Édition du 29 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Le gouvernement Legault et la privatisation de la production de l’énergie éolienne au Québec

Une politique antiécologique irresponsable

En Mauricie ainsi que dans plusieurs régions du Québec, le développement des parcs éoliens par les grands promoteurs privés soulève une résistance de plus en plus déterminée. Cette résistance, dont nombre de maires et mairesses de petites municipalités sont les actrices et les acteurs, trouve sa principale motivation dans la protection du territoire agricole qui est menacé par la multiplication de ces éoliennes qui s’installent sans planification et sans la consultation d’ensemble des citoyennes et des citoyens de ces régions. La lutte contre la privatisation dans le secteur de l’énergie, comme dans divers autres secteurs, est un axe central de la lutte contre la dépossession des citoyennes et citoyens de notre société.

28 mai 2024 | Photo : Un des tracteurs formant le convoi de manifestation. L’Hebdo Mékinac /Des Chenaux

La privatisation de l’énergie éolienne et son impact sur la mission d’Hydro-Québec [1]

En fait, la privatisation de la production de l’énergie éolienne est amorcée depuis des années. Hydro-Québec achetait l’énergie produite par les producteurs privés. Mais le gouvernement Legault a choisi d’approfondir la privatisation de la production de l’énergie éolienne et de soutenir les promoteurs privés de ce secteur pour attirer les multinationales des filières batteries et d’autres entreprises grandes consommatrices d’énergie. C’est là son nouveau modèle de développement économique. Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a parcouru le monde pour offrir à ces entreprises une énergie renouvelable à faible prix. Il a tellement promis qu’il a créé une situation qu’il a caractérisée comme étant celle d’une société québécoise en pénurie d’électricité. Depuis des mois déjà, le ministre annonce le dépôt d’un projet de loi qui ouvrirait la production et la distribution de l’électricité au privé mettant ainsi fin au monopole d’Hydro-Québec. En fait, cette loi ne ferait que lever les obstacles législatifs bloquant les différentes initiatives du privé dans le secteur.

La suite coule de source. Il faudrait augmenter la production de l’énergie électrique au Québec pour répondre aux besoins créés pour attirer ces entreprises. Comme la construction de barrages hydro-électriques demande au moins une décennie sinon davantage, la décision de soutenir le développement des parcs d’éoliennes s’avère la solution la plus facile à opérationnaliser.

Mais pour le gouvernement Legault, cette opération devait être confiée aux promoteurs privés, quitte à demander le versement de certaines redevances aux municipalités, redevances peu contraignantes compte tenu des profits envisagés par ces promoteurs.

Si Hydro-Québec doit fournir l’énergie à la filière batteries, la course à l’éolien privé a pour objectif de permettre d’assurer que la production privée puisse non seulement être achetée par Hydro-Québec, mais permettre l’autoproduction d’électricité pour des projets industriels particuliers. Cette électricité pourra être transportée également par des réseaux privés jusqu’à leurs entreprises ou achetée par d’autres entreprises. C’est le cadre légal de ces démarches que veut fournir le projet de loi que le ministre Pierre Fitzgibbon s’apprête à déposer.

Le projet de TES Canada est exemplaire à cet égard. [2] C’est un projet de 4 milliards de dollars. Il s’agirait de produire de l’hydrogène à partir de l’électrolyse de l’eau, un procédé qui nécessite une grande quantité d’énergie. Selon ses promoteurs, les deux tiers du courant nécessaire viendront de leurs propres éoliennes. Le promoteur propose de construire 140 éoliennes capables de produire 800 mégawatts reliées à l’usine par un réseau de câblage souterrain privé. Les deux tiers de l’hydrogène produit seront convertis en gaz naturel synthétique pour Énergir qui alimentera son réseau de gazoducs. « De son côté, le professeur Bruno Detucq a évalué que le gaz réformé de TES Canada Canada pourrait chauffer 40 000 maisons comparativement à 666 000 maisons, soit 16 fois plus, si la même quantité d’électricité était utilisée directement avec une thermopompe. Le projet de TES Canada représente un gaspillage immoral de notre précieuse énergie . » [3]

À la demande des entrepreneurs privés de l’éolien, comme TransCanada, Boralex, Energir, EDF, le gouvernement a choisi de soutenir l’installation d’éoliennes dans la vallée du Saint-Laurent, principalement en terres agricoles et en lieux habités.

