Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

L’échec flagrant du marché/taxe carbone de la Colombie britannique et du Québec

Le capitalisme vert du trio tarif/auto électrique/BECCS mène au néo-fascisme

Le 17 mai dernier, environ deux mille jeunes des écoles secondaires de Montréal et une poignée d’alliés, prenant de l’avance sur les rassemblements semblables de la semaine suivante en Europe, manifestaient (album de photos) pour enjoindre le gouvernement caquiste à secouer ses puces afin de se doter d’un plan climat à la hauteur de ce que le GIEC-ONU juge indispensable soit - 50% de GES net d’ici 2030 et -100% d’ici 2050. Le contenu des affiches de la manifestation traduisait une grande émotion, parfois une radicalité idéologique (« changer le système, pas le climat ») et très rarement une revendication. Le contingent Solidaire, à part la menace de faire « barrage politique », n’en avait aucune à proposer. Attendre de la CAQ, un parti ultra-libéral et discriminatoire, au point même de le courtiser et d’en devenir membre, ou de l’hypocrite gouvernement pétrolier canadien, un plan de transition à la hauteur voulue relève de la chimère et de la tromperie... à moins de se contenter de mesures pointues minimalistes pour sauver la face.

La scène politique, comme la nature, a horreur du vide. L’absence revendicative est vite comblée par le « bon sens » du capitalisme vert publicisé par les grands médias et par les experts incapables de voir au-delà du carcan du marché dominé par les transnationales. Son noyau dur en est le captage et la séquestration du gaz carbonique (BECCS selon son acronyme anglais) et autres technologies relevant de la géo-ingénierie comme par exemple le blocage du rayonnement solaire, et, last but not least, l’énergie nucléaire. Mais comme le Québec ne produit pas d’hydrocarbures, même si sa classe d’affaires en rêve, et qu’il s’est débarrassé de la marginale énergie nucléaire, ces dimensions sont absentes du débat public. Restent la mythique auto solo électrique, très séduisante dans un Québec hydro-énergétique, et la solution miracle de la tarification carbone sous forme de taxe ou marché ou autres écotaxes qui nous délivrerait sans douleur des hydrocarbures.

BECCS ET ÉNERGIE NUCLÉAIRE

Le GIEC et l’humanité avec elle jouent aux apprentis-sorciers avec les points de bascule

L’objectif du GIEC-ONU de réduction des émanations de GES de 50% d’ici 2030, devenu la référence incontournable, ignore le fait que les scénarios du GIEC prévoient majoritairement le captage et la séquestration de gaz carbonique (BECCS) et l’augmentation substantielle de l’énergie nucléaire tout en ne tenant pas compte du principe de la responsabilité historique différenciée. La correction de ces failles mènerait les pays du vieil impérialisme à une cible d’au moins 75-80% pour 2030 et non 50%. Cet objectif insuffisant pour empêcher le franchissement du seuil de 1.5°C et même de 2°C par la seule réduction des émanations de GES nécessite de mettre les bouchées doubles, surtout après 2050, en épongeant les GES de trop dans l’atmosphère sans en émettre de supplémentaires. Les moyens en seraient les nouvelles technologies, dites de géo-ingénierie, non encore éprouvées, fort dispendieuses et très risquées. Le cœur de ces dernières sont les BECCS :

...il faudrait miser sur le déploiement massif de technologies ou approches dites « d’émissions négatives” » à l’aide de procédés de captage et de stockage du carbone émis (Bio-Energy Carbon Capture and Storage (BECCS) en anglais). En clair, cette approche préconise de faire une culture massive de biomasse (p. ex. arbres), de récolter, puis de brûler en centrale cette biomasse pour produire de l’énergie, de capter les émissions de carbone à la cheminée, puis, et c’est principalement là que le bât blesse, de procéder à un stockage du carbone capté dans des cavités souterraine pendant des millénaires. Pour arriver à atteindre l’objectif de stabilisation à 2 oC, des scénarios typiques proposent qu’une superficie d’une à deux fois la taille de l’Inde soit plantée de biomasse. Alors que les technologies d’émissions négatives sont encore très spéculatives, car aucune technologie n’a démontré son efficacité sur le long terme, celles-ci laisse présager une compensation des émissions actuelles de GES et permettent aux économistes néolibéraux de proposer aux gouvernants des scénarios faussement rassurants ! (Comité thématique de Québec solidaire pour l’environnement et l’énergie, références omises)

