématiques américaines. Retour à la Nouvelle-Orléans en 2005. L’ouragan Katrina ravage tout sur son passage. Avant un concert de soutien aux victimes diffusé sur NBC le 2 septembre 2005, le rappeur Kanye West, venu appeler aux dons, décide de ne plus lire le prompteur et lance avec une émotion évidente :
« George Bush ne se préoccupe pas des Noirs. »
Le flottement qui suit cette saillie dit beaucoup sur la violence des propos du rappeur. En disant tout haut ce que beaucoup (de Noirs) pensaient tout bas, Kanye West a ouvert une brèche, un débat qui ne s’est, depuis, jamais vraiment refermé.
Le 13 décembre 2005, plus de quatre mois après, le journaliste Brian Williams revient avec George Bush sur les propos du rappeur. Le Président se défend d’être un raciste et rappelle que des zones peuplées majoritairement par des Blancs avaient également été touchées. Une réponse qui ne satisfait pas le journaliste, pour qui la Maison Blanche n’a pas pris la mesure de l’ampleur du drame et de sa dimension raciale.
Une grande enquête menée juste après Katrina par Michael Dawson, Melissa Harris-Lacewell et Cathy Cohen (« 2005 : Racial Attitudes and the Katrina Disaster Study », University of Chicago Center for the Study of Race Politics and Culture, janvier 2006) nuance quelque peu cette vision apparemment unanime d’une lecture raciale de l’attitude de Bush.
La différence de perception entre Blancs et Noirs est très importante : 9% des Noirs considèrent les propos de Kanye West injustifiés alors que c’est le cas de 56% des Blancs ! 84% des Noirs pensent que le gouvernement fédéral aurait agi plus vite si les victimes avaient été blanches, sentiment partagé par seulement 20% des Blancs.
Juste avant le premier débat télévisé entre Mitt Romney et Barack Obama en octobre dernier, le site conservateur Daily News exhumait une vidéo du président américain datant de 2007 (il n’est alors que sénateur) dans laquelle il évoque précisément le retard de réaction de l’administration Bush en raison de la « race » des victimes.
Trayvon Martin, nouveau clivage racial
C’est dans ce contexte que survient l’affaire Trayvon Martin. Inutile ici d’en rappeler les détails.
Un sondage vient d’être réalisé par le Washington Post en association avec ABC News. Il montre à quel point le clivage racial observé en 2005 au moment de Katrina demeure aux Etats-Unis. 51% des Blancs approuvent l’acquittement de George Zimmerman contre seulement 9% des Noirs. Plus éclairant encore, deux-tiers des Blancs interrogés considèrent que les coups de feu de Zimmerman sont légitimes, contre seulement 13% des Noirs.
Pour aller très (trop ?) vite, pour une bonne partie de la communauté africaine-américaine, deux Blancs sur trois considèrent qu’un jeune Noir encapuché constitue une menace suffisamment forte pour justifier l’usage d’une arme à feu. Terrifiant. Enfin, 78% des Noirs interrogés pensent que ce procès met en lumière les problèmes raciaux dans le pays, contre seulement 28% des Blancs.
Obama n’a pris la parole que six jours après le verdict innocentant George Zimmerman. Sans critiquer la justice, il a (enfin) évoqué le racisme dans la société américaine.
Si rien ne dit que le jugement est à proprement parler raciste, les réactions des Blancs et des Noirs témoignent de la prégnance des questions raciales au sein de la société américaine.