Édition du 23 avril 2024

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Environnement

Le granulé de bois utilisé en Europe détruit les forêts des Etats-Unis

Nous publions cet article tiré du site de Reporterre (France) parce qu’il contribue à mettre en lumière les enjeux relatifs aux nouvelles activités du Port de Québec en matière d’exportation de copeaux de bois. L’aspect le plus frappant de cette opération fut l’apparition des deux immenses "verrues" blanches en bordure du fleuve St-Laurent à Québec, l’impression d’urgence et d’improvisation des autorités portuaires et les multiples revirements et la complaisance du maire de Québec Régis Labeaume envers le projet de son ami Mario Girard, Pdg du Port. Mais peu s’étaient penché sur l’aspect environnemental du projet. Cet article y contribue.

L’exportation de granulé de bois des Etats-Unis à destination des centrales à biomasse européennes est de plus en plus importante. Et ce ne sont plus les « déchets » de bois que les industries utilisent, mais des arbres entiers. Des écologistes américains tirent la sonnette d’alarme sur le risque de déboisement de forêts entières, notamment en Caroline du Nord.

À la fin du mois de mars, une coalition d’écologistes a organisé une manifestation devant le consulat britannique à Atlanta, aux Etats-Unis, afin de protester contre les exportations de granulé de bois, aussi connu sous le terme anglais de « pellet », vers les pays européens. Mais pourquoi ? Ce combustible n’est-il pas une énergie renouvelable et durable ?

Un "renouvelable" destructeur

Selon les écologistes, il s’agit d’un faux-ami. La plupart du bois utilisé pour le pellet, dénoncent-ils, est en effet issu des forêts du sud-ouest des Etats-Unis. Ce qui est en train de provoquer « un gigantesque déboisement de zones humides et de vallées entières », a expliqué au journal américain ThinkProgress Shelby White, l’un des organisateurs de la manifestation.

Le bois qu’on utilise en Europe comme énergie renouvelable détruit donc l’environnement ailleurs. L’enquête dénonce le rôle de l’entreprise américaine Enviva, qui est considérée comme « le plus important fournisseur de granulé de bois au monde, propriétaire de six sites de production » en Caroline et en Georgie. L’industrie a décidé d’investir cent millions de dollars dans le granulé, sur la base d’une prévision de croissance de la demande de 21 % par an d’ici 2020 : une augmentation qui sera alimentée par la conversion en centrales à biomasse de centrales à charbon en Europe, Corée du Sud et Japon.

Le Canada aussi semble vouloir miser sur ce secteur : en Colombie Britannique sera bientôt créé un site de production de pellet dont le but est d’exporter quasiment un million de tonnes de bois vers l’Asie.

Un rapport du Southern Environmental Law Center a révélé que depuis février 2015, au sud-est des Etats-Unis, des entreprises ont présenté plus de vingt projets d’exploitation des forêts afin de produire du granulé de bois. La même enquête révèle que dans les 65 000 hectares exploités par Enviva à Ahoskie (Caroline du Nord) se trouvent plusieurs zones humides, et qu’en Georgie, 50 000 hectares de forêt seraient désormais menacés.

Une activité émettrice de gaz à effet de serre

Adam Macon, directeur de l’Ong Dogwood Alliance, qui lutte pour défendre les forêts en Caroline du Nord, considère comme « un gros malentendu » la décision de l’Union européenne d’inclure le granulé bois dans les énergies utiles pour atteindre ses objectifs de production issue des renouvelables. « On avait pensé que les industries auraient surtout “valorisé” des déchets de bois, a-t-il déclaré à ThinkProgress, mais ce qu’on brûle, ce sont des arbres entiers. »

Dès 2011, Greenpeace avait publié un rapport à l’occasion de l’ouverture, à Rotterdam, de la première bourse internationale consacrée à la biomasse. L’Ong expliquait que « la biomasse connaît un véritable boom. Cela veut dire que l’on n’utilise plus uniquement des déchets (copeaux, branches, résidus de scierie, etc.) mais bien des arbres prélevés dans des forêts naturelles ».

De surcroît, l’exportation à travers l’océan des granulés augmente de 31 % la contribution de cette source d’énergie aux émissions de gaz à effet de serre. En février des dizaines de scientifiques américaines ont adressé à ce propos une lettre à Gina McCarthy, qui dirige l’Agence pour la Protection de l’Environnement, en expliquant que « l’utilisation de biomasse à base de bois pour produire de l’énergie, loin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, les augmente ».

Un risque de disparition des forêts états-uniennes

Pour dénoncer les risques liés à cette activité, les organisations non gouvernementales Dogwood Alliance, le Natural Resources Defense Council, BirdLife Europe et la coalition European Environmental Bureau, ont envoyé en décembre 2014 aux gouvernements européens la pétition « Save our Southern forests (SOS) ». Dans le document, signé par 50.000 citoyens américains, ils demandent à l’Europe de ne plus subventionner la biomasse et de se concentrer sur d’autres sources renouvelables.

Selon l’association des producteurs European Biomass Association, les biomasses représentent aujourd’hui, en effet, les trois quarts des « énergies renouvelables » dans l’Union européenne. Le problème, c’est que ceux « à km zéro » sont toujours plus rares : entre 2011 et 2013 les exportation en provenance des Etats-Unis ont doublé, atteignant 4,7 millions de tonnes (dont deux tiers issus des forêts du sud-ouest).

Selon l’organisation écologiste Audubon Society, chaque demi-heure, le nouveau site de production d’Enviva, en Caroline du Nord, fait sortir de ses usines un camion de pellet destiné en Europe. Adam Macon et Shelby White, relate ThinkProgress, n’ont pas baissé les bras, et ont récemment rencontré le consul britannique à Atlanta. Le fonctionnaire diplomatique n’était pas du tout au courant de la situation : « Il était très surpris d’apprendre ces faits. Je crains que les politiciens ne soient pas capable de comprendre que le pellet va causer la destruction totale des forêts dans le sud-ouest des Etats-Unis. »

Mais pour Tim Portz, directeur du Biomass Magazine, les préoccupations des environnementalistes ne sont pas raisonnables. Il soutient que parler de déforestation massive est une exagération : « Les écologistes disent que c’est un problème de couper des arbres, mais ils ne voient pas le vrai problème, c’est-à-dire d’abord les centrales à charbon. »

Andrea Barolini

Collaborateur au site Reporterre (France)

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