Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections américaines

Conférence de John R. Macarthur

L’Illusion Obama

Jeudi le 4 octobre dernier avait lieu la conférence de John R MacArthur pour le lancement de son livre L’Illusion Obama (Lux éditeur) à la librairie Le Port de Tête. Directeur du mensuel Harper’s Magazine, journaliste et auteur de nombreux essais, dont Une caste américaine, paru aux éditions Les Arènes, John R. MacArthur, qui est d’origine française du côté de sa mère, signe également une chronique mensuelle dans Le Devoir.

À un mois des élections présidentielles américaines qui auront lieu le 6 novembre prochain et au lendemain du débat entre Obama et le candidat républicain Mitt Romney, cette conférence tombait à point nommé. L’auteur a levé l’écran de fumée qui entoure Obama depuis son élection en 2008, élection qui « a fait naître l’espoir qu’on en finirait avec la corruption régnant à Washington, que les États-Unis renonceraient à leur entreprise de conquête militaire et qu’on ramènerait un semblant d’équité dans un système fiscal qui favorise scandaleusement les riches. Le peuple américain aurait enfin le courage de regarder sa réalité économique et culturelle en face. » (1)

De dire John MacArthur, le personnage d’Obama est un rêve (qui est probablement en train de s’estomper si on se fie au dernier débat avec Romney) : « Obama a d’abord construit ses appuis à Chicago où il a reçu un accueil des plus chaleureux. Fait plutôt troublant si on considère que la machine politique de Chicago est celle qui représente le plus l’oligarchie politique américaine, c’est une machine réactionnaire qui incarne l’anti-réforme. Alors dans ce contexte, comment se fait-il qu’un candidat, lancé par la machine réactionnaire de Chicago devienne le candidat de l’espoir pour l’humanité, pour le peuple américain ? »

Selon MacArthur, le simple fait d’être redevable à la machine politique de Chicago rend le projet de réforme caduc. Il cite les déceptions successives : la trahison de sa promesse de fermer Guantanamo ; l’intensification de la guerre en Afghanistan ; la nomination du va-t-en guerre Rahm Emmanuel (actuellement maire de Chicago) comme chef de cabinet à la Maison Blanche ; l’absence de réforme de Wall Street qu’on attend toujours ; « Obamacare », la réforme de santé, qui est plutôt un cadeau aux sociétés d’assurances privées ; la destruction du système de financement public des campagnes électorales, pour en nommer juste quelques-unes.

Les supporteurs d’Obama disaient et continuent de dire qu’il s’arrange avec le pouvoir pour garder une marge de manœuvre quant aux réformes du système ou bien qu’il est pieds et poings liés — des sentiments qui ont trouvé écho dans l’auditoire à Montréal jeudi soir. Mais MacArthur insiste qu’Obama aurait pu agir autrement. Il cite comme exemple le projet de loi bipartisan présenté en 2009 par une sénatrice de l’aile gauche du parti démocrate de l’État de Washington Mary Cantwell et par le sénateur républicain John McCain. Ce projet de loi avait pour but de restaurer la loi Glass–Steagall promulguée dans les années 1930 dans le cadre du New Deal par l’administration Roosevelt, pour séparer les fonctions des banques commerciales et des banques d’affaires, pour protéger la classe populaire qui utilisait les banques commerciales et avec comme objectif de freiner la spéculation. Parce qu’à l’époque dans les années 1920 c’était à peu près comme dans les années 2000 : On assistait à une spéculation effrénée des banques commerciales qui jouaient à la roulette avec les avoirs de la population ouvrière. Cette loi avait été abrogée par l’administration Clinton avec les républicains qui étaient majoritaires au sénat. Obama a d’ailleurs réembauché deux des trois principaux conseillers de Clinton qui ont recommandé l’abrogation de Glass–Steagall, Robert Rubin et Timothy Geithner. L’abrogation de Glass–Steagall est cité par l’économiste Joseph Stiglitz, entre autres, comme l’un des facteurs clés menant à la catastrophe de 2008 et plusieurs experts distingués ont fait appel à la restitution ce cette loi. Pourtant, Obama, d’ailleurs vanté pour son esprit bipartite, a ignoré complètement ce projet de loi tellement il ne veut pas déranger la machine de récolte d’argent !

