Édition du 16 avril 2024

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Canada

Le grand moment de l’extrême droite

Bien qu’elle soit maintenant terminée, l’occupation de la ville d’Ottawa par les camionneurs a été un succès pour l’extrême droite au Canada. Elle a pu se maintenir au centre de la capitale pendant plusieurs semaines. Elle a ébranlé les deux partis de l’alternance du pouvoir au pays, révélant la faiblesse des libéraux et les divisions internes des conservateurs. Elle a bel et bien remis en cause la pertinence des mesures sanitaires.

22 février 2022 | tiré de la lettre de Pivot

Elle a surtout permis une belle démonstration de force. Avec ses militant.es bravant le froid et la police pour se maintenir le plus longtemps possible, elle a exposé ses prises de position sur la place publique, profitant d’une tribune quotidienne, de grandes répercussions médiatiques et d’un mouvement qui s’est reproduit — non sans difficulté toutefois — dans d’autres pays.

Les résultats de cette opération, associés à la grande fatigue de la population devant la pandémie, sont significatifs. Les pressions pour retirer les mesures sanitaires ont été bien réelles et ont donné des résultats. Au Québec, le parti conservateur devient le deuxième plus populaire chez les francophones.
Rarement l’extrême droite au pays a si bien manœuvré et si bien profité d’une conjoncture qui lui a donné l’élan nécessaire pour lancer une opération d’une ampleur inattendue. Elle a su miser sur une véritable insatisfaction, celle compréhensible déclenchée par la sévérité des mesures sanitaires, afin de se donner une légitimité et d’aller chercher des appuis qu’elle n’aurait jamais obtenus normalement.

Sa stratégie a été de s’inspirer des mouvements populaires de gauche. On y retrouve une même ferveur militante, une attitude rebelle, des stratégies de blocage et d’occupation, une dénonciation du pouvoir en place et de son élitisme. Mais avec des moyens que la gauche n’a jamais eus : un formidable outil de mobilisation, le camion, massif, tonitruant, intimidant, polluant, difficile à déplacer ; et un financement d’une incroyable générosité, des coffres remplis de millions de dollars dont il faudra bien trouver la source.

Tout cela en profitant très longtemps d’une indulgence de la police inconnue de la gauche, cette dernière tant de fois victime instantanée de brutalité pour des actions de bien moindre ampleur. Une indulgence qui a finalement pris fin plus de trois semaines plus tard, et qui a finalement abouti à la volonté d’appliquer la Loi sur les mesures d’urgence aux pouvoirs disproportionnés.

Pendant que l’extrême droite a profité du mécontentement d’une partie de la population et de l’illusion d’avoir lancé un mouvement populaire, la gauche se trouvait dans une situation inconfortable. Elle a soutenu les mesures sanitaires, demandant même parfois des règles plus sévères, comme certains syndicats inquiets de la santé de leurs membres. Ses critiques ont surtout porté sur la manière dont les mesures étaient déployées, des objections pertinentes pour la plupart, mais parfois contradictoires et n’offrant rien pour soulever un important soutien public. Plusieurs avaient l’impression qu’elle appuyait les gouvernements, ce qui n’est pas complètement faux.

Il est cependant possible que le succès passager de l’occupation à Ottawa se transforme en victoire à la Pyrrhus pour les manifestants. Devant les assauts de la justice contre les manifestants les plus visibles, il est difficile de savoir ce qui restera de leurs actions. Après les moments de gloire vient souvent le ressac. L’opposition d’une partie de la population contre les mesures sanitaires — qui par ailleurs demeure assez nuancée, selon les individus — n’était en rien un appui aux autres propositions de l’extrême droite.

D’autant plus que celles-ci demeurent tout aussi creuses qu’inacceptables. Qui peut, sinon des groupuscules dangereux, soutenir ouvertement le racisme, l’homophobie, la misogynie ? Ou le renversement d’un gouvernement démocratique ? Comparer, comme certains l’ont fait, le mouvement des camionneurs à celui des Gilets jaunes en France est tout à fait injustifié. Il s’agissait d’un mouvement plus spontané, plus contradictoire, qui a tout de même exprimé des demandes claires et nettement progressistes dans sa liste de 42 revendications.

L’autopsie de l’opération pourra aussi faire de la lumière sur l’extrême droite au Canada : d’où vient son extraordinaire financement ? Quels sont ses liens avec les partisans de Trump aux États-Unis ? Quelles sont ses véritables revendications ?

Quelle sera l’attitude de la justice à son égard ?

Chose certaine, avec la montée des gouvernements autoritaires dans le monde, ce qui a été une véritable démonstration de force est à prendre avec le plus grand sérieux, y compris dans un pays à forte tradition démocratique comme le nôtre.
Il faut aussi souhaiter que la fin des mesures de confinement qui nous ont toutes et tous tellement affectés — un constat universellement partagé, celui-là ! — remettra en selle un mouvement social étouffé depuis deux ans. Son silence a laissé une trop grande place aux radicaux de droite.

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