Et c’est ce qui s’est passé ce samedi 19 avril 2016 à propos de la constituante et de la souveraineté telle qu’elle est pensée actuellement par QS. Il a ainsi été possible non seulement de prendre la mesure des grands enjeux constitutionnels, juridiques, politiques soulevés par un processus constituant, mais encore de mieux voir où gisent les actuelles ambiguïtés de la position de QS. Manière de se préparer au prochain congrès où la question de la constituante sera à nouveau à l’ordre du jour.
Certes, il y avait dans la salle une bonne majorité de gens aux cheveux blancs et gris, et proportionnellement peu de jeunes et de femmes. Ce qui bien sûr n’a pas manqué d’interroger sur l’intérêt de tous et toutes au sein du parti à prendre cette question à bras le corps ainsi que sur les moyens qui nous permettraient de sauvegarder les acquis du passé, tout en apprenant à les actualiser en fonction des défis d’aujourd’hui.
Une constituante avec ou sans mandat
Mais au-delà de ces indéniables limites, le fait qu’on ait pu le matin s’arrêter plus à la dimension théorique de la constituante avec les très riches et éclairantes présentations de Danic Parenteau (professeur au Collège royal de Saint Jean), Sibel Epi Ataogul (avocate en droit du travail) et Bernard Rioux (militant de QS ayant travaillé depuis les origines à l’élaboration de la constituante vue par QS), nous a aidés l’après-midi à mieux comprendre les limites actuelles de la position de QS. Notamment quant à la fameuse question d’une constituante dotée ou non du mandat de faire l’indépendance. Car jusqu’à présent, les actuelles formulations du programme de QS, laissent supposer que le processus constituant pourrait éventuellement déboucher sur plusieurs projets de constitutions différentes, y compris donc sur une constitution non indépendantiste.
Et c’est ce qui a fait la matière du débat de l’après-midi animé par Jonathan Durand Folco : alors que Manon Massé, député de QS, insistait sur la nécessité de « se mettre à l’écoute pour dire où sont les convergences » de manière à « ne pas exclure des gens de la discussion » et à ce « que ce soit consensuel » (donnant ainsi l’impression de pencher pour une constituante sans mandat), Alexandre Leduc (candidat QS dans Hochelaga-Maisonneuve) et Benoit Renaud (candidat QS dans l’Outaouais) se faisaient chacun à leur manière les porte-paroles d’une position beaucoup plus claire. Insistant sur les ambiguïtés des formulations actuelles de QS et sur le fait qu’il faudrait que le gouvernement de QS, une fois élu, dote la constituante qu’il se propose de mettre en place, du mandat explicite de « faire un pays ».
Un problème de fond non clarifié
Il reste que les débats qui s’en sont suivis avec la salle, ont montré que les choses étaient loin d’être aussi simples qu’il n’y paraissait, et surtout que la question n’était pas seulement celle de savoir s’il fallait ou non un mandat à la constituante, mais beaucoup plus largement celle de savoir quelle stratégie politique QS pensait devoir déployer pour y arriver. Et c’est cela qui a été particulièrement intéressant : poussés en cela par la conjoncture de 2018, pour la première fois depuis 10 ans, les militantEs de QS ont dû se heurter de plein fouet à un problème de stratégie politique de fond, un problème à la fois très concret et très général, ayant des incidences cependant jusque dans les alliances que l’on devrait ou non passer avec tel ou tel acteur social et politique, ici et maintenant. Un peu comme eurent à le faire récemment les militants et militantes de Syriza ou de Podemos. Et cela d’autant plus que le processus constituant, tel que pensé par QS a quelque chose de totalement inédit.
En effet, QS ne peut s’appuyer pour ce faire sur aucune expérience historique concrète ayant réellement existé, puisque par exemple les récentes expériences constituantes vénézuélienne, équatorienne ou bolivienne sont le fait de pays déjà au moins formellement indépendants. Aussi lui est-il difficile de faire voir simplement à tout un chacun ce qu’une telle démarche signifierait concrètement. Ce qui explique sans doute la diversité comme le manque de clarté de bien des points de vue qui se sont exprimés cet après-midi là ; ces derniers ne cessant de revenir se heurter –mais sans que le débat n’ait vraiment avancé- à l’alternative première d’une constituante avec ou sans mandat.
Pour éclairer ce débat
En fait pour éclairer ce débat et sortir par exemple du raisonnement apparemment imparable que fit Paul Cliche cet après-midi là, affirmant que « si la constituante est un organe de souveraineté populaire, on ne peut pas lui fixer un mandat », il faut replacer le processus possible d’accès à l’indépendance dans le seul contexte qui pourrait en permettre l’accomplissement : celui d’une effervescence de luttes sociales, telles qu’on a pu en connaître par exemple dans les années 70 (ou sur une plus courte période au moment du printemps Érable). Une effervescence de luttes sociales se constituant autour de questions de fond, faisant en sorte que l’accession à l’indépendance devienne l’enjeu d’une bataille politique majeure, rendant ainsi possible l’élection d’un gouvernement solidaire ayant obtenu à des élections provinciales un vote majoritaire.
Or dans cette bataille –car c’est une bataille comme le printemps Érable a été une bataille— le gouvernement QS ne pourra pas rester là en simple spectateur, attendant les bras croisés en bon démocrate que le peuple du Québec décide sur le mode " consensuel » de la constitution qui sera la sienne. Il devra tout faire pour aller chercher des alliés, faire élire à la constituante des gens proches de ses perspectives, paralyser ses adversaires fédéralistes ou libéraux, empêcher de nuire les médias jaunes, convaincre les hésitants d’aller vers l’indépendance, élargir ses appuis, encourager par sa détermination tout un chacun à aller dans cette direction que toutes les forces de droite s’acharneront à barrer.
Pour mettre en marche la constituante, une proclamation initiale
Et c’est là l’intérêt de la constituante telle que pensée par QS, elle permet non seulement de pouvoir élargir ses appuis de départ, mais encore d’enclencher « un processus de souveraineté en acte » qui ne sera pas le fait de quelques juristes ou constitutionnalistes triés sur le volet, mais le fait de tout un peuple qui prend son destin en main et se voit ainsi d’autant plus mobilisé et partie prenante qu’il en devient l’acteur central.
En ce sens ce qui manque à la constituante telle que pensée par QS, ce n’est pas qu’un mandat de plus, même si ce dernier ne serait pas inutile. C’est beaucoup plus que cela : c’est réaffirmer sa volonté de faire l’indépendance ; une volonté se concrétisant par exemple par une proclamation solennelle venant du gouvernement QS fraîchement élu, ré-affirmant qu’il s’engage à enclencher et mettre en route un processus d’indépendance. Un processus qui passera par l’élection d’une constituante permettant au peuple québécois de commencer à s’affirmer comme peuple souverain en lui donnant les moyens de définir –à travers un vaste exercice de démocratie participative mené à travers tout le pays--- les "lois mères" qui définiront le pays qui est en train de devenir le sien, puisqu’en agissant ainsi il rompra de facto avec l’Acte de l’Amérique du Nord de 1867 ayant fondé le Canada.
Encore faut-il pour cela que QS ait fait de l’indépendance une question absolument centrale et puisse la concevoir comme la clef stratégique de son projet économique, social, écologique et féministe. C’est cela aussi que le prochain congrès de QS devrait nous permettre de clarifier.
Pierre Mouterde (Sociologue, essayiste)
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