Édition du 26 mars 2024

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Éducation

La lutte étudiante : une confrontation directe avec la question du féminisme

Ces lignes ci-dessous se veulent le récit de mon expérience propre des questions liées au statut des femmes et au féminisme dans le cadre de la grève étudiante et non l’adoption d’un type de féminisme particulier. Je m’excuse par avance si certains de mes propos peuvent être choquants et j’espère continuer à en apprendre davantage sur le féminisme dans les jours et mois à venir.

Avant le début de la grève, la question du féminisme ne m’intéressait pas beaucoup. Non pas que je pensais qu’il n’y avait plus rien à faire et que tout était déjà réglé. J’avais en effet bien conscience des profondes inégalités et discriminations existantes envers les femmes, mais cela me touchait peu, ne m’atteignait peu.

Avec le mouvement étudiant, mes positions ont énormément évolué à ce sujet, mon intérêt pour la question du féminisme a été grandissant et c’est aujourd’hui quelque chose qui me préoccupe. Comment expliquer cette évolution ? Parce que selon moi la grève a permis une double confrontation avec la problématique féministe : une confrontation pratique et une confrontation théorique.

Une confrontation pratique : au travers des Assemblées Générales et des différentes rencontres au sein de mon association étudiante, j’ai pris conscience des places souvent peu valorisantes occupées par les femmes tels que le poste de secrétaire ou de responsable de la liste de présence, alors même que les hommes s’attribuaient souvent la présidence ou de longues tirades durant les Assemblées. J’ai pris conscience de la difficulté que nous pouvions avoir à nous faire entendre et à obtenir une certaine reconnaissance de nos positions.
Pour ma part, j’ai souvent eu cette impression d’être cantonnée à des tâches purement organisationnelles comme l’organisation de conférences, de discussions ou encore de manifestations pendant que les hommes s’attribuaient les vraies « responsabilités » : prononcer les discours, animer les discussions, et donner les entretiens.
Un exemple de cette « division du travail » : j’ai fait part récemment à quelques uns de mes camarades masculins de mon association de mon désir de me présenter sur un poste de l’exécutif l’année prochaine, en plus d’un autre poste ailleurs que j’occupe déjà. Or plusieurs de ces derniers m’ont dit que cela me ferait trop de responsabilités, trop de charges alors même que cette année un homme a occupé ces deux mêmes postes sans jamais qu’on doute de sa capacité à remplir ces fonctions ou qu’on le questionne là-dessus. Mais pour une femme, ce semble trop …

Néanmoins, leur lancer tous les torts ne serait pas non plus juste de ma part. Je sais que je suis moi aussi en partie responsable de cette situation, que j’ai internalisé la position de soumission dans laquelle je me mets souvent et que c’est également à moi de m’imposer vis à vis d’eux, d’affirmer ma présence. Ainsi, un des points très positifs de cette grève – parmi de nombreux autres–, c’est de m’avoir permis cette prise de conscience des hiérarchies et des stéréotypes encore très présents au sein des étudiant-e-s et de m’avoir donné le gout de tous les briser et les braver.

Par ailleurs, il me semble que si j’ai pu voir ces inégalités et discriminations, si elles ont été mises en relief lors de cette grève, c’est en grande partie en raison de la forte implication des femmes dans le mouvement ainsi que du travail extraordinaire qu’elles effectuent depuis le début de cette grève.

Ce travail de fond, on ne le dit pas et ne le montre vraiment pas assez : à l’instar des médias qui ont souvent rechigné voire refusé à inviter la co-porte-parole féminine de la CLASSE, au profit du seul porte-parole masculin, il semble comme y avoir une réticence médiatique voire sociétale à parler de l’ensemble de ces femmes engagées dans la lutte politique, à les montrer qui marchent chaque jour et chaque soir, qui prennent la parole, qui écrivent, qui bravent la violence policière et le sexisme courant des policiers. C’est comme si elles n’étaient pas à leur place et que c’était dérangeant.

Une confrontation théorique : la grève étudiante donne lieu à un formidable laboratoire de discussions et de réflexions sur le féminisme.
Au sein de nos Assemblées Générales, des débats ont ainsi été lancés quant à la question de l’alternance hommes/femmes pour les tours de parole, un comité femme a été crée avec, entres autres, comme visée d’établir un code éthique sur les discriminations issues des comportements lors des prises de parole, un avis de motion proposant qu’à chaque début d’Assemblée soit expliqué les codes de procédures afin que plus de femmes soient davantage en mesure de présider les assemblées a aussi été déposé. Lors des Congrès de la CLASSE, la question du féminisme occupe également souvent une place importante et j’apprends toujours énormément des critiques soulevées. Cela me sort de mon ignorance et ancienne indifférence et j’aime ça.

Dorénavant, je fais attention aux comportements et aux propos qui sont tenus autour de moi, je fais attention aux publicités que je vois et je n’ai plus de scrupules, ou presque, à aller prendre la parole. Ces débats et échanges m’ont apportés une attention face aux discriminations que peuvent subir les femmes, ils ont mis la lumière sur quelque chose que je voyais sans réellement le voir.

Bref, le mouvement de grève étudiante est pour moi porteur de deux mouvements importants :
Tout d’abord, une prise de conscience directe des discriminations dont sont sujettes les femmes au sein de la lutte étudiante. Cette prise de conscience me conduisant à une réflexion plus globale sur le statut des femmes. Ensuite, une réflexion sur les différents types de féminisme, sur ses applications et une évolution vers des valeurs plus progressistes dont le féminisme est une partie essentielle.

Blandine Parchemal, doctorante en philosophie à l’Université de Montréal.

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