Édition du 10 décembre 2024

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États-Unis

Etats-Unis. Réflexion sur les élections de mi-mandat

En observant les élections aux Etats-Unis, il est difficile de discerner des tendances plus profondes au sein de la population, étant donné qu’il n’est possible de choisir qu’entre deux partis capitalistes, tous les deux étant des défenseurs acharnés du pouvoir capitaliste et de l’impérialisme états-unien.

Tiré de À l’encontre.

Aux Etats-Unis il n’existe pas de partis ouvriers de masse de quelque tendance que ce soit. S’il y en avait, nous serions en meilleure position pour comprendre le rapport de forces actuel entre les classes sociales.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de différences entre les deux partis ; il y en a. A l’heure actuelle, Trump a l’appui des politiciens républicains, à quelques exceptions près. Les politiciens démocrates s’opposent généralement à la poussée autoritaire de Trump, même si c’est de manière inefficace.

La situation est encore compliquée par le fait qu’il existe des factions concurrentes au sein des deux partis. Ces factions se manifestent plus ouvertement au sein des Démocrates, alors que chez les Républicains elles sont étouffées par le fait qu’ils sont obligés d’accepter l’importante base de Trump s’ils ne veulent pas assister à l’effondrement de leur parti.

Suite aux récentes élections, qualifiées de « mi-mandat », c’est-à-dire celles qui ont lieu au milieu du mandat de Trump, la majorité républicaine a été remplacée par une majorité démocrate au sein de la Chambre des représentants. Trump a déclaré que si les Républicains avaient perdu c’est parce qu’ils ne le soutenaient pas suffisamment.

Pa contre, les Républicains ont maintenu leur contrôle du Sénat. Cette situation signifie que les deux partis sont à même de contrecarrer toute mesure législative adoptée par l’autre parti, puisque l’accord des deux Chambres est indispensable pour l’adoption de ces mesures.

Aucun des deux partis ne peut, à lui seul, renverser un veto présidentiel à une loi adoptée par les deux Chambres.

Au cours des deux premières années de la présidence de Trump, la seule loi importante adoptée par les Républicains – qui contrôlaient les deux Chambres – a été la gigantesque réduction d’impôt pour les sociétés et les riches. Une autre décision importante a été celle d’augmenter les dépenses destinées aux forces armées et aux institutions connexes à hauteur de près de 1000 milliards de dollars – cette mesure ayant été adoptée avec enthousiasme par les deux partis.

En ce qui concerne la législation, la situation au sein du nouveau Congrès restera donc essentiellement la même que celle des deux dernières années. La tentative des Républicains d’abroger et de remplacer la loi Affordable Care Act [connue sous le nom de Obamacare, soit un système d’assurance maladie qui élargit le nombre de personnes disposant d’une assurance ; voir l’analyse de cette loi datant de 2010 sur le site de À l’encontre] a échoué en raison de leurs propres divergences internes. Ils n’ont pas réussi à trouver une solution de remplacement. On peut s’attendre à d’autres situations bloquées de ce genre au cours des deux prochaines années, sauf lorsque les deux partis s’entendent, comme par exemple sur les dépenses militaires.

Les Républicains et le contrôle du Sénat

Il existe une autre raison pour laquelle il est très important pour les Républicains de conserver le contrôle du Sénat. C’est en effet le Sénat qui doit ratifier les nominations par le président, et ce non seulement à la Cour suprême, comme nous l’avons vu dans la lutte pour la nomination de Kavanaugh, mais aussi celles de tous les juges fédéraux. Cela permet aux Républicains de poursuivre leur campagne pour que les tribunaux fédéraux soient composés de candidats de droite. Là non plus il n’y aura pas de changement significatif.

C’est également le Sénat qui doit approuver quelque 1200 à 1400 postes fédéraux proposés par le président. Celacomprend les nominations au conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale (Fed, banque centrale).

Il faut également noter que lors des élections au Sénat, les Démocrates ont recueilli des millions de votes de plus que les Républicains, mais ce sont quand même les Républicains qui ont gagné. Cela s’explique par le fait que chaque Etat a le droit à deux sénateurs, ce qui met les Etats à faible densité de population sur un pied d’égalité avec des Etats à forte densité de population comme la Californie, qui a voté massivement pour les Démocrates.

Un autre facteur dont il faut tenir compte est qu’une majorité d’Afro-Américains, de Latinos, de femmes et de jeunes gens qui méprisent Trump et tout ce qu’il défend, a indiqué son opposition en votant contre lui, mais elle n’a pu le faire que dans la mesure où le duopole bipartite qui contrôle la politique aux États-Unis le permet. En effet, malheureusement, la seule manière de voter contre Trump était de voter pour les Démocrates, alors que ces derniers ne défendent ni leurs intérêts ni ceux des travailleurs et travailleuses.