Ce scénario du grand rattrapage se ferait au détriment des terres paysannes et aborigènes et de leur savoir ancestral et traditionnel, au coeur de « l’accumulation par dépossession ». Ce scénario nie le principe de précaution en acceptant que soient probablement franchis les points de bascule qui déclencheront des rétroactions amplifiant l’effet de serre, telles l’effet d’albédo par la fonte de la glace de l’océan Arctique, la fonte du permafrost arctique terrestre et océanique, la capacité de l’océan d’emmagasiner gaz carbonique (45%) et chaleur (plus de 90%) au détriment de son propre écosystème, un des piliers de l’écosystème terrestre, le rétrécissement des forêts en particulier par l’augmentation des incendies et surtout la fonte des glaciers groenlandais et antarctiques déjà bien entamée. L’humanité peut bien sûr continuer à ignorer le principe de précaution pour jouer à la roulette russe en spéculant que les points de bascule sont encore loin ou que les rythmes de rétroaction seront lents une fois ceux-ci franchis. Mais jusqu’ici, la réalité par exemple de la fonte de la banquise arctique et des glaciers tout comme l’écologie des océans, à laquelle il faut ajouter la pollution surtout des plastiques, suggère le contraire.

Garder dans la terre les hydrocarbures canadiens et en finir avec son énergie nucléaire

L’orientation archi pro-pétrolière du gouvernement canadien appartient à notre horizon politique. Qui est au courant et qui se préoccupe, par exemple, de cette expérience de séquestration de CO2 par la multinationale Shell ? En 2015, Shell disait avoir séquestré un soixante dixième de 1% des GES des sables bitumineux, à terme un centième, au prix de 1.3 G$CDN dont la majeure partie subventionnée par les gouvernements. Financée majoritairement par l’État, Shell espère sans doute faire oublier son comportement dans l’océan Arctique et au Nigéria. Mais surtout nous concerne le transit par le Québec du pétrole bitumineux et du gaz naturel de l’Ouest canadien, faux combustible de transition surtout s’il provient du fracking. Pourquoi la revendication Solidaire de sa campagne Ultimatum 2020 réclame-t-elle d’« interdire tout projet d’exploitation ou d’exploration pétrolière et gazière sur le territoire du Québec » sans réclamer la fin du transit du gaz albertain parachevé par le gazoduc Abitibi-Saguenay, débat de l’heure au Québec ?

Une grande partie du mouvement écologiste préfère ignorer les affres de l’énergie nucléaire sous prétexte qu’elle produit peu de GES. Après Three Miles Island, Chernobyl et Fukushima comment se mettre la tête dans le sable ? Ce sont des bouts de planète qui sont devenus inhabitables pour longtemps. L’énergie nucléaire, énergie à gestion hyper-centralisée et opaque, est née sous de fausses promesses de bon marché afin de voiler l’inacceptabilité humaniste de l’armement nucléaire. Le vieillissement des centrales construites massivement il y a plus d’une génération multiplie les dangers d’accidents qui ne sont pas rares. La recherche du moindre coût de construction et d’entretien pour fins de profit ou d’austérité gouvernementale multiplie les risques. L’insécurisation grandissante d’un monde en chamaille n’a rien de rassurant en cas d’attaque terroriste ou de guerre.

Et que dire du problème « ordinaire » de la disposition des déchets radioactifs et des vieilles centrales fermées qui croissent géométriquement. L’ineptie de la solution pour disposer d’une façon permanente, à quelques encablures de la rivière Outaouais, des déchets de la centrale de Chalk River révèle l’ampleur du problème. Cette controverse montre aussi que ce n’est pas parce que l’unique centrale nucléaire québécoise à Gentilly a été fermée que le Québec est à l’abri. Le dépotoir de Chalk River en cas d’accident mettrait en danger autant la rive québécoise qu’ontarienne. Les vents dominants font que les vieillissantes centrales nucléaires ontariennes du lac Ontario sont une menace pour toute la vallée du St-Laurent.

