Édition du 4 novembre 2025

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Israël - Palestine

« La torture comme politique d’État » : Israël face au comité de l’ONU contre la torture

Un comité de l’ONU tiendra en novembre prochain une session d’examen du respect d’Israël de la convention des Nations Unies contre la torture (UNCAT). L’Agence Média Palestine a eu accès en exclusivité à un rapport qui y sera présenté, qui dénonce des violations graves, systématiques et aggravées depuis le 7 octobre 2023.

Tiré d’Agence médias Palestine.

Depuis la ratification de la Convention des Nations unies contre la torture en 1991, Israël a systématiquement manqué à ses obligations, tout en maintenant des politiques qui violent les droits humains. Depuis le 7 octobre 2023, la torture et les punitions ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (cruel, inhuman or degrading treatment or punishment : CIDTP) ont fortement augmenté, atteignant des niveaux sans précédent et étant pratiqués dans une impunité quasi totale.

Plus que des abus, ces actes de torture et de CIDTP sont une « politique d’État », comme le révèle une vaste enquête menée conjointement par le Comité public contre la torture en Israël (PCATI), Adalah – Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël, HaMoked – Centre pour la défense de l’individu, Parents contre la détention des enfants (PACD), Médecins pour les droits humains en Israël (PHRI).

Cette enquête, qui comprend de nombreux témoignages et statistiques incriminantes, sera présenté au Comité de l’ONU contre la torture (UNCAT) dans le cadre du 6e examen d’Israël, qui se tiendra pendant la 83 session du comité, du 18 au 21 novembre prochain. Elle s’appuie sur des témoignages recueillis auprès de détenu-es et ancien)nes détenu-es, de professionnel-les de santé, sur des visites dans des prisons, ainsi que sur un suivi juridique et des procédures judiciaires en cours.

L’Agence Média Palestine a pu avoir accès à ce rapport, intitulé « La torture comme politique d’État : maltraitance des détenus palestiniens en Israël et impunité depuis le 7 octobre 2023 ».

« Un outil délibéré et généralisé »

Les examens consultatifs de l’UNCAT sont réguliers, et concernent tous les pays. Le dernier examen d’Israël date de 2016, et avait soulevé de nombreuses observations et recommandations du comité concernant le traitement des détenu-es palestinien-nes.

Les signataires du rapport affirment que ces recommandations n’ont pas été suivies, et que la situation s’est largement agravée depuis le 7 octobre, en parallèle de la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza. « La torture est devenue un outil délibéré et généralisé de la politique étatique, utilisé dans les systèmes juridiques, administratifs et opérationnels. Elle est pratiquée tout au long du processus de détention – de l’arrestation à l’interrogatoire en passant par l’emprisonnement – et vise les Palestinien-nes sous occupation et les citoyen-nes palestinien-nes d’Israël. »

Ce nouveau rapport souligne que les actes de tortures et de mauvais traitements envers les détenu-es palestinien-nes pré-existaient de manière systémique dans les centres de détention israéliens, mais identifient des mécanismes qui ont, depuis le 7 octobre 2023, accéléré et institutionnalisé ces pratiques. « La rhétorique de vengeance et de déshumanisation a imprégné les politiques de détention et facilité la torture et les abus systématiques, » explique l’introduction.

Camps d’emprisonnement militaires

Avec des arrestations massives de Palestinien-nes de Gaza et de Cisjordanie, Israël s’est doté de nouveaux camps d’emprisonnements, des camps militaires où les ONG signataires du rapport contre la torture observent des pratiques aussi alarmantes que systématiques.

Fin octobre 2023, le ministre israélien de la Défense a ordonné que la base militaire de Sde Teiman serve de centre de détention pour les Palestiniens de Gaza arrêtés en vertu de l’UCL (Loi sur les combattants illégaux, que le comité de l’UNCAT avait appelé à abroger en 2026). Des pratiques de tortures sont immédiatement dénoncées, de nombreux témoignage rapportant que des milliers de détenus étaient enfermés dans des enclos à ciel ouvert, menottés et les yeux bandés 24 heures sur 24, obligés de rester à genoux la plupart du temps et de dormir par terre la nuit, exposés aux intempéries et aux insectes.

Le rapport pointe des violences physiques, un affamement volontaire et de graves négligences médicales. Il dévoile également que le centre médical de Sde Teiman employait une équipe de professionnels de santé, qui servaient comme soldats et ne relevaient pas du corps médical. En violation de toutes les normes éthiques, ils avaient pour instruction d’agir de manière anonyme, sans s’identifier auprès des patients ni signer aucun document médical. Cet anonymat visait à empêcher toute plainte ou enquête concernant des manquements à l’éthique et à la déontologie médicale. Les directives de l’établissement ne prévoyaient pas l’obligation de consigner dans les dossiers médicaux tout soupçon de violence ou de torture, ni l’obligation de signaler ces soupçons aux autorités compétentes, alors même que les détenus arrivaient pour recevoir des soins médicaux avec des signes de violences graves sur le corps.