Des conséquences antiécologiques, antisociales et antidémocratiques de la privatisation de l’éolien

Cette privatisation de l’éolien a une série de conséquences désastreuses pour la société québécoise. Même si les gisements les plus importants d’énergie éolienne se trouvent dans le Grand Nord, il n’était pas question pour les entreprises de ce secteur de se lancer dans ces grands travaux. Ils sont trop coûteux pour une seule entreprise privée ou un simple trust. Seule une société comme Hydro-Québec serait à même de mener de tels travaux et aurait pu utiliser les grandes lignes de transmission déjà en place pour transporter l’électricité produite. Ce développement aurait été rentable et n’aurait pas envahi les terres agricoles et causé de multiples problèmes aux personnes habitant la vallée du Saint-Laurent.

Hydro-Québec n’a pu utiliser les meilleurs gisements d’énergie éolienne, car les choix de développement lui échappent de plus en plus en plus. La construction d’éoliennes dans le Grand Nord et dans les zones non habitées est maintenant écartée. Le développement se fera de plus en plus à l’initiative des entreprises privées permettant à terme la perte d’expertise d’Hydro-Québec. Le développement de l’énergie éolienne sera de plus en plus motivé par la recherche de profits à court terme et au moindre coût. C’est pourquoi les champs d’éoliennes sont développés dans le sud et sur les terres agricoles.

Alors qu’Hydro-Québec est une source importante de revenus pour l’État québécois, les nouveaux revenus générés par les champs d’éoliennes tomberont dans les poches des promoteurs privés, diminuant d’autant les redevances possibles pouvant être reçues par le trésor public.

Pour s’implanter, les promoteurs privés promettent monts et merveilles aux agriculteurs et agricultrices et aux municipalités qui sont souvent à court d’argent et leur font signer des ententes confidentielles permettant l’installation d’éoliennes sur leurs terres.

La résistance du monde rural à la privatisation de l’éolien et la lutte pour la protection du territoire agricole

L’UPA a pris clairement position et s’est opposée à l’implantation des parcs éoliens et des fermes solaires en zone agricole. [4], Un manifeste a été publié par l’UPA de la Mauricie qui appelle à la protection des terres agricoles dans les MRC des Chenaux et Mékinac. [5] Il demande que les terres agricoles soient réservées aux activités de nature agricole.

Un regroupement de maires et mairesses, Vents d’élus [6], a publié un mémoire qui dénonce l’utilisation des terres agricoles à des fins non agricoles. Ce mémoire souligne la rareté des terres agricoles au Québec qui représente à peine 2% du territoire. Et le fait que les promoteurs, dans une volonté de procéder au plus vite sans tenir compte des volontés citoyennes, se permettent de créer des divisions entre les habitant-e-s des régions, entre les personnes et les institutions qui ont besoin d’argent et qui espèrent en tirer des redevances à court terme et les personnes et les institutions qui estiment que ce sera une perte sur le long terme pour la production agricole et pour leurs conditions de vie compte tenu des nuisances créées par ces champs d’éoliennes. Nous reproduisons ci-dessous une pétition Pour un BAPE générique, qui résume très bien les enjeux de cette installation des champs d’éoliennes dans les terres agricoles et les zones habitées.

Les perspectives d’un parti de gauche authentique

Le développement de l’éolien privé constitue le vol du siècle comme l’affirmait un militant du SCFP au colloque organisé par ce syndicat contre la privatisation d’Hydro-Québec. Non seulement il détourne des revenus de la société québécoise dans les poches d’entrepreneurs privés, mais il induit un type de développement anarchique. Il met en cause la possibilité d’une planification d’ensemble de la production des besoins énergétiques du Québec. De plus, il se fait sur des terres agricoles, en bousculant les aspirations à un contrôle citoyen sur leur propre vie.