L’AUTO HYDRO-QUÉBÉCOISE

Des avantages nationaux évidents mais qui franchissent peu la frontière

L’auto solo hydroélectrique québécoise paraît irrésistible. On ne peut rien reprocher à sa source énergétique car en plus de ne pas générer de GES, les dégâts écologiques de bouleversements de bassins versants, de marnage et de méthyl-mercure découlant de ses barrages à réservoir sont déjà escomptés étant donné les importants surplus qu’Hydro-Québec vend en partie aux ÉU ou pour opérer d’énergivores centres de fabrication de cryptomonnaie. Le coût moyen de l’hydroélectricité québécoise est à ce point bon marché, sans compter la quasi absence de perte énergétique en comparaison du moteur à explosion, que le prix de l’hydroélectricité est d’environ 15% du prix de l’essence pour parcourir une distance équivalente ce à quoi il faut ajouter le meilleur marché de l’entretien de la mécanique simple de l’auto électrique.

Dans un esprit internationaliste, il ne faudrait pas cependant oublier que l’électricité mondiale provient pour presque deux tiers de l’énergie fossile, dont surtout le charbon (prépondérant en Chine, Inde, Indonésie, Allemagne, Australie, Afrique du Sud), et pour un peu moins de 10% du nucléaire (France, Ontario). Certes la contribution de ces deux sources décroît lentement mais demain n’est pas la veille de l’ère de l’énergie renouvelable surtout si on en exclut l’hydroélectricité, un peu plus de 15% du total, et dont la part ne croît plus, qui génère d’importants dégâts écologiques et sociaux dans les bassins versants fortement peuplés, par exemple en Asie. Ce qui signifie que l’auto électrique mondiale, par rapport à l’auto à essence, est loin d’avoir le même avantage anti GES que celle hydro-québécoise quand elle en a.

Quelques inconvénients et de sérieuses tares

Cet avantage, généreusement soutenu par l’État, reste cependant relatif. Le différentiel du coût supérieur d’acquisition, borne de recharge comprise et une fois pris en compte les importantes subventions de Québec et d’Ottawa, prend quand même plus de dix ans à s’amortir pour un usage normal. Reste l’inconvénient des parcours de longue distance que le zèle hydro-québécois est en train de partiellement régler par ses bornes à chargement rapide le long des autoroutes à condition de patienter 15-20 minutes pour faire le plein plus fréquent que pour une voiture à essence équivalente. Pour détenir sa lente borne maison quasi indispensable, il faut avoir... une maison et un bon crédit peur emprunter au départ. Mais à la longue, on peut prévoir que les stationnements d’édifices à logements et ceux des lieux de travail s’équiperont en conséquence encouragés par des subventions gouvernementales. Inutile de dire que ça fait cher la tonne de GES non émise comme l’ont remarqué maints écologistes pourtant favorables à l’auto hydro-québécoise.

Il y a cependant un envers de la médaille. Si on analyse le cycle de vie de l’auto hydro-québécoise qui n’est pas fabriquée au Québec alors que les véhicules de transport en commun le sont, la production de GES pour sa fabrication, quelque peu supérieure à celle de l’auto à essence, essentiellement à cause de la batterie, efface en partie son avantage. Il faut presque deux ans d’usage normal avant que l’auto hydro-québécoise cause moins d’émanations de GES que celle à essence. Il n’en est cependant pas de même pour l’« épuisement des ressources minérales » pour lequel la voiture à essence est plus écologique que celle électrique quelle que soit la distance à vie parcourue. À cette défaillance, les partisans de l’auto hydroélectrique répondent par l’argument du recyclage perpétuel des batteries. Tant que la consommation est en croissance, ça ne peut pas être le cas. Une fois atteinte la saturation, ce qui ne sera pas de sitôt, il faut faire l’hypothèse d’un recyclage non seulement technologiquement possible mais aussi peu énergivore et économique. Malgré que les batteries lithium-ion existent depuis 20-25 ans, leur recyclage est peu développé.

Au Moyen-âge, il y avait la recherche du Saint-Graal « qui produit une nourriture miraculeuse qui se renouvelle chaque jour » (Wikipédia). À la Renaissance, il y avait le mythe alchimiste de la transformation en or de minéraux communs. Au XIXè siècle, il y a eu une tentative de mettre au point une machine à mouvement perpétuel. Au XXiè siècle il y a eu l’énergie nucléaire « too cheaped to be metered ». Au XXIè siècle, il y a la batterie se recyclant à l’infini selon sans doute un processus non polluant et non énergivore. Faut-il en pleurer ou faut-il en rire ? L’extraction-transformation-recyclage polluant et énergivore de ces ressources naturelles sera le talon d’Achille de la consommation de masse des voitures électriques comme le pétrole l’est pour celles à essence. Le préjugé favorable aux premières provient uniquement de ce que leurs dégâts écologiques sont devant nous alors que celles des dernières sont avec nous après un siècle d’accumulation. La situation épouvantable de l’extraction du coltan au Congo, sociale et écologique, n’est qu’un aperçu du cauchemar à venir quand le mirage de la voiture électrique se sera effondré.