En avril et mai 2024, sous la pression suscitée par les révélations sur les conditions de détention à Sde Teiman, des centaines de détenus ont été transférés vers le camp de détention militaire d’Ofer. Malgré l’annonce faite par l’État à la Cour suprême de justice qu’il allait progressivement « fermer » Sde Teiman et n’y détenir les prisonniers que pour des périodes limitées, le camp est toujours largement opérationnel.

Parallèlement, le camp militaire d’Ofer est devenu le principal centre de détention des Palestiniens de Gaza, ce qui n’est qu’un transfert des mêmes pratiques abusives : les cellules sont surchargées et les détenus rapportent qu’ils doivent dormir par terre sans matelas. L’hygiène de base est négligée, car les détenus ne reçoivent pas de produits de nettoyage pour maintenir les toilettes dans un état sanitaire acceptable, ni suffisamment de papier toilette.

Conditions « inhumaines » dans les prisons

En 2016, l’UNCAT avait critiqué le recours à la torture et aux CIDTP par le personnel pénitentiaire israélien, soulignant l’impunité de ces actes. « Depuis le 7 octobre, on assiste à une forte escalade, caractérisée par ce qui ne peut être compris que comme une politique délibérée visant à infliger une violence et des souffrances systémiques et quotidiennes aux Palestiniens classés comme détenus pour raisons de sécurité », indique le rapport.

Au moyen d’ordonnances « d’urgence » et de politiques appliquées sur le terrain, les Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes ont été privés de tous les droits et protections fondamentaux garantis par le droit israélien et international, y compris les dispositions de l’UNCAT.

Dans un contexte d’arrestations massives, il en résulte une surpopulation inhumaine. En effet, les témoignages font état à plusieurs reprises d’un doublement de l’occupation habituelle des cellules, avec 12 détenus et plus entassés avec une seule toilette défectueuse, rendant tout mouvement ou toute intimité minimale impossible. Dans son témoignage devant le PHRI en novembre 2024, A.R. a décrit 30 prisonniers partageant 11 lits dans une cellule à Ktzi’ot.

De nombreux cas de violences physiques graves et répétées commises par le personnel des prisons israéliennes ont été documentés depuis le 7 octobre. Ils comportent des coups de poing, des coups de pied, des coups de matraque, le maintien forcé de positions contraignantes et le port de chaînes douloureuses, ainsi que d’attaques de chiens. Ces actes de violence se produisent dans les cellules, dans des zones non surveillées par des caméras, et pendant le transfert des détenus à l’intérieur et à l’extérieur des établissements pénitentiaires, entraînant des blessures graves et visibles telles que des contusions et des fractures des côtes, du nez et des dents.

Des cas de violences physiques graves ont été signalés dans diverses prisons et centres de détention, notamment à l’encontre de femmes, de mineurs et de détenus handicapés. Les témoignages révèlent l’omniprésence de la violence arbitraire et sa normalisation dans le quotidien carcéral, souvent infligée à un groupe de détenu-es à la fois. Les témoignages font également état d’humiliations généralisées et de traitements dégradants.

Impunité structurelle

Le rapport insiste également sur le fait que ces actes sont et restent impunis car ils constituent une politique à part entière. Si cette impunité était déjà dénoncée et avait été soulignée lors de l’examen d’Israël par l’UNCAT en 2016, de nouvelles lois sont venues la renforcer depuis.

« Israël a été le théâtre d’attaques massives et généralisées contre l’existence même des organisations de défense des droits humains et des défenseurs des droits humains », explique le rapport, qui pointe notament deux initiatives qui menacent les libertés des défenseurs des droits qui dénoncent les crimes commis en détention.

La première consiste en un amendement à la loi sur les associations, qui imposera de sévères restrictions financières et opérationnelles aux ONG recevant des fonds d’entités gouvernementales étrangères : « Ce projet de loi oblige les ONG à choisir entre sacrifier leurs activités principales ou faire face à des conséquences financières désastreuses. Il limite sévèrement la liberté d’expression et d’association, en particulier pour les groupes de défense des droits humains et les groupes de plaidoyer, tandis que les frais d’accès aux tribunaux menacent la capacité des petites organisations à demander un contrôle judiciaire. Ce projet de loi constitue une tentative délibérée de réduire au silence la société civile par la coercition juridique et financière. »

La deuxième initiative interdit toute coopération officielle entre les autorités israéliennes et la Cour pénale internationale (CPI), criminalisant les citoyen-nes qui aideraient la CPI de quelque manière que ce soit, une infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et, dans certains cas, d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.

Étant donné que de nombreuses ONG de défense des droits humains qui documentent les cas de torture collaborent avec la CPI dans le cadre de la procédure relative à la situation en Palestine, cette loi les paralyserait, menacerait leur personnel et priverait les victimes de torture de tout recours.

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