Tiré de Reporterre.
Si l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne est contesté en Europe, il est bien accepté de l’autre côté de l’Atlantique. Le CETA est perçu comme la seule opportunité pour le Canada de maintenir son commerce extérieur, alors que son partenaire principal, les Etats-Unis, s’oriente vers le protectionnisme.
Il aura fallu que José Bové soit retenu pendant 24 heures, à son arrivée à l’aéroport de Montréal mardi 11 octobre, pour que l’accord de libre-échange avec l’Europe, le CETA (Accord économique et commercial global) arrive sur le devant de la scène au Canada.
Si les douanes canadiennes évoquent son passé criminel (le démontage d’un restaurant McDonald’s et le fauchage de maïs génétiquement modifié de Monsanto), pour José Bové, « c’est une décision très clairement politique », qui a motivé la rétention de son passeport.
Le député européen devait assister le soir même à une assemblée publique sur le CETA au Conseil des Canadiens, une organisation citoyenne, à Montréal.
Mais depuis le début des négociations, il y a sept ans, peu nombreux dans le pays sont ceux qui se sont mobilisés contre cet accord de libre-échange.
Au Québec, les producteurs laitiers se sont certes inquiétés, en 2014, de l’arrivée sur le marché canadien des fromages fins d’Europe. Eux qui sont parvenus depuis une dizaine d’années à proposer une offre de qualité et moins onéreuse que les produits importés, s’inquiétaient de voir leurs ventes baisser.
A cela, le premier ministre québécois, Philippe Couillard, avait répondu qu’il était hors de question de mettre « en péril l’accord de libre-échange sur un enjeu spécifique ».
Car même si le Québec cultive une préférence revendiquée pour le local, tant pour ses produits frais que manufacturés, l’accord de libre-échange avec l’Europe est perçu par ses responsables politiques comme une perspective immanquable d’étendre un marché intérieur restreint.
« On est un pays de 36 millions d’habitants, 8 millions au Québec, nous avons une des économies au monde qui dépend le plus du commerce. C’est la seule façon pour nous de maintenir notre niveau de vie, en faisait du commerce avec l’extérieur », argumente Jean Charest, ancien premier ministre du Québec et initiateur de l’accord, en entrevue à Radio-Canada mercredi 12 octobre.
Et pour le Canada, il y a urgence à ce que cet accord soit ratifié : son principal partenaire commercial, les Etats-Unis, est en passe de devenir davantage protectionniste, quel que soit le candidat, Donald Trump comme Hillary Clinton, qu’il élira dans moins d’un mois.
« Et on n’est pas les seuls à le voir, c’est pour ça que la Chine s’intéresse davantage au Canada, le Moyen Orient aussi. Car si cet accord est ratifié on va devenir une rampe de lancement vers le marché européen », explique Jean Charest.
Valls et Trudeau "sans ambiguïté" pour adopter le CETA
D’où la main de fer que tente d’adopter Justin Trudeau dans ce dossier. Lorsqu’il reçoit Manuel Valls à Ottawa jeudi, le premier ministre canadien affirme que « c’est le moment pour l’Europe de décider à quoi sert l’Union européenne. »
« Si on trouve, dans une semaine ou deux, que l’Europe est incapable de signer une entente progressive, commerciale, avec un pays comme le Canada, avec qui l’Europe pense-t-elle faire affaire dans les années à venir ? », entend-il prévenir .
Si l’Union européenne ne ratifie pas l’accord, « ce serait vraiment désolant », conclut Justin Trudeau.
Pour Manuel Valls, cette possibilité reste « inconcevable », tout en invoquant l’appui « sans ambiguité » de la France envers l’accord de libre-échange.
Le chef du gouvernement a ensuite poursuivi sa visite à Montréal et Québec pour continuer à discuter du CETA avec le premier ministre québécois Philippe Couillard.
Pendant ce temps, son compatriote José Bové, tente une offensive contraire à quelques centaines de kilomètres de là. Le député européen profite du permis temporaire de sept jours qui lui a finalement été accordé par les douanes canadiennes, pour défendre au Québec, mais aussi dans d’autres provinces, l’idée que le CETA est un « danger pour les citoyens, pour les économies locales, pour les respect du droit, pour l’environnement ».
Un accord qui fera perdre 23.000 emplois au Canada selon lui. José Bové s’appuie sur une étude produite par le Tufts University Global Development and Environment Institute, parue en septembre dernier, et selon laquelle les pertes d’emplois s’échelonneraient jusque 2023 (lire ici le résumé, en anglais, de l’étude avec lien vers le texte complet).
Des données présentées aussi par le Conseil des Canadiens, et sa présidente Maude Barlow. Pour celle-ci, l’étude « laisse entrevoir qu’il n’y aura pas de gains économiques – seulement des pertes d’emplois, des inégalités et une érosion chronique du secteur public ».
Un aspect que tente de relativiser Jean Charest en invoquant d’autres « études américaines selon lesquelles les technologies auront eu beaucoup plus d’impact sur les changements du marché de l’emploi que les accords de libre-échange. »
Le gouvernement du Québec va lui carrément à contre-courant de ces chiffres et calcule que l’accord générerait 2,2 milliards de dollars par an et 16.000 nouveaux emplois.
L’ancien premier ministre du Québec concède néanmoins que l’agriculture est un « sujet difficile » de cet accord, et ce des deux côtés de l’Atlantique, faisant écho aux préoccupations des fromagers et producteurs laitiers exprimées il y a deux ans.
« Le Canada aura accès davantage pour le marché du porc, du bœuf, pour le colza, mais du côté des fromages, on va accepter sur une période de 5 ans (...) davantage de fromages fins venant de l’Europe et ça pour le Québec c’est une préoccupation légitime. Il faudra s’assurer qu’il y aura un appui donné aux producteurs agricoles québécois ou des producteurs fromagers, si et seulement s’il y a un impact sur eux », détaille t-il.
Les vingt-huit pays européens doivent approuver l’entente, avant qu’elle puisse être ratifiée à Bruxelles le 27 octobre prochain. Si l’accord entrait en vigueur, les tarifs douaniers sur 98 % des lignes tarifaires seraient abolis.
Un caillou inattendu sur le chemin de la ratification est venu de Belgique : le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a confirmé mercredi 12 octobre sa ferme opposition à la signature par la Belgique du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (CETA). Par ce veto, la Belgique francophone entend clairement bloquer l’entrée en vigueur du traité controversé.