Tout changer pour que rien ne change

L’auto électrique c’est finalement « tout changer pour que rien ne change ». Elle permet de relancer la consommation de masse. Non seulement elle se propose à terme comme substitut à l’auto à essence mais dans la période de transition, comme elle ne peut pas encore la remplacer, les couches riches et les ménages à deux revenus moyens l’ajoutent à leur auto à essence. Tout en prolongeant le règne de l’auto solo, pour le plus grand bénéfice des transnationales de l’automobile produisant hors Québec et soutenues ou en rivalité avec les super-transnationales GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), les énergivores banlieues tentaculaires de maisons unifamiliales souvent sur-dimensionnées continuent leur étalement et leur corollaire de congestion routière pour le plus grand bénéfice de l’industrie de la « corruption ». La conséquence en est le continuel accaparement de la trame urbaine en surface par l’auto solo refoulant le transport en commun efficace en sous-sol (métro) ou dans les airs (train aérien REM) à quelques voies réservées près.

En découle de coûteux et longs à réaliser projets qui enrichissent les corrompus SNC-Lavalin et Tony Accurso de ce monde. La rivalité entre la CAQ pro REM prolongé Rive-sud et Projet-Montréal pro ligne rose passe à côté du débat clef. L’une et l’autre alternatives sont des capitulations à l’auto solo à essence ou électrique que les deux rivaux sont d’accord à subventionner tout comme Québec solidaire. La vraie alternative est la généralisation du transport en commun (autobus électriques, tramways, trolleybus...) fréquents, gratuits et confortables utilisant des voies réservées, donc en tassant l’auto solo, sur l’ensemble des autoroutes et boulevards, qu’ils soient sur l’Île de Montréal ou en banlieue. En commençant par le Vieux-Montréal, le « char » devrait être interdit dans les zones métropolitaines d’ici 2030 et remplacé par un système de transport en commun plus un complément d’autopartage. Malheureusement, le Plan de transition Solidaire prend le parti des autos électriques plus une orgie de REM et métros principalement sur l’Île de Montréal délaissant le transport collectif en surface dans les banlieues et dans les régions.

LA TARIFICATION CARBONE

L’Ontario, la championne canadienne des réductions de GES... sans aucune tarification carbone

Parmi les grandes provinces canadiennes, la championne des baisses de GES de 2005 à 2017 a de loin été l’Ontario. Par habitant, pour éliminer l’effet différencié de la croissance démographique, elle a réduit ses émanations de GES de 31% par rapport au Québec (-17%), la Colombie britannique (-16%) et l’Alberta (-8%). Cette réduction est essentiellement due à la politique gouvernementale de fermeture des centrales électriques au charbon complètement éliminées en 2014 et non à une inexistante tarification du carbone. Quant à l’Alberta, l’étonnante baisse s’explique un peu par une légère baisse de la consommation de charbon pour l’électricité mais surtout par la récente crise de son industrie pétrolière due à la fois à la baisse des prix du pétrole et notamment à la stratégie d’étouffement de la construction d’oléoducs par le mouvement anti-pétrole dont les Autochtones sont le fer de lance. Rien à voir avec la tarification des GES de 2017 à 2019 par le dernier gouvernement du NPD albertain mais tout à voir avec les aléas du marché des hydrocarbures, avec les politiques gouvernementales et avec la mobilisation sociale.