Les espoirs des environnementalistes ont également été balayés par l’administration Obama. MacArthur a souligné la déception envers Obama exprimée récemment par l’environnementaliste américain de renommé mondiale Bill McKibben lorsque ce dernier a affirmé qu’il faut « retrouver le président qu’on pensait avoir élu en 2008. » Pourtant, MacArthur explique, ce président apparemment « disparu » existait toujours uniquement dans l’imagination des progressistes. « Juste avant la fuite de BP dans la Golfe du Mexique, « explique MacArthur, « Obama avait ouvert la côte atlantique à plus de forage pour apaiser l’industrie pétrolière et pour se montrer pro-business ». Il a annulé les réformes du Environmental Protection Agency visant à réduire la pollution des centrales de charbon. Et MacArthur n’hésitait pas à prédire que même si Obama n’a pas encore pris sa décision finale concernant le pipeline Keystone XL, le projet de construire un pipeline qui traverse la frontière canado-américaine pour transporter le pétrole des sables bitumineux albertains aux raffineries texanes recevra son approbation s’il est réélu.

Une autre déception cruelle signalée par MacArthur touche le sort de la population noire. Triste ironie que le premier président noir dans l’histoire des États-Unis n’a rien fait pour la communauté afro-américaine . De dire MacArthur, Obama ne veut même pas faire rappeler aux gens qu’il est noir ! Il aurait pu, selon MacArthur, faire quelque chose pour améliorer la condition de vie des noirs, par exemple en faisant des investissements directs pour la création d’emplois tels un projet de reconstruction des chemins de fer, mais tout ce qui préoccupe Obama c’est comment apaiser les banquiers.
Est-ce quelqu’un de moins hypocrite et opportuniste pourrait agir autrement à sa place ? En guise de réponse MacArthur raconte une anecdote concernant Lyndon B. Johnson tiré de la biographie de Robert Caro. Produit de la machine du parti démocrate à Texas, LBJ a succédé à la présidence après l’assassinat de John F. Kennedy en novembre 1963. Tous ses conseillers lui disaient d’aller doucement particulièrement puisqu’il était détesté par l’aile gauche du parti ainsi que par ses anciens collègues sudistes qui eux craignaient des réformes en faveur des droits civiques. Néanmoins, en dedans de six mois LBJ a fait promulguer le Voting Rights Act et Medicare. Aux gens qui lui conseillaient d’aller doucement il répondait, « Mais à quoi ça sert d’être président ? »

Pendant la période de discussion un membre de l’auditoire posa la question du contre-pouvoir : quelles groupes de la société civile pourraient dynamiser la politique américaine ? Est-ce que les mobilisations du Wisconsin peuvent être considérées comme un élément de départ ? Selon John MacArthur, il ne peut y avoir de démocratie vivante sans contre-pouvoir des syndicats. Là il faut revenir sur l’administration Clinton qui a finalement détruit le mouvement syndical avec l’ALENA. Ce n’était pas juste une façon de plaire aux entreprises. Malheureusement les syndicats ont complètement perdu leur force d’origine après Clinton, Ils ne sont plus qu’une filière du parti démocrate. Par exemple le syndicat des Travailleurs de l’automobile (UAW) qui était pourtant le syndicat le plus honnête et le plus progressiste des États-Unis a même appuyé l’accord de libre-échange avec la Corée du sud.
Pour ce qui est du mouvement qui a suscité l’intérêt et l’enthousiasme de beaucoup d’intellectuels progressistes, Occupons Wall Street, MacArthur était plutôt réticent : « Est-ce que c’est un mouvement sérieux ? À mon avis non » a-t’il-affirmé. Alors la question du contre-pouvoir ou en définitive de l’initiative politique du mouvement ouvrier et des classes populaires demeure une question ouverte.

Malgré son pessimisme quant à la situation actuelle, MacArthur demeure convaincu que les États-Unis ne sont pas complètement réfractaire à la réforme : « Même avec une constitution figée, même avec un système bipartite basé sur la récolte de l’argent du privé, des fois il y a des percées, il y a des gens qui disent ‘non, je veux faire quelque chose de différent. »

Toutefois, face au sombre tableau de la réalité américaine qu’a brossé MacArthur jeudi soir, on voit difficilement de quelle source pourrait provenir la volonté politique nécessaire sans un bouleversement en profondeur.

(1) L’Illusion Obama, résumé, verso du livre

Andrea Levy

Andrea détient un doctorat en histoire de l’Université Concordia. Chercheuse indépendante et journaliste engagée, elle est l’une des codirigeants depuis 20 ans de la revue Canadian Dimension où elle signe également un billet sur l’écologie. Elle collabore également aux Nouveaux cahiers du socialisme et elle est membre du comité scientifique de Polémos, groupe de recherche sur la décroissance. Militante de la gauche municipale et québécoise de longue date, elle est membre du comité exécutif de l’association locale de Québec solidaire à Notre-Dame-de-Grâce et du Collectif justice animale de QS.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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