Édition du 26 mars 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

La face cachée de la Nouvelle-Écosse

C’est parmi les sites les plus beaux et les plus tranquilles du Canada. Collines verdoyantes, plages sans fin, petits villages pittoresques où on trouve plein d’ex pêcheurs. Même la « grande ville » de Halifax (400 000 personnes) a un air de vacances, d’autant plus que le tourisme est devenu la plus grande industrie depuis la fermeture des usines et des mines du Cap Breton. Au Québec, outre les occasions où on y prend des vacances, la Nouvelle-Écosse, c’est Sydney Crosby !

Dans la tourmente de l’histoire

Quand les Français sont arrivés (1605), ils ont trouvé une population amérindienne accueillante, les Mi’kmaqs. La conquête britannique (1755), après six épuisantes guerres, a tout bousculé, avec la sordide « purification ethnique » contre les Acadiens. Aujourd’hui, moins de 4 % de la population totale (920 000) sont francophones. Après l’indépendance des États-Unis (1776), la colonie reçut plusieurs milliers de « loyalistes » qui refusaient de devenir « Américains » et qui voulaient servir sa Majesté britannique. Par contre, d’autres Américains d’ascendance africaine sont également venus s’installer dans la région à la même époque, ce qui explique qu’on y trouve maintenant plus de 20 000 Noirs. Plus tard au tournant du 19ième siècle au moment de la création de la confédération canadienne (1867), un pourcentage important de la population et des élites voulait rester dans l’Empire, néanmoins, la Nouvelle-Écosse fut incorporée dans le Canada. Cela explique un peu pourquoi la reine d’Angleterre est encore aujourd’hui tellement populaire dans cette province !

La pauvreté

Au vingtième siècle, l’économie canadienne s’est recentrée sur l’Ontario et le Québec, laissant les provinces maritimes y compris la Nouvelle Écosse dans une relative marginalisation. Les mines de charbon et la sidérurgie de la région du Cap Breton connurent quelques décennies de gloire avant de péricliter, malgré plusieurs batailles syndicales très dures. Dans les années 1970, l’exode des jeunes s’est accéléré, surtout vers Toronto, ce qui fait qu’une partie importante de la population actuelle est composée de retraité-es. Aujourd’hui, derrière la façade touristique, plus de 120 000 personnes (14% de la population), vivent sous le seuil de la pauvreté. La misère et le chômage affectent particulièrement l’ancienne région ouvrière du Cap Breton, de même que les communautés noires autour d’Halifax et les Mi’kmaqs dans ce qui leur reste de réserves. L’exode vers l’Ontario et maintenant l’Alberta, de même que l’incorporation d’un pourcentage élevé de jeunes dans l’armée, constituent une sorte de soupape de sécurité.

Fractures

Pendant longtemps, c’est dans le Cap Breton que des syndicats militants ont mené des batailles héroïques, jusqu’au démantèlement quasi complet de l’industrie et des mines. Aujourd’hui, la Fédération du travail de la Nouvelle-Écosse compte environ 70 000 membres, principalement dans le secteur public et l’enseignement. Les Postiers y sont particulièrement actifs puisque Halifax est l’un des principaux centres de tri postal au pays.

En 2009, une sorte de tremblement de terre politique est survenu dans la province avec la première élection de l’histoire d’un gouvernement néo-démocrate. Traditionnellement dominée par la droite (Parti conservateur) et le centre-droit (Parti Libéral), la Nouvelle-Écosse s’est retrouvée avec une nouvelle gouvernance fortement appuyée par les syndicats et les mouvements populaires. Parallèlement, ces mouvements avec des organisations noires et des communautés Mi’kmaqs mettaient en place un « Front commun pour la justice », une coalition inédite dans cette province.

La défaite du NPD

Malheureusement, la lune de miel entre les mouvements et le NPD n’a pas duré longtemps. Le nouveau gouvernement s’est mis les syndicats à dos en interdisant la grève des 800 ambulanciers. Les frais d’inscription à l’université ont été haussés, de même que les taxes à la consommation, pendant que les impôts sur les revenus des entrepreneurs ont été diminués. Ces politiques d’austérité défendues au nom de la « bonne gestion » et imposées dans le sillon de la crise de 2008 ont déstabilisé la base populaire du parti, tout en éliminant des voix dissidentes comme le député Howard Epstein. Lors de l’élection de 2013, le NPD a été sévèrement vaincu (7 élus sur 31 ont survécu à la débâcle qui a permis aux Libéraux de revenir au pouvoir). L’ex Premier ministre, Darrell Dexter, a lui-même été battu dans sa circonscription ce qui l’a mené à démissionner come chef du parti.

Dur débat à gauche

Cette débâcle a été un dur coup pour les secteurs progressistes de la province, syndicalistes et écologistes notamment. Certes, le bilan mitigé du NPD a fait en sorte que la mobilisation ne s’est pas produite en 2013. Il est important de noter cependant que les élites se sont toutes liguées pour dénoncer la « menace socialiste », ce qui explique une bonne partie de la victoire de la droite. Six mois plus tard, on ne réussit pas encore à bien saisir ce qui s’est passé. Le réseau « Solidarity Halifax » (http://solidarityhalifax.ca/), qui se définit comme anticapitaliste estime en gros que le mouvement populaire doit surtout maintenir son indépendance et garder le cap sur des actions « de rue ». Composé de militants syndicaux et communautaires, Solidarity n’appuie pas le NPD sur la base qu’il n’est « ni socialiste ni anticapitaliste », même s’il considère que la droite traditionnelle représente un « grave danger » pour les classes populaires. Certains militants ont cependant applaudi la défaite de 2013 du NPD coupable, selon eux, d’avoir « trahi » le mouvement populaire. Peu de temps après sa victoire, le nouveau gouvernement libéral a annoncé de nouvelles privatisations et des politiques d’austérité encore plus sévères. Les temps seront durs dans la prochaine période pour le mouvement populaire en Nouvelle-Écosse.

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