Québec et Colombie britannique ont en commun deux caractéristiques et jusqu’à un certain point une troisième. Toutes deux génèrent leur électricité essentiellement par l’hydraulique et se sont dotées d’une tarification carbone, un marché pour la première depuis 2013 et une taxe pour la seconde depuis 2008 à un niveau plus élevé que le marché carbone québécois. Les deux provinces ont une économie où les ressources naturelles et leur transformation, davantage pour la Colombie britannique, jouent un rôle important. On remarque que leur bilan général de réduction de GES par habitant se ressemblent. Par contre, si on ignore la croissance de la population plus importante en Colombie britannique, cette dernière a un bilan de réduction de GES à peine négatif de 2005 à 2017 (-1,5%) tandis que celui du Québec décroît de 10% pour la même période. Soulignons que si on inclut la comparaison des émanations de GES dues aux incendies de forêts pour la Colombie britannique, donnée non disponible pour le Québec, les émanations de GES ont crû de 6% de 2005 à 2016 pour cette province. Il est vrai que cette source de GES varie beaucoup d’une année à l’autre mais le réchauffement climatique n’en augmente pas moins la probabilité de ces incendies en forêt boréale.

Colombie britannique : une baisse abrupte de GES avant la création de la taxe carbone... puis une hausse

De 2005 à 2016, la ventilation pour 2017 n’étant pas disponible, à cause de leur hydroélectricité généralisée, la décarbonation de la climatisation n’a pas pu réduire les GES de ces deux provinces sauf pour la Colombie britannique où elle s’est achevée à la hauteur de 1% du total des émanations de GES en moins. En Colombie britannique, la croissance des émanations de GES provenant de l’exploitation des ressources naturelles incluant l’agriculture et la foresterie, dont l’exploitation du gaz naturel est à souligner, a augmenté le grand total des émanations de GES de 1%. Par contre, l’industrie a réduit ses émanations de 2.8% particulièrement entre 2005 et 2010, période dans laquelle se situe la grave crise économique de 2008. Le transport routier a augmenté ses émanations de GES de près de 3% pour la même période. (Curieusement, de 2013 à 2016 surtout en 2016, les émanations de GES de BC Ferries, opérant entre l’Île de Vancouver et le « Mainland », s’effondrent effaçant presque à elles seules l’augmentation de celles du transport routier de 2005 à 2016. Comme il n’y a pas eu de révolution technologique de la part de l’entreprise gouvernementale, on doit supposer un changement de méthodologie, fréquent dans le domaine des statistiques de GES.)

En autant que l’on puisse identifier des causes spécifiques, les variations significatives de GES en Colombie britannique sont dues à des décisions gouvernementales (fin de l’électricité d’origine fossile, peut-être pour la navigation domestique) et des décisions d’affaires permises par l’État (développement du gaz naturel dont un nouveau très important projet est en voie de réalisation... auquel le gouvernement du NPD accorderait une exemption de la taxe carbone). L’augmentation des émanations de GES pour le transport routier sur la période ne plaide pas en faveur de l’efficacité de la taxe carbone à moins de l’excuser par la croissance de la population. Reste peut-être la diminution de 2% pour la climatisation des bâtiments quoique les programmes de rénovation et le renforcement du code du bâtiment d’édifices et résidences chauffés surtout au gaz naturel ont joué leur rôle. L’ensemble de l’œuvre laisse sceptique. La baisse globale des émanations de GES s’est produite de 2004 à 2010 essentiellement par suite d’une importante baisse des émanations de l’industrie manufacturière. Or la taxe carbone a été instaurée à la mi-2008 à un bas niveau. La baisse de 2008 à 2010 peut s’expliquer par la crise économique de 2008. Après 2010, les émanations de GES ont recommencé à croître et celles par habitant à décroître plus lentement.

La Colombie britannique est loin de s’enligner pour atteindre son objectif de réduction de 40% de ses émanations de GES pour 2030 par rapport à 2007. Toutes les louanges attribuées à la taxe carbone de Colombie britannique ne sont basées que sur une corrélation statistique qui n’est plus valable. Même l’article que le Wikipedia anglophone lui consacre, tout en reflétant cette légende urbaine, finit par l’admettre. De 2013 à 2017, la consommation d’essence en Colombie britannique a augmenté de 15% contre moins de 5% au Canada. De plus comme le fait remarquer cet article, la taxe carbone de Colombie britannique « réduit les impôts sur le revenu des particuliers et sur les sociétés d’un montant à peu près égal. » c’est-à-dire que sa fonction principale, très néolibérale, n’est pas la lutte climatique mais de substituer à une imposition quelque peu progressiste des revenus une régressive taxation indirecte revêtue d’un habit écologique. Cette astuce sordide n’a comme but que de ruiner la crédibilité populaire de la lutte climatique tout en servant la politique fiscale néolibérale.