C’est pourquoi la nationalisation/socialisation (soit le fait de considérer l’énergie comme un bien commun) de la production des énergies renouvelables est un incontournable pour créer les conditions d’une véritable transition énergétique et écologique. Ces mobilisations citoyennes dans le monde rural tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme. Le gouvernement Legault, au service des grandes entreprises, ne constitue en rien un allié de ces mobilisations. Au contraire, il est le meilleur allié de ces promoteurs. C’est pourquoi, la seule perspective envers ce gouvernement n’est pas d’en faire un partenaire d’une véritable transition écologique, mais de démontrer l’absence de légitimité de ses politiques et la nécessité de le remplacer par un gouvernement de rupture qui définit ses politiques à partir des mobilisations citoyennes et qui compte sur leur force pour écarter les promoteurs privés et autres multinationales, et assurer le contrôle de la majorité citoyenne sur la transition énergétique au Québec.

Annexe

Résolution : BAPE générique sur la filière éolienne

CONSIDÉRANT la prolifération de projets éoliens sur le territoire agricole et habité du Québec ;

CONSIDÉRANT qu’au Québec, le territoire cultivable ne représente que 2% du territoire , soit 0,28 hectare cultivable par habitant ;

CONSIDÉRANT que la sécurité et l’autonomie alimentaire sont essentielles ;

CONSIDÉRANT que toute réduction du territoire cultivable menace la sécurité et l’autonomie alimentaire ;

CONSIDÉRANT que la Commission de la protection du territoire agricole (CPTAQ) a autorisé à ce jour 99% des demandes de dérogations pour l’installation d’éoliennes en milieu agricole ;

CONSIDÉRANT le rapport de Madame Janique Lambert, commissaire au développement durable du Québec, publié le 25 avril 2024, soulignant que les terres agricoles sont « essentielle[s] à l’autonomie alimentaire de la population et au développement du secteur bioalimentaire. Il importe donc d’assurer la protection et la mise en valeur du territoire agricole, et ce, au bénéfice des générations actuelles et futures. » ;

CONSIDÉRANT que plusieurs personnalités publiques, incluant le premier ministre, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, le président général de l’Union des producteurs agricoles et les deux présidents des unions municipales québécoises, se sont prononcées publiquement en faveur de la protection des terres agricoles et de l’autonomie alimentaire ;

CONSIDÉRANT l’étude de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) du 14 mars 2024 démontrant que les retombés économiques du développement de la filière éolienne privée ne profitent pas de façon équitable aux municipalités et aux citoyens du Québec, mais profitent surtout à l’industrie privée et à ses actionnaires ;

CONSIDÉRANT que dans cette même étude, le développement de la filière éolienne privée soulève d’importants enjeux concernant la mission d’Hydro-Québec ;

CONSIDÉRANT les nombreuses préoccupations citoyennes soulevées depuis plusieurs mois, autant dans notre municipalité qu’ailleurs au Québec, au sujet du développement de la filière éolienne ;

CONSIDÉRANT les nombreuses questions soulevées, autant par les élus que par les citoyens de nombreuses MRC au Québec qui demeurent sans réponses claires et satisfaisantes ;

CONSIDÉRANT les préoccupations de ce conseil pour l’avenir des terres agricoles, des milieux naturels et de la qualité du milieu de vie de ses citoyens ;

CONSIDÉRANT qu’il y a urgence d’agir compte tenu de l’objectif d’Hydro-Québec de tripler le nombre d’éoliennes sur le territoire d’ici 2035 ;

CONSIDÉRANT que le gouvernement du Québec n’a pas jugé bon de déclencher une étude environnementale stratégique sur la filière éolienne conformément à l’article 95.10 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) qui prévoit que « les stratégies, les plans ou les autres formes d’orientations… doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale stratégique. » ;

CONSIDÉRANT que de nombreuses audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ont eu lieu au Québec au sujet de nombreux projets éoliens, mais qu’aucune analyse d’ensemble n’a été faite à ce jour ;

CONSIDÉRANT qu’un BAPE générique serait le meilleur outil pour faire cette analyse d’ensemble ;

CONSIDÉRANT le désir de ce conseil pour que les enjeux entourant le développement éolien en milieu habité et agricole soient éclairés par le biais d’un BAPE générique ;