En conséquence, le nombre de femmes élues au Congrès a augmenté. Pour la première fois, deux musulmanes ont été élues à la Chambre des représentants, ainsi que deux Amérindiennes. Sur une note positive, cela démontre, dans le miroir déformé des élections états-uniennes, que beaucoup plus de choses se sont passées aux États-Unis au-delà de la seule montée de Donald Trump.

DSA à un carrefour

L’un des musulmanes élues est une femme noire, Ilhan Omar. Elle a immédiatement été dénigrée par certains chroniqueurs comme étant antisémite, et la Ligue contre la diffamation (Anti-Defamation League), qui soutient toutes les positions et actions d’Israël, a exprimé son « inquiétude » à propos de son élection. Pourquoi cette inquiétude ? Simplement parce qu’elle soutient le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre l’oppression des Palestiniens par Israël.

L’autre musulmane élue est Rashida Tlaib, fille d’immigrants palestiniens, membre des Democratic Socialists of America (DSA) et partisane d’un Etat démocratique et laïque unique dans la Palestine historique qui accorderait des droits et un statut égaux aux Juifs et aux Palestiniens qui y vivent.

Elle était l’une des deux membres des DSA à être élues. L’autre est Alexandria Ocasio-Cortez, qui est devenue la plus célèbre dirigeante des DSA dans le pays après avoir battu un pilier de longue date du Parti démocrate lors des primaires au sein du Parti démocrate, ce qui a ouvert la voie à son élection au Congrès aux élections de mi-mandat.

Toutes deux ont été élues en tant que Démocrates et feront partie du caucus [fraction parlementaire] démocrate à la Chambre. Ocasio-Cortez a exhorté les gens à voter pour les Démocrates à tous les niveaux lors des élections de mi-mandat. Cela reflète la position à long terme du courant DSA, qui cherche à réformer le Parti démocrate.

Ce courant s’est considérablement développé après les élections de 2016, principalement en recrutant des jeunes qui avaient soutenu Bernie Sanders en 2016. Sanders s’est identifié comme étant un socialiste démocratique. Il y a une minorité dans le courant DSA renouvelé qui est favorable à une rupture par rapport à sa position historique à l’égard des Démocrates. Toutefois, lors des élections de mi-mandat, DSA a surtout soutenu les candidats démocrates ou, dans certains cas, n’a soutenu personne.

La politique des socialistes qui abandonnent leur statut indépendant pour soutenir les Démocrates remonte au milieu des années 1930, lorsque Staline imposa aux partis communistes du monde la politique de collaboration de classe consistant à chercher des alliances avec les forces bourgeoises progressistes. Aux Etats-Unis, cela s’est traduit par un soutien aux Démocrates. Le Parti socialiste a fait de même, tout comme la bureaucratie du mouvement ouvrier. Une minorité de socialistes, principalement issue du courant trotskyste, a rejeté cette option.

Au cours des huit décennies suivantes, cette politique de soutien aux Démocrates dans l’espoir de réformer le parti a échoué et échoué lamentablement. La classe capitaliste au pouvoir maintient une ferme emprise aussi bien sur les Démocrates que sur les Républicains [particulièrement sur leur appareil décisif au plan électoral et politique].

DSA est confronté à un choix. Soit il rejette le piège que représente le soutien au Parti démocrate, soit il s’en détache pour suivre une voie indépendante, ce qui serait un grand pas en avant pour le socialisme en général aux Etats-Unis.

Il y a eu de nombreux signes indiquant que des forces plus larges accueilleraient favorablement une telle politique, entre autres des forces telles que celles de Black Lives Matter, des grandes marches des femmes et du mouvement #MeToo, des activistes en faveur d’une politique et de mesures aptes à faire face à la crise climatique, et tous ceux et celles qui luttent la lutte pour un salaire décent (minimum de 15 dollars l’heure) entre autres dans la restauration rapide et l’hôtellerie, ainsi que les enseignant·e·s qui se battent et font grève pour défendre l’école publique, améliorer les conditions d’enseignement et leur salaire.

Article envoyé par l’auteur le 28 novembre 2018 ; traduction A l’Encontre.

Barry Sheppard

Barry Sheppard était l’un des militants du mouvement pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam, actif au MIT. Par la suite, il occupa un poste de direction au sein de l’historique Socialist Workers Party des Etats-Unis, avec lequel il a rompu suite à sa dégénérescence organisationnelle et politique. Un premier volume de ses mémoires politiques est paru The Socialist Workers Party 1960-1988 ?A Political Memoir, Volume 1 : The Sixties, Published by Resistance Books, 2005.

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