Au Québec comme en Colombie britannique, l’inefficace tarification carbone cache la fiscalité néolibérale

L’évolution de la situation québécoise depuis l’instauration du marché carbone en 2013 n’est pas plus reluisante. Les émanations des GES originant de la climatisation des bâtiments ont crû d’un peu plus de 9% de 2012 à 2016, dernière année disponible pour la ventilation des données. Les émissions du secteur des transports ont bien diminué de presque 4% de 2012 à 2016 – par contre elles ont augmenté de 2015 à 2016 – mais en fait elles diminuent globalement depuis 2011 et pour le sous-secteur automobile depuis 2003. Quand on examine la croissance de la consommation d’essence brut et de diesel de 2013 à 2017, on réalise qu’elle a été soit supérieure soit égale à la moyenne canadienne alors que la croissance de la population québécoise a été inférieure à cette moyenne. Quant au taux de croissance du nombre d’automobiles et camions légers, pour fin de promenade comme commerciale, 2017 a été une année record, et de loin, depuis 2012. Et les véhicules électriques restent en nombre marginal malgré leur croissance rapide.

Reste l’industrie dont les émanations de GES provenant des combustibles, qui comptent pour la moitié de la contribution de ce secteur, ont décru de plus de 10% de 2012 à 2016. Ces émanations baissent depuis 2007 et leur taux de décroissance a été plus rapide de 2007 à 2012 qu’après cette date, sans doute à cause de la crise de 2008. La raison principale expliquant cette baisse provient des usines de pâtes et papiers dont les importantes émanations ont décru de 72% depuis 1990 suite soit à l’utilisation accrue de la biomasse soit à de nombreuses fermetures. On peut s’interroger sur le fait que la biomasse par convention statistique ne contribue pas aux émanations de GES sous prétexte que son immédiate combustion serait théoriquement compensée sur quelques dizaines d’années par une pousse nouvelle alors que la réduction des émanations est urgente, au plus dix ans, et qu’une fois le gaz carbonique dans l’atmosphère il y reste plus d’un siècle.

Côté procédés industriels, l’autre moitié des contributions du secteur industriel, la fermeture de la seule usine de magnésium et la continuelle baisse depuis 1990 de l’apport des alumineries, apport qui reste cependant important avec 42% de l’apport des procédés industriels ou 6.5% du grand total québécois, a été presque neutralisé depuis 2011 par les émissions émanant de la chimie spécialisée (les PFC, SF6, etc. employés comme gaz isolant dans les installations électriques, comme agents propulseurs et anesthésiques, pour la réfrigération et la climatisation, l’extinction des incendies, l’utilisation d’aérosols, la fabrication de matériel électronique, etc.) dont les émanations de GES sont à leur plus haut niveau depuis 1990. Le bilan GES des industries s’alourdira dans les prochaines années des émanations de la cimenterie de Port-Daniel qui augmentera les émanations du Québec de 2.5%. S’il fallait y ajouter plus tard la « nouvelle usine de liquéfaction au Saguenay, qui émettrait chaque année plus de 7,8 millions de tonnes de GES », il faudrait ajouter un 10%.

Aucune des tendances mentionnées, positives ou négatives, ne s’explique par le nouveau marché carbone. Les tendances positives précèdent l’apparition du marché carbone et celles négatives infirment son influence. Même les fluctuations du prix de l’essence ne sont pas principalement dues à ce marché mais aux aléas du marché mondial du pétrole pour lequel les facteurs politiques sont en pointe. On se rend compte que la tarification carbone n’est pas plus efficace au Canada qu’elle ne l’a été en Suède considéré comme l’exemple à suivre. Ici comme en Suède ce sont les investissements et les normes gouvernementales qui font la différence. Au Canada comme en Suède, la tarification du carbone a un autre but. Au Québec comme en Colombie britannique, la tarification du carbone sert uniquement de couverture à la contre-réforme fiscale néolibérale qui vise à remplacer l’imposition des revenus des individus comme des entreprises, sous prétexte qu’elle décourage soit les investissements soit l’ardeur au travail, par de la régressive taxation indirecte prétendument neutre vis-à-vis le comportement des acteurs économiques.