CONSIDÉRANT que selon l’article 6.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), « le BAPE a pour fonctions d’enquêter sur toute question relative à la qualité de l’environnement que lui soumet le ministre de l’Environnement et de faire rapport à ce dernier de ses constatations ainsi que de l’analyse qu’il en a faite. » ;

CONSIDÉRANT que selon l’article 6.3 de la LQE, le BAPE doit « tenir des audiences publiques ou des consultations ciblées dans les cas où le ministre le requiert. » ;

EN CONSÉQUENCE ET POUR CES MOTIFS, IL EST PROPOSÉ PAR XXX et résolu par ce Conseil :

• Que le conseil municipal de … prenne position en faveur d’un BAPE générique sur la filière éolienne ;

• Que le conseil municipal de … demande au ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Monsieur Benoit Charrette, de se prévaloir du pouvoir qui lui est confié en vertu de l’article 6.3 de la LQE et de donner le mandat d’un BAPE générique sur la filière éolienne au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement ;

• De transmettre cette résolution aux personnes et aux organismes désignés ci-dessous en réitérant la position du conseil et en leur demandant de l’adopter, de l’appuyer ou d’agir selon leur champ de compétences afin d’exiger la tenue d’un BAPE générique sur la filière éolienne :

o Les municipalités de la MRC de … ;
o La MRC de … ;
o Le Ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Monsieur Benoit Charette ;
o Le Ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Monsieur André Lamontagne ;
o La Ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Madame Andrée Laforest ;
o Le Ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Monsieur Pierre Fitzgibbon ;
o Le premier ministre, Monsieur François Legault ;
o Le député ou la députée provincial ;
o Monsieur Marc Tanguay, chef du parti Libéral du Québec ;
o Monsieur Gabriel Nadeau-Dubois et Madame Christine Labrie, co-portes-paroles de Québec Solidaire ;
o Monsieur Paul Saint-Pierre-Plamondon, chef du parti québécois ;
o Monsieur Éric Duhaime, chef du parti Conservateur du Québec ;
o Madame Martine Ouellet, cheffe de Climat Québec ;
o Monsieur Martin Caron, président général de l’Union des producteurs agricoles ;
o Le président ou la présidente de l’UPA régional ;
o Monsieur Jacques Demers, président de la Fédération Québécoise des Municipalités ;
o Monsieur Martin Damphousse, président de l’Union des Municipalités du Québec ;
o Monsieur Patrick Gloutney, Président du Syndicat SCFP-QUEBEC ;
o Madame Carole-Anne Lapierre, Alliance SaluTERRE ;
o Monsieur Normand Beaudet, Fondation Rivières ;
o Madame Mélanie Busby, Front commun pour la transition énergétique ;
o Monsieur Philippe Duhamel, Regroupement vigilance énergie Québec ;
o Madame Myriam Thériault, Mères au front ;
o Madame Rachel Fahlman, Vent d’élus ;
o Comité citoyen local.

ADOPTÉ À L’UNANIMITÉ ou MAJORITÉ DES MEMBRES PRÉSENTS.

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[2Pierre Dubuc, Hydrogène vert, le retour des trusts d’électricité, L’Action nationale, Vol, CXIII, no 10, décembre 2023

[3Martine Ouellet, Hydrogène « vert » de TES Canada, la Grande imposture, Journal de Montréal, 19 avril 2024 - https://www.journaldemontreal.com/2024/04/19/hydrogene-vert-de-tes-canada-la-grande-imposture

[4Charles-Félix Ross, Le développement éolien au Québec : les enjeux en milieu agricole, l’auteur est directeur général de l’Union des Producteurs Agricoles. Cette allocution a été livrée dans le cadre du Congrès Mines + Énergie en 2023, tirée de l’Action nationale, décembre 2023, vol. CXIII, no. 10

[5UPA de la Mauricie, Manifeste pour la protection des terres agricoles dans les MRC des Chenaux et de Mékinac, https://www.mauricie.upa.qc.ca/manifeste

[6Course à l’énergie, déni de démocratie, Libre Media, 7 décembre 2023, https://libre-media.com/articles/course-a-lenergie-deni-de-democratie

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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