Édition du 8 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections américaines

Entrevue avec Benjamin Barber

Quel bilan tirez-vous des années Obama ?

(De New York) Bien assis dans le canapé de son appartement de Manhattan, Benjamin Barber, démocrate né en 1939, ancien conseiller de Bill Clinton et proche de Hillary, se dit déçu par les quatre ans du « professeur de droit » à la Maison Blanche.

(tiré de Rue 89 - L’Hebdo )

L’Hebdo : Comment juger la campagne de Barack Obama pour sa réélection ?

Benjamin Barber : Disons qu’Obama va gagner même s’il n’a aucun mérite à cela. C’était plié d’avance face à un Mitt Romney qui m’a néanmoins surpris par son attitude claire et décidée. Lors du premier débat télévisé notamment, il a largement dominé un Président indécis dont la performance était désastreuse.

Pourquoi, alors, l’ancien gouverneur du Massachusetts ne peut-il pas gagner ?

Parce que le Tea Party, les extrémistes qui le soutiennent, est fini. D’abord, cette frange représente une minorité en voie de disparition dans notre pays. Ils sont blancs, vieux, conservateurs, chrétiens. Ils détestent les autres, c’est-à-dire les homosexuels, les Latinos, les Asiatiques... Ils veulent une Amérique du XIXe siècle. Mais cette Amérique va changer de visage ces prochaines années. Elle sera plus latino, plus asiatique. Plus métisse.

Comme Obama finalement ?

Exactement. Cela dit, Obama n’est pas celui qu’on croit. Beaucoup de démocrates le voient très progressif, très libéral. Il y a quatre ans, ils étaient contents qu’un Afro-Américain soit élu. C’était un joli symbole, surtout après les années Bush et un événement important dans notre histoire. D’ailleurs, Barack Obama avait su faire briller les yeux des Américains. Ils ont voté pour lui parce qu’il incarnait l’espoir, la nouveauté, une nouvelle manière de faire des affaires, de faire de la politique, de gérer.

Mais il n’a rien fait de tout cela. Il n’a pas changé la vie des gens.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

Etre élu à la présidence est une chose. Mais être un vrai Président en est une autre. Il faut savoir gouverner. Et si Obama, dès son arrivée à la Maison Blanche, a voulu montrer une attitude très professorale, très fair-play avec ses adversaires politiques, très consensuelle, très gentille en fait, tout en étant très prudent, il n’a pas su être un homme de pouvoir.

Il n’a rien d’un Lyndon Johnson qui a été probablement le plus grand Président du siècle aux Etats-Unis. Lui était un combattant, un manipulateur aussi. Il avait la capacité de dealer avec les gens avec dureté et gentillesse. Il aimait les gens, mais savait aussi taper du poing sur la table quand il le fallait. Obama est un Président faible qui m’a déçu.

Avez-vous un exemple de cette faiblesse ?

Sa gestion du dossier de l’assurance maladie par exemple. Les républicains qui se sont juré sa perte l’ont roulé facilement dans la farine. Et lui n’a rien vu venir.

La seule manière de contrôler le système de santé, un système obligatoire, était de créer une caisse publique qui pouvait maintenir des prix bas. Mais lorsqu’il a fallu négocier cette question, Obama a d’emblée annoncé qu’il était prêt à l’abandonner pour faire avancer le projet. Il n’a même pas dit qu’il aimait cette idée, qu’il voulait se battre pour elle.

Est-il naïf finalement ?

Quand on parle de pouvoir, oui. Clairement. Il a typiquement une attitude de professeur de droit. Mais fondamentalement, il ne sait pas comment le pouvoir fonctionne. Il n’est pas bon, d’autant qu’il n’a confiance en personne, si ce n’est en sa femme Michelle et quelques conseillers triés sur le volet. Ensuite, il n’a été que sénateur. Il n’avait pas l’expérience du pouvoir exécutif avant d’être élu. Ce n’est pas un hasard si les meilleurs Présidents ont souvent été des gouverneurs dans une autre vie.

Quel bilan tirez-vous des années Obama ?

Le plus gros problème d’Obama, c’est qu’en quatre ans, il n’a pas fait grand-chose, même si ce n’est pas complètement de sa faute. Je blâme surtout le système politique américain qui a été créé pour ne pas marcher. Sans une supermajorité au Sénat (100 élus) et au Congrès (435 représentants), n’importe quel Président aurait du mal à faire passer ses projets. Et encore. Il lui faut composer avec les intérêts régionaux qui obligent ses propres élus à prendre des positions contraires parfois aux intérêts de son parti.

Ce système a été imaginé au XVIIIe siècle par des gens qui avaient peur d’un pouvoir central trop fort. Du coup, ils ont parié sur le fédéralisme, la décentralisation du pouvoir avec un Sénat très puissant où les petits Etats peuvent bloquer les plans du Président et des régions les plus peuplées ou une Cour suprême qui peut également tout arrêter.

Ensuite, nos campagnes politiques sont trop longues. Imaginez que Romney est en route depuis deux ans.

Ensuite, il n’a pas réussi à sortir le pays de la récession.

Effectivement. Alors bien sûr, la situation était catastrophique à son arrivée. Bien sûr, il est parti de loin. Bien sûr, bien sûr, bien sûr... Il a probablement évité que la récession ne devienne une grosse dépression.

Reste que ses plans de relance étaient trop légers malgré les 700 milliards de dollars mis sur la table. C’était la moitié de ce qu’il fallait. Au moins.

Ensuite, sa régulation de Wall Street était trop timide. Mais c’est normal. Obama est très proche des milieux bancaires qui aujourd’hui investissent massivement dans sa campagne. Et pour cause, il leur a donné des milliards qui n’ont pas servi à sauver le petit propriétaire endetté mais les banquiers eux-mêmes.

Quelle était la solution alors ?

Donner cet argent aux 4 millions d’Américains qui ont perdu leur maison à cause de leur surendettement…

Mais on dit aussi qu’Obama, s’il est réélu, va enfin appliquer la politique progressiste qu’on attend de lui, notamment en matière d’environnement ?

Vous vous trompez. Obama est clairement un centriste. Il est propétrole, pro-industrie, provoiture, prodrone, pro-armée... Il aime l’idée de l’indépendance énergétique et ne fera rien contre l’exploitation du gaz de schiste. Vous savez, ce n’est pas parce que vous êtes noir de peau que vous ne pouvez pas être conservateur dans l’âme.


Un autre déçu

Benjamin Barber n’est pas le seul intellectuel progressiste à être déçu par la présidence Obama.

Dans son dernier livre, « L’Illusion Obama », John R. MacArthur analyse lui aussi l’action du sortant. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le directeur du réputé Harper’s Magazine, une publication de référence aux USA et plutôt à gauche, casse la baraque en dénonçant un démocrate très, trop proche de Wall Street. Très, trop attiré par les lumières de l’argent. Un politicien très, trop proche aussi des Daley, les « parrains » démocrates de Chicago, dignes descendants des mafieux des années 20, qui ont favorisé l’ascension du premier président métis des USA...


Sur le même thème : Élections américaines

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...