LA CONTRADICTION DU CAPITALISME VERT ENTRE AUTO ÉLECTRIQUE VERSUS TARIFICATION CARBONE ET BECCS

LE PRÉCIPITE DANS LE MUR DU NÉO-FASCISME

La petite histoire de la tarification carbone réellement existante vient corroborer la théorie économique sous-jacente. Cette tarification, par définition, est une modification des rapports de prix du marché par une ou des taxes pénalisant les ou certains produits et services carbonés. Mais le « marché » est sous le contrôle des transnationales, particulièrement financières. Celles-ci, sous la houlette de la loi de la concurrence, doivent viser la rentabilisation maximum de leur gigantesque capital déjà investi, dont les réserves d’hydrocarbures, quitte à modifier lentement la forme concrète de sa composition (la structure économique) au fur et à mesure de son amortissement. Il leur est ainsi impossible de régler à temps la question climatique selon les paramètres du dernier rapport du GIEC même s’il fait bon ménage avec les BECCS et l’énergie nucléaire. Cette maximisation des profits qui doivent à leur tour être valorisés entraîne l’obligation structurelle d’une accumulation tendanciellement exponentielle du capital que seulement des crises de grande ampleur peuvent interrompre avant que le train vers l’enfer reprenne de la vitesse de plus belle.

Si un gouvernement, dans ce cadre capitaliste, tentait de contrôler les rapports de prix au point de compromettre cette logique inhérente au capital, il se ferait brutalement remettre à l’ordre comme le gouvernement Syriza l’a été en Grèce en 2015. Les outils en sont la grève des investissements et la fuite des capitaux permises par les accords de libre échange. Si les grandes entreprises, taraudées par la réalité du réchauffement et la pression populaire, acceptent la tarification de mauvais cœur ce n’est pas sans exiger une protection légale. Le système Québec-Californie distribue gratuitement les droits de polluer aux « émetteurs exposés à la concurrence nationale et internationale », droits qu’ils peuvent ensuite revendre. Sans compter les « crédits compensatoires » acquis hors Québec et Californie et généralement bon marché. Ajoutons-y un mécanisme d’émissions discrétionnaire pour garantir un plafond des prix. Au bout du compte, c’est le consommateur qui paiera directement l’essentiel de la facture comme en Suède.

Il ne faut pas en déduire que la réaction anti tarification des trumpiens gouvernements ontarien et albertain a quelque chose à voir avec un rejet du néolibéralisme. Elle provient d’un rejet de toute hausse de la fiscalité, indirecte et directe, comme corollaire de l’eutrophisation de l’État social issu de la lutte de classes de l’après-guerre pour n’en retenir que le noyau dur de l’État répressif et impérialiste. Pour les trumpiens, les crises climatique et de la biodiversité, niées ou non, sont une occasion de chaos favorisant l’émergence d’un État autoritaire reposant sur le racisme et le sexisme. Pour les néolibéraux restés humanistes à fleur de peau, ces crises rendent possible une sortie de la crise économique ouverte en 2008, dopée pour l’instant par une orgie de création monétaire gage de son retour au centuple, grâce à un capitalisme vert financé par la tarification carbone. Ce nouvel État vert soutiendrait à coups de subventions et de PPP le remplacement du complexe auto-pétrole-bungalow par celui auto-électricité-condo qui redynamiserait la consommation de masse.

Comme cette stratégie ne remet pas en question la valorisation du capital long à amortir, le capitalisme vert doit accepter le dépassement de la limite de 2°C et encore plus de 1.5°C de hausse des températures terrestres quitte à jouer à la roulette russe avec les points de bascule. Pour se dédouaner, le capitalisme vert favorise une géoingénierie gargantuesque et souvent apprenti-sorcier de décarbonation de l’atmosphère ou même de blocage du rayonnement solaire. Le coût très élevé de cette stratégie de carbo-neutralité, sans compter ses risques, garantit un régime d’austérité permanente qui compromettra par ailleurs la relance de la consommation de masse, ce qui à terme rapprochera le capitalisme vert du néo-fascisme qu’il rejette aujourd’hui. Pour éviter cette fatalité, n’y aurait-il pas lieu de se laisser guider par l’orientation, pour le moins surprenante, d’organisations environnementales nationales mieux connues pour leur connivence avec la CAQ et les Libéraux fédéraux :

