Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Opinion

La Chine dans la mire

Réponse à un texte de Reporters sans frontière dans le Devoir

On peut continuer de garder un œil critique et vigilant sur ce qui se passe en Chine ou à Cuba, mais le socialisme continuera d’inspirer ces deux régimes d’où on tire maintenant les exemples pour sortir l’humanité d’une période troublée et inquiétante. Celle des Reagan, Thatcher et Bush. On peut en même temps garder tout l’espoir du monde pour « un avenir au chemin sinueux, mais tout de même radieux » (Chou En Lai)

Je sais, je sais, … je m’apprête à « justifier l’intolérable ». L’URSS a pactisé avec Hitler, les communistes chinois dopent le néolibéralisme et les investisseurs chinois sont sur tous les marchés de la planète.

Mais comment le sait-on maintenant ? Et pourquoi ? Pourquoi Paul Desmarais se tait-il lui aussi ? Parce qu’il y a des affaires à brasser là-bas dans ce nouveau Far West. Alors, dans ses journaux, on adule ou réprouve successivement « le capitalisme chinois ». Pourquoi Reporters sans frontière, financé par les grands groupes de presse français et par la CIA, à ce qu’on dit, appelle-t-il désespérément au boycott international de la Chine pourtant rendu impossible maintenant ? La question mérite des éclaircissements.

Dans le Monde diplomatique du dernier mois, on explique de façon assez élaborée ce qui motivent les communistes chinois à « changer la Chine » : la recherche d’un mode de gouvernance pour le socialisme aussi stable que l’a été celui de la démocratie bourgeoise depuis 1789 après de multiples essais et erreurs, de retour à la monarchie jusqu’aux excès du fascisme le plus brutal. Cela engendre pour la Chine un mode de gestion des crises qui assurera le développement, plus ou moins facile, des forces productives de manière à ne plus associer le socialisme à la pauvreté, le socialisme et le partage de la misère. Comme du temps de Mao l’utopiste (au sens qu’en donne Engels dans son œuvre populaire « Socialisme utopique et socialisme scientifique »).

Ce n’est pas évident ? Bien sûr que non quand des journaux comme « La Grande Époque » ou des organisations comme Reporters sans frontière déversent leur venin anticommuniste. Sur Cuba, Reporters sans frontière s’est cassé les dents au point où Ménard, le dirigeant fondateur, est parti plus ou moins sur la pointe des pieds !

La gauche, qui s’est préoccupée du sort des paysans chinois bien avant Power Corporation, renie maintenant tout de son passé d’admiration béate de la Chine pour avoir négligé les explications marxistes que Teng Tsiao Peng donne de ses réformes en faveur de la prospérité de la Chine.

Sortir un pays du Tiers-Monde de la pauvreté endémique avec la collaboration du système financier mondial, en déroute maintenant, n’est pas une tâche facile. Et le parti qui s’en veut responsable doit bien asseoir le pouvoir qui y arrivera. D’où un contrôle strict de ce à quoi sont exposé-e-s les chinois-e-s comme propagande extérieure.

La situation en Chine est bien singulière dans le mouvement communiste international. Les communistes de ce pays parlent d’un « socialisme à la chinoise », comme nous pouvons parler d’un « socialisme à la québécoise » sur lequel statuera, en toute indépendance, notre congrès à la fin d’octobre. Le nationalisme de gauche y joue un rôle non négligeable.

La gauche occidentale s’empresse de se démarquer des communistes chinois pour faire oublier son enthousiasme pour les communes populaires. Mao est décrit comme un tyran sanguinaire et assoiffé de pouvoir alors que sa mémoire est encore honorée en Chine parce qu’il a été, au XX ième siècle, à l’origine de l’indépendance anti-impérialiste de son pays en triomphant de l’occupation fasciste japonaise avec le soutien des communistes canadiens et de Norman Béthune, entre autre (médecin communiste célèbre en Chine dont on souligne discrètement l’anniversaire de la mort à la radio de Radio-Canada dans une émission à caractère scientifique du dimanche 5 octobre, « Les Années Lumières », et dans quelques musées de Montréal).

Comment la gauche oublie-t-elle tant de ferveur pour la Chine ? En reniant le passé. En remettant en cause la prise en compte de l’immense tâche assumée par le régime communiste de nourrir, vêtir, loger et protéger le quart de l’humanité avec encore seulement 7 % des terres arables, au moyen d’ateliers de misère où s’entassent des ex-paysans pauvres devenus ouvriers et sortis de l’indigence des campagnes, en détruisant, puisqu’il le faut, des quartiers historiques dans les grandes villes chinoises se modernisant pour y construire des HLM ou en mettant à niveau une armée encore arriérée.

Les autorités communistes, qui s’ouvrent à toute la démocratie possible dans le contexte (les élections municipales y ressemblent aux nôtres), encerclées par des forces encore hostiles, ont refusé d’exproprier la bourgeoise en 1949 et qui constitue maintenant 1.5 % des membres du parti, composé lui-même encore pour la plupart de paysans, d’ouvriers et d’intellectuels. Mais elles tiennent fermement les reines d’un pouvoir qui s’identifie lui-même à un « socialisme à la chinoise » ou à un « socialisme de marché ». À un type de régime qui entretient encore les meilleurs espoirs pour la survie de l’humanité elle-même appauvrie par les règles d’un impérialisme en déroute financière … cherchant des solutions « socialistes » à sa crise.

Voilà le paradoxe incontournable pour ceux et celles qui, malgré le vacillement des Lumières, s’accrochent à la perpétuation des valeurs des sciences humaines (dont le marxisme) et exactes, seules vraies garanties pour un avenir politique et économique au service de l’humanité salariée et appauvrie du monde.

Les crises chinoises en sont de croissance. Elles sont porteuses d’avenir et réglées au nom d’un apprentissage de la meilleure manière de consolider un pouvoir socialiste durable. Les « nôtres », celle de l’impérialisme, qui sont exposées maintenant aux yeux de tou-te-s, sont celles d’un déclin inévitable des solutions d’un mode de production sclérosé associé aux transnationales, en question partout, et aussi, qui devra se soumettre, s’il veut survivre, à des solutions inspirées du « socialisme » ! On ne peut confondre les deux façons de chercher à résoudre les crises profondes qui attendent le monde capitaliste et les pays qui prétendent encore défendre le socialisme. Elles n’ont pas la même portée pour les riches égoïstes de la planète que pour les pauvres de plus en plus nombreux qui appellent à notre solidarité.

On peut continuer de garder un œil critique et vigilant sur ce qui se passe en Chine ou à Cuba, mais le socialisme continuera d’inspirer ces deux régimes d’où ont tire maintenant les exemples pour sortir l’humanité d’une période troublée et inquiétante. Celle des Reagan, Thatcher et Bush. On peut en même temps garder tout l’espoir du monde pour « un avenir au chemin sinueux, mais tout de même radieux » (Chou En Lai)

Pour ceux ou celles qui sont curieux d’explications théoriques ou philosophiques sur l’évolution du mouvement communiste international depuis la Commune jusqu’à nos jours, en passant par le 1917 russe jusqu’au 1949 chinois, je recommande : « Fuir l’histoire » de Domenico Losurdo dont on trouvera la référence sur le blog de ce philosophe de l’histoire italien. Il peut être commandé dans toute bonne librairie en livre de poche.

Mots-clés : Chine Opinion
Guy Roy

l’auteur est membre du collectif PCQ de Québec solidaire à Lévis.

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