« DANS UN MARCHÉ DE L’AUTOMOBILE EN PERPÉTUELLE CROISSANCE, DES ORGANISMES COMME ÉQUITERRE OU LA FONDATION SUZUKI S’INTERROGENT SUR LA PERTINENCE MÊME DE DÉTENIR UNE VOITURE. D’APRÈS EUX, L’ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS DEVRAIT S’APPUYER AVANT TOUT SUR LE DÉVELOPPEMENT DES RÉSEAUX DE TRANSPORT COLLECTIF ET D’AUTOPARTAGE, AFIN D’OFFRIR AUX QUÉBÉCOIS DES SOLUTIONS DE RECHANGE COLLECTIVES À LA VOITURE INDIVIDUELLE. » (Magazine Protégez-vous)

Marc Bonhomme, 26 mai 2019 www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

SOURCES :

BECCS et énergie nucléaire
• Marc Bonhomme, Le « Sommaire pour les décideurs » du rapport « Le réchauffement global à 1.5°C » du GIEC --- Un exercice d’équilibre entre science et politique qui freine l’urgence d’agir, Presse-toi-àgauche, 13/11/18
• Comité thématique de Québec solidaire pour l’environnement et l’énergie, Propositions d’argumentaire pour l’élection de 2018.
• Radio-Canada (Médium large), La géo-ingénierie pour contrer les changements climatiques ?, 14/08/18
• Sabrina Speich, Gilles Reverdin, Herlé Mercier, Catherine Jeandel, L’océan, réservoir de chaleur, Ocean and Climate platform, sans date
• Agence France-Presse, Le réchauffement climatique pourrait enclencher un cercle vicieux catastrophique, Radio-Canada, 6/08/18
• Daniel Carrière, Le tombeau nucléaire canadien, un projet de 23 milliards, Radio-Canada, 18/01/19
• Presse canadienne, Un million de tonnes de carbone captées dans les sables bitumineux, RadioCanada, 15/09/16

L’auto hydro-québécoise
• Centre international de référence sur le cycle de vie des produits procédés et services (CIRAIG), Analyse du cycle de vie comparative des impacts environnementaux potentiels du véhicule électrique et du véhicule conventionnel dans un contexte d’utilisation québécois pour Hydro-Québec. avril 2016
• Philippe Gauthier, Les limites pratiques du recyclage des batteries au lithium, Blogue énergie et environnement, 8/07/18
• Rémi Leroux, Voiture électrique : avantages, incitatifs et polémique, Protégez-vous, 21/05/19 • Sophie Langlois, Du sang dans nos cellulaires, Radio-Canada, 12/05/19
• Banque mondiale, Production d’électricité à partir de diverses sources (% du total)

La tarification carbone
• Office nationale de l’énergie du Canada, Profils énergétiques des provinces et territoires, mars 2019 • Gouvernement du Canada, Sources et puits de gaz à effet de serre : sommaire 2019, Émissions de gaz à effet de serre des provinces et des territoires, avril 2019
• Statistique Canada, Ventes de carburants destinés aux véhicules automobiles, annuel (x 1 000), 2013- 2017
• Francis Plourde et Mylène Briand, Radio-Canada, Où en sont les efforts du Canada pour réduire ses émissions de GES ?, 17/05/19
• Marc Bonhomme, Taxe carbone : le cas dit exemplaire de la Suède, blogue de l’auteur, 22/10/15
• Government of British Columbia, Environmental Reporting BC, Décembre 2018 • Government of British Columbia, Provincial Greenhouse Gas Emissions Inventory of 2016
• British Columbia Ferry Services Inc. Annual Report to the British Columbia Ferries Commissioner Year Ended March 31, 2018 • Eduardo Porter, Does a Carbon Tax Work ? Ask British Columbia, New York Times, 1/03/16 • Rhianna Schmunk, $40B LNG project in northern B.C. gets go-ahead, CBC, 12/10/18
• Wikipedia, British Columbia Carbon Tax, visité le 22/05/19
• Gouvernement du Québec, Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2016 et leur évolution depuis 1990, 2018 • Gouvernement du Québec, SAAQ, Bilan 2017 – dossier statistique, accidents, parc automobile et permis de conduire, août 2018
• Michel David, Le vert pâle de la CAQ, Le Devoir, 23/05/19 La contradiction du capitalisme vert
• Marc Bonhomme, L’écotaxe est prisonnière du marché des transnationales, et injuste ou inutile, Presse toi-à-gauche, 21/